Le prophète de la dévolution US dans la concorde

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Paul Starobin, auteur de After America: Narratives for the Next Global Age, qui est cité par William S. Lind et dans notre F&C de ce 22 juin 2009, écrit son article, dans le Wall Street Journal du 13 juin 2009: «Divided We Stand». Il ne s’agit en aucun cas, comme nous le notons, d’un texte crépusculaire, menaçant, vitupérant, etc… Non, au contraire, c’est le plus étonnant, – c’est un texte très “américaniste”… L’auteur explique qu’aujourd’hui, la “dévolution” est la formule qui sauvera le monde, qui va toucher tout le monde, – et, comme à habitude, encore une fois, les USA se situeraient donc à l’avancée du progrès avec une “dévolution” accélérée, à nouveau “montrant la voie” (“to lead the way” ou “to show the light”, comme il vous plaira).

«The most hopeful prospect for the USA, should the decentralization impulse prove irresistible, is for Americans to draw on their natural inventiveness and democratic tradition by patenting a formula for getting the job done in a gradual and cooperative way. In so doing, geopolitical history, and perhaps even a path for others, might be made, for the problem of bigness vexes political leviathans everywhere. In India, with its 1.2 billion people, there is an active discussion of whether things might work better if the nation-state was chopped up into 10 or so large city-states with broad writs of autonomy from New Delhi. Devolution may likewise be the future for the European continent—think Catalonia—and for the British Isles. Scotland, a leading source of Enlightenment ideas for America’s founding fathers, now has its own flourishing independence movement. Even China, held together by an aging autocracy, may not be able to resist the drift towards the smaller.

»So why not America as the global leader of a devolution? America’s return to its origins—to its type—could turn out to be an act of creative political destruction, with “we the people” the better for it.»

L’originalité de Starobin est de tenter de donner une version “progressiste”, voire postmoderne de la sécession, immédiatement rebaptisée “dévolution” pour introduire un terme beaucoup plus convenable et beaucoup plus acceptable par rapport aux réputations historiques. Il s’appuie sur le parrainage de Jefferson, baptisé par lui-même de “saint-Jefferson”, qu’il donne pratiquement, et d’ailleurs justement, comme l’inspirateur de la dévolution, contre les centralistes fédéralistes dont le programme aboutit à un centre puissant, appuyé sur l’argent de Wall Street et une politique expansionniste. (Il écrit notamment, à propos de certains sécessionnistes, cette affirmation basée sur l’antécédent jeffersonien qui tend à mettre en cause la validité de la Constitution: «Their hallowed parchment is Jefferson’s Declaration of Independence, on behalf of the original 13 British colonies, penned in 1776, 11 years before the framers of the Constitution gathered for their convention in Philadelphia. “The right of secession precedes the Constitution—the United States was born out of secession,” Daniel Miller, leader of the Texas Nationalist Movement, put it to me.»)

Starobin tente de détacher l’idée de l’éclatement de l’Amérique de la marque, selon lui infâmante à cause de la question de l’esclavage, de la sécession du Sud de 1861. Thèse contestée et contestable, mais tout est incertain dans cette plaidoirie pour la sécession/dévolution, et d’ailleurs de tous les côtés; après tout, les thèses de Starobin rejoignent objectivement aujourd’hui celles, libertariennes ou autre de la droite-paléo US, qui ne renient nullement l’origine du Sud en sécession, – d’abord au nom du principe de la souveraineté des Etats, quelle qu’en soit l’occasion ou le motif.

Quoi qu’il en soit, le résultat net est un champ ouvert à une nouvelle forme de position partisane de l’éclatement des USA, cette fois à gauche autant qu’à droite. Cela ouvre d’autant la perspective du mouvement sécessionniste ou “dévolutionnaire” (comme un double inversé du terme “révolutionnaire”, ce qui aurait pour signification linguistique de mettre en cause la Révolution américaine, – terme officiel pour la Guerre d’Indépendance).

Starobin cite l’expert russe, ex-KGB et maintenant au ministère des affaires étrangères, Panarine: «These days, the Russian professor Igor Panarin, a former KGB analyst, has snagged publicity with his dystopian prediction of civil strife in a dismembered America whose jagged parts fall prey to foreign powers including Canada, Mexico and, in the case of Alaska, Russia, naturally». Surtout, il ressort une citation du grand diplomate US George Keenan, archétype du grand commis de l’Etat version US, en général très réaliste et mesuré dans ses jugements, et qui se retrouve sécessionniste en condamnant les dimensions monstrueuses des USA, – ajoutant dans ce contexte une crédibilité supplémentaire au mouvement décrit:

«A notable prophet for a coming age of smallness was the diplomat and historian George Kennan, a steward of the American Century with an uncanny ability to see past the seemingly-frozen geopolitical arrangements of the day. Kennan always believed that Soviet power would “run its course,” as he predicted back in 1951, just as the Cold War was getting under way, and again shortly after the Soviet Union collapsed, he suggested that a similar fate might await the United States. America has become a “monster country,” afflicted by a swollen bureaucracy and “the hubris of inordinate size,” he wrote in his 1993 book, “Around the Cragged Hill: A Personal and Political Philosophy.” Things might work better, he suggested, if the nation was “decentralized into something like a dozen constituent republics, absorbing not only the powers of the existing states but a considerable part of those of the present federal establishment.”»

Enfin, notons que Starobin est effectivement partisan d’une prospective apaisée de l’éclatement de l’Amérique. La dévolution devrait se faire harmonieusement, selon un mouvement de séparation logique selon des lignes géographiques, localistes et sociologiques. Il s’oppose à William S. Lind, sujet de notre F&C déjà cité, qui voit, lui, une séparation brutale, se faisant selon les lignes religieuses, culturelles, dans lesquelles des affrontements très vifs et très violents devraient avoir lieu. Lind parle vraiment d’une “seconde Guerre Civile”, peut-être plus violente que la première, – “qui ne fut pourtant pas un pique-nique”…


Mis en ligne le 22 juin 2009 à 17H17