Le rendez-vous de décembre

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Le rendez-vous de décembre

3 mai 2012 – Le “rendez-vous de décembre” ou le “rendez-vous du destin” ? Tout se passe en effet comme si les éléments constitutifs d’une crise insurrectionnelle massive convergeaient pour être rassemblés sous la forme d’un détonateur de cette crise, en décembre 2012, aux USA. Il s’agit en effet des USA, qui sont le centre et le moteur du Système, qui semblent se préparer à une crise du gouvernement, une crise budgétaire et une crise d'austérité, sans aucun doute par conséquent une crise sociale, – et d’ores et déjà, assurée, précédant tout le reste, une crise psychologique massive, reflétant la “psychologie terrorisée” commune à tous les dirigeants. Plus encore, dans ce cas, – tout se passe comme si une sorte de planification assumée, répondant autant à des échéances assurées qu’à des pressions supérieures, se mettait en place pour terminer cette années 2012 conformément aux prévisions. (On admettra que les Mayas, du haut de leur séjour parmi leurs divinités, doivent montrer une certaine satisfaction de voir leur calendrier si bien respecté, au moins dans l’esprit de la chose.)

Voyons quelques éléments qui substantivent cet horizon fort assombri. (On notera, sans surprise, qu’il n’y a pas que l’horizon d’assombri. Le 1er mai, aux USA, a été marqué par diverses actions de protestation, d’une façon très inhabituelle pour ce pays qui sait cultiver l’harmonie entre les classes au profit des plus méritantes.) D’abord, le 24 avril 2012, devant le Council of Foreign Relations, à New York, une intervention de Erksine Bowles, co-directeur de la Commission sur le déficit budgétaire du président Obama. Il est venu prendre date, et le rendez-vous est effectivement à la fin de 2012, en décembre. Il s’agit d’un rendez-vous de type catastrophique puisqu’on y observera, dans le meilleur des cas, celui où les autorités politiques prennent leurs responsabilités, des réductions budgétaires forcées ou automatiques de l’ordre de $7.000 milliards, – selon les calculs de Bowles, – qu’il faudra commencer à installer dans les activités du gouvernement. Comme suggéré plus haut avec la date de décembre 2012, il faut noter que tout cela se passe après l’élection présidentielle du début novembre.

Bowles est catastrophique mais rassurant, car il n’est certainement pas un de ces prophètes de l’Apocalypse qui pullulent chez les “dissidents” ; mais bon, Apocalypse tout de même… «I think today we face the most predictable economic crisis in history. Fortunately, I think it’s also the most avoidable. I think it’s clear, if you do simple arithmetic, that the fiscal path that the nation is on is simply not sustainable…»

Bowles explique qu’en 2011, tous les dollars qui sont entrés dans le trésor fédéral ont été intégralement absorbés par les dépenses fixes (Medicare, Medicaid, sécurité sociale, – et le service de la monstrueuse dette, $250 milliards par an parce que les intérêts sont au plus bas, en fait qui devrait atteindre $600 milliards l’an, – et, «We’ll be spending over $1 trillion on interest alone before you know it».). Tout le reste, les dépenses de fonctionnement, notamment la défense nationale et les deux guerres qui vont avec, a été financé par des emprunts, – «And half of it was borrowed from foreign countries. And that is a formula for failure in anybody’s book.» Exemple amusant, si l’on a le cœur à rire, que celui de Taïwan, que les USA se sont engagés à défendre contre une hypothétique invasion de la Chine ; eh bien, si l’hypothèse se réalise, les USA devraient remplir leurs obligations ; eh bien, comment feraient-il ? «There’s only one problem with that. We’ll have to borrow the money from China to do it.» “Rires nerveux dans la salle”, observe William D. Cohan, auteur du texte de Bloomberg.News publié ce 29 avril 2012.

Petite description sympathique du système de santé de l’hyperpuissance, de notre-Empire-à-tous, de l’American Dream : «We have a health-care system that’s absolutely crazy. We spend twice as much as any other developed country in the world on health care, whether you talk about it as a percent of GDP or on a per-capita basis. And that might be OK if we could afford it, and it might be OK if the outcomes were any good. But if you look at most outcome measures, we rank somewhere between 25th and 50th in such important measures as infant mortality and preventable deaths and life expectancy. And anybody who thinks those 50 million people who don’t have health-care insurance don’t get health care, you’re just wrong. They get health care, they just get it at the emergency room at five to seven times the cost it would be in a doctor’s office. And that cost doesn’t go away, it gets cost-shifted.»

…Et tout cela pour mener à quoi ? Au rendez-vous de décembre 2012. «But wait, it gets worse. [Bowles] reminded the audience of the numerous “cliffs” the country faces at the end of 2012 when the George W. Bush tax cuts expire: More than $1.1 trillion will be cut from the budget, about half of which will come from defense because of the infamous “sequester” of last year; the payroll tax cut will expire, as will the “patch” in the alternate minimum tax. “If you add all those up,” he said, “it’s probably $7 trillion worth of economic events that are going to occur in December. And there’s been little to no planning for that.” It is every bit as criminally irresponsible for Congress to fail to address this looming crisis as it was for Jimmy Cayne at Bear Stearns, Dick Fuld at Lehman Brothers and Martin Sullivan at AIG to ignore the financial problems at their firms in 2008.

