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3 janvier 2005 — Dites “méchant”, on dira “Hitler”; de même, dites “désastre”, l’on répondra aussitôt, en se tournant vers l’indispensable Amérique: “plan Marshall”. Autrement dit, après le tsunami du 26 décembre, un nouveau désastre menace la zone sud-asiatique: l’intervention américaine.
La pensée postmoderne, et nécessairement, en son cœur, la pensée américaniste, fonctionnent par clichés, lieux communs, etc, qu’on désigne sous le mot de “concepts” pour faire chic. Si possible, ces choses renvoient à 1941-45 (pas 1939-45 : devinez pourquoi?), la période dite de la Brightest Generation (aux USA, pas chez nous, sur le continent). Bref, on s’ébat en pleine vertu, laquelle déborde un peu sur l’immédiat après-guerre, pour y incorporer l’OTAN et, surtout, magie d’entre les magies, — le “Plan Marshall”. Nous y sommes.
Depuis 1989-91, dès qu’un événement dramatique d’une certaine ampleur se produit, le réflexe pavlovien fonctionne: plan Marshall. On en a parlé pour la réunification allemande, pour les pays d’Europe de l’Est libérés du communisme, pour la Russie à l’une ou l’autre reprise, pour les pays (dont la Russie, à nouveau) touchés par la vague de déstabilisation économique en 1997-98, pour l’Argentine, etc. Comment n’y avions-nous pas pensé pour la catastrophe asiatique? C’est fait.
Comme l’écrit The Independent,
“America urged to devise ‘Marshall plan’ for Asia”.
« As American Sea Hawk helicopters began ferrying emergency supplies to the stricken coastal communities of Aceh on the island of Sumatra at the weekend, voices were being raised in the United States for a longer-term engagement in the area to rebuild lost political goodwill.
» There is already talk of an updated “Marshall plan” for Asia, similar to the post-war aid for Europe, that would save lives and repair America's tattered reputation across the world.
» The helicopters, from the USS Abraham Lincoln aircraft carrier anchored close to Sumatra, were the first harbingers of the largest deployment of American military hardware in the region since the Vietnam War. Scores of US vessels and aircraft loaded with emergency supplies and equipment are heading for areas worst hit by the Boxing Day tsunami from points around the globe.
» But America's humanitarian response to the tragedy, which has been ratcheted up rapidly in recent days after an early impression was created of superpower stinginess, was already being described as something much more, a mission to repair relations with the region severely strained since the invasion of Iraq and demonstrate its willingness to use its military might as a force for good.
» Foreign affairs analysts said Washington had the chance to reverse a perception held in much of the rest of the world that its global priorities under President George Bush extend no further than combating terrorism and overthrowing dictators. They said the US, by showing a beneficent side of its power, could advance the fight against terrorism by winning back the hearts and minds of populations in India, Thailand, Somalia and in Indonesia, the world's largest Islamic democracy.
» This may have been the reasoning that has driven the US to accelerate sharply its response to the tragedy. On Friday, the President said US aid would be multiplied 10 times to reach $350m (£182m). Symbolically, Mr Bush has sent his brother, Governor Jeb Bush of Florida, along with the US Secretary of State, Colin Powell, to tour the areas of devastation this week and assess immediate needs.
» It has now become clear to President Bush, who returned to the White House last night after a long Christmas break at his ranch in Texas, that the tsunami disaster and its aftermath is going to be high on his list of foreign policy priorities for some time. On Saturday, Mr Bush said the scale of the disaster “defies comprehension” and ordered that flags be lowered to half-mast across America for a week.
Quoiqu’on pense du “Plan Marshall” de 1947, — et il y a beaucoup à penser des intentions dissimulées, volontairement ou involontairement (selon la pente naturelle de l’américanisme), — il faut lui reconnaître que les hommes qui le conçurent, Marshall en tête, étaient de qualité et que ces hommes entretenaient une réelle conviction dans le processus qu’ils mettaient en route et les buts recherchés. Qui peut seulement évoquer ce souvenir lorsqu’on observe le spectacle de la ménagerie washingtonienne? Les hommes en place semblent chevaucher la médiocrité de l’esprit comme affirmation suprême et leurs convictions se forgent à cette mesure. Le but du “plan Marshall”-2005 est aussi bête que chou: « a mission to repair relations with the region severely strained since the invasion of Iraq and demonstrate its willingness to use its military might as a force for good. »; ou encore: « the US, by showing a beneficent side of its power, could advance the fight against terrorism by winning back the hearts and minds of populations in India, Thailand, Somalia and in Indonesia, the world's largest Islamic democracy. » Des relations publiques, rien d’autre.
Il n’y a aucun but en soi pour ce projet. On ne cherche pas à aider des gens, à restaurer des conditions décentes de vie. On réagit au jour le jour, selon les commentaires entendus, et l’on fait de la pub, c’est tout, pour entretenir l’obsession majeure de l’esprit washingtonien aujourd’hui qu’est le terrorisme et pour se faire croire qu’on va rattraper l’incroyable dégringolade de l’influence américaine dans le monde. Cela va jusqu’à évoquer cet incroyable bouleversement de l’agenda présidentiel: « …the tsunami disaster and its aftermath is going to be high on his list of foreign policy priorities for some time. » Le tsunami et ses conséquences devenant le problème n°1 de la politique étrangère des Etats-Unis — alors que Washington n’a rien vu venir, ne s’est intéressé à rien, a proclamé la constitution d’une “alliance des pays donateurs” en y incorporant l’Inde, qui est en même temps un des pays sinistrés… Voilà un bon début pour l’année 2005, avec une politique étrangère US “à la suédoise” ou “à la canadienne”, recentrée sur l’humanitaire avec Donald Rumsfeld reconverti en chef-Casque bleu. On attend avec intérêt les commentaires des néo-conservateurs qui piaffent d’impatience humanitaire pour la prochaine attaque d’un Evil state.
Certains pourraient dire, avec une ironie un peu triste: mieux vaut tard que jamais, puisque ce “plan Marshall”-2005 pourrait être aussi bien considéré comme celui que la région méritait en 1997 et qu’elle n’eut pas. Mais il faut redevenir sérieux. Ce “plan Marshall”-2005 dont le but serait de réinstaller à neuf les conditions qui ont mené les pays impliqués à la catastrophe économique, en attendant de les rendre si vulnérables aux catastrophes naturelles, (voir d’autres articles sur l’effet de l’économie globalisée sur les pays touchés, sur WSWS.org et atimes.com) n’a certainement aucune chance de se faire. Ce qui importe pour l’instant, c’est qu’on voie les Sea Hawk de l’U.S. Navy et les C-130 de l’USAF à la télévision. Demain, à l’occasion d’un autre événement, les élections en Irak par exemple, ou un week-end de GW au Texas, tout cela sera oublié. Cela évitera aux USA de devoir emprunter aux autres l’argent nécessaire pour lancer un “plan Marshall” de plus.