Le règne de “la discorde chez l’ennemi”

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Le règne de “la discorde chez l’ennemi”

Outre leur intérêt respectif, c’est, en seconde analyse de la chose, avec la conscience de rassembler deux signes significatifs d’une tendance générale que nous rapprochons deux publications d’Ouverture libre présentées par deux lecteurs. Il s’agit du constat d’une discorde grandissante, à l’intérieur du système, sur des sujets essentiels et pressants.

• D’une part, le commentaire furieux d’Ambroise Evans-Pritchard de la Federal Reserve, présenté le 30 juin 2010.

• D’autre part, la présentation, également hautement très critique, du JSF, qui constitue l’essentiel de la force de combat aérienne des USA dans le futur, par Andrew Krepinevitch, ce 1er juillet 2010.

@PAYANT En apparence, ces deux critiques également radicales concernent des sujets différents. L’important est, au contraire, de les rapprocher jusqu’à les mêler pour leur faire dégager une signification générale. Dans les deux cas (Evans-Pritchard et Krepinovitch), il s’agit d’“experts” ayant un statut d’indépendant par rapport aux sphères officielles, mais très proches de ces sphères officielles, par leur notoriété, leur “autorité” reconnue, voire (dans le cas de Krepinovitch), leur statut de conseiller officiel d’un centre de force essentiel du système (le Pentagone). On ne peut donc considérer qu’il s’agit, dans le chef de ces deux critiques dans des domaines différents mais tous deux essentiels, d’une querelles de “dissidents” contre le système, mais bien de querelles à l’intérieur du système, entre les structures bureaucratiques installées et des voix importantes, intégrées au système mais ayant gardé une certaine autonomie.

La réaction d’Evans-Pritchard, notamment, est intéressante de ce point de vue. Elle est d’une violence rare et met en cause tout l’édifice et l’esprit quasiment sacrés de la Federal Reserve, à propos d’une communication d’un conseiller financier assez obscur, le Dr. Kartik Athreya, qui s’en prend plutôt à la myriade de commentateurs sur les réseaux parallèles, voire dissidents, dont on pourrait penser qu’Evans-Pritchard, à cause de son statut, n’y est pas inclus. Pourtant le même Evans-Pritchard réagit comme s’il était directement visé, et l’on peut alors admettre que sa réaction porte sur le fond de la position qu’il dénonce plus que sur les cibles visées par l’obscur Athreya. Cela nous vaut une dénonciation de l’incurie et de l’incompétence de la Fed, de sa responsabilité majeure dans la crise du système, qui valent bien des coups d’épingle qu’on trouve sur la myriade de “blogs” indépendants et souvent obscurs.

De ce point de vue, nous retrouvons alors Krepinevitch, intronisé “top Pentagon adviser” par Defense News. Sa critique, à lui aussi, est radicale, et elle porte bien sur le JSF qui est la poutre maîtresse de la puissance militaire US pour l’avenir prévisible, si tout se passe “selon le plan prévu” comme en disait en URSS en 1984… La critique du JSF dans le domaine impliqué des capacités militaires sort tout droit des “blogs” et acteurs dissidents, que ce soit un Bill Sweetman, avant sa déportation dans le Goulag luxueux d’Aviation Week & Space Technology, que ce soit le site australien Air Power Association (APA) dans ses études approfondies sur les faiblesses techniques et opérationnelles fondamentales du JSF. Comme l’on sait, Bill Sweetman a été “interdit de JSF”, et d’autres “blogs” (dont APA) ont notablement réduit leurs activités anti-JSF. Quelles qu’en soient les raisons (on peut spéculer, certes), il reste que cette réflexion “hors-système” a atteint l’intérieur du système parce que Krepinevitch, actuellement, fait partie du Defense Policy Board qui conseille directement Gates. Là aussi, comme dans le cas d’Evans-Pritchard, on voit que la contestation radicale s’est introduite au cœur du système.

C’est donc la thèse fameuse du colonel de Gaulle sur “la discorde chez l’ennemi” qui se développe à belle vitesse. L’intérêt de cette évolution est qu’elle se place à un moment où il existe une réelle offensive du système contre les “blogs” indépendants, en général en position de “dissidence” (même un Sweetman lorsqu’il écrivait, bien qu’il appartînt au groupe AW&ST) comme dans le cas incontestable du JSF ; le Dr. Kartik Athreya, dans le cas d’Evans-Pritchard, s’attaquait surtout à cette catégorie, accusée d’être “une menace contre l’ordre public” (ce qui impliquerait, d’ailleurs, qu’une bonne censure contre ces trouble-fêtes ne serait pas de trop, dans l'esprit du critique). Or, l’activisme “dissident” est, comme on le constate, relayé par des experts qui ont nettement un pied dans l’establishment, gens très difficiles à faire taire lorsqu’ils ont le statut d’un Evans-Pritchard ou d’un Krepinevitch.

Le ver est dans le fruit et c’est vraiment “la discorde chez l’ennemi”. Il est vrai que, dans certains domaines fondamentaux du système (le système financier, le système mlitaro-industriel), il existe désormais une solide opposition intérieure, qui ne va faire que croître et embellir, à la mesure de l’effondrement du système, – car c’est bien cela qui, finalement, détermine l’enjeu du débat : le système s’effondre et l’establishment est désormais déchiré, divisé, après que l’opposition “dissidente” ait glorieusement allumé les premiers feux de la révolte. Le parallèle Evans-Pritchard/Krepinevitch invite à penser que la situation est désormais celle d’un état de crise dans l’affrontement à l’intérieur du système de la communication. Nous ne voyons strictement aucune raison pour que le processus d’effondrement du système soit ralenti en quelque façon que ce soit et cette situation que nous décrivons est donc promise à croître et à se multiplier.


Mis en ligne le 1er juillet 2010 à 13H58