»Interestingly, Bowles remains optimistic that the circumstances are so dire that Congress will have to act, although it probably won’t happen until the seven weeks between Election Day and the end of the year. “We have to,” he said. “We’ve simply made promises that we can’t keep.”» (Tout de même, cette dernière phrase, comme conclusion : «“Deficits are truly like a cancer,” Bowles said, “and over time they are going to destroy our country from within.”»)

En résumé, Bowles annonce implicitement la nécessité d’un programme massif d’“austérité” après l’élection présidentielle, – ce qui permettra aux candidats de ne pas trop en débattre. On notera tout de même que l’optimisme de Bowles concerne un accord qui se ferait au Congrès, plus ou moins avec le président (ré)élu, sur la répartition des réductions budgétaires qui découleraient nécessairement de toutes ces mesures automatiques. Cela impliquerait que le Congrès serait parvenu à une certaine harmonie, mais nullement que les USA échapperaient à un très, très rude programme d’austérité. La perception pessimiste, – qui n’est nullement sollicitée, quand on a à l’esprit les trois dernières années de guerre ouverte entre le Congrès et le président et à l’intérieur du Congrès, – concernerait l’absence d’accord, c’est-à-dire le désordre apocalyptique dans la planification de l’inévitable “austérité”. Quoi qu’il en soit, dans les deux cas il s’agit bien d’austérité, et l’optimisme ne porte que sur la bonne organisation de la chose.

Trois jours plus tôt, le 26 avril 2012, sur le site The Liberty Bell, Ron Holland, économiste, auteur, consultant, etc., annonçait un séminaire important, le Freedom Festival, les 11-14 juillet à Las Vegas, où l’on trouvera, parmi 150 intervenants, le sénateur Rand Pauil et le juge Andrew Napolitano, célèbre pour avoir été le seul chroniqueur de Fox.News à soutenir Ron Paul (on l’a remercié pour cela et il ne travaille plus à la station). Le thème du grand rassemblement est «Crisis in America: A Call to Action», – ce que Holland traduit comme ceci : «The Feds Prepare for Social Unrest… Shouldn't You?», – et présente comme ceci : «These are scary times, and that is why we are having a special “emergency” session at FreedomFest entitled “Crisis in America: A Call to Action.”» (Le FreedomFest» est organisé par le Freedom Movement, représentatif du mouvement libertarien en général, dont se réclament aussi bien The Liberty Bell que Ron Paul.)

Holland se réfère à l’arsenal que se constituent les autorités fédérales US, – arsenal au propre et dans le sens législatif. Il s’agit de quantités considérables de munitions acquises ou en cours d’acquisition par le DHS (Department of Homeland Security) ces dernières semaines, notamment 450 millions de balles à charge creuse très puissantes de calibre .40 (10mm), qui est le calibre utilisé en général par la police US, et un marché de 175 millions de balles de calibre .223 (5.56mm), qui est la calibre standard des fusils d’assaut de l’OTAN. Il s’agit également de l’arsenal juridique de mesures coercitives qui relèvent de l’état de siège, qui s’est constitué ces dernières années et apparentent les USA à un “État policier”… Holland donne ces quelques précisions, qui renvoient à l’aspect le plus spectaculaire de l’arsenal législatif. (Il renvoie par ailleurs aux pratiques juridiques et policières de plus en plus tatillonnes, discrétionnaires et contraignantes, dont nous donnions nous-mêmes certains exemples dans notre texte du 16 avril 2012.)

«The new National Defense Authorization Act (NDAA) takes away basic rights of American citizens who are considered “terrorists” or “enemy combatants,” who can now be held indefinitely without trial and without legal representation. (After signing the bill, President Obama later said he would “never” impose this Act on Americans. Don't bet on it.) The Obama administration is getting desperate. As part of the federal-aid highway bill, Senator Barbara Boxer (D-California) has added a provision that allows for anyone who owes the IRS more than $50,000 to be denied a passport. (Senate Bill 1813 is now in the House.)»

Pourquoi toutes ces dispositions ? La réponse est sans ambiguïté. Le gouvernement des États-Unis se prépare à ce qu’il croit être une insurrection massive, suite au programme d’austérité sans précédent qu’il devra appliquer à la suite des formidables contraintes budgétaires dont nous parlait plus haut Erskine Bowles… Le “rendez-vous de décembre” 2012, où des dispositions législatives imposent effectivement ces énormes réductions budgétaires, dont les répercussions sur les dépenses publiques seront massives. Logiquement, les esprits enfiévrés par leurs “psychologies terrorisées” des dirigeants au service du Système prévoient le pire, en fait de réactions populaires. Ainsi Ron Holland écrit-il :

«Why? The answer is clear: The Federal government is gearing up for the unprecedented social unrest (worse than Greece or Spain) when Washington is forced to impose “austerity” plans next year, after this November's élections. Either that or face runaway inflation to pay for the costly welfare programs like Social Security, Medicare, Medicaid, Food Stamps and massive unfunded liabilities.»

La chose, – l’affrontement, l’insurrection, – se fera-t-elle ?

Un climat et une symbolique exacerbés

Nous l’écrivons et le récrivons : ces directions politiques entièrement inféodées au Système sont totalement sous l’empire de la terreur qui habite leur psychologie, et elles-mêmes fascinés par la terreur d’une insurrection populaire. (Ainsi leur propre terreur en serait-elle à la fois confortée et justifiée, voire légitimée si l’on aime les gros mots…) C’est particulièrement le cas de la direction politique et de l’establishment US, qui a maintenu de tous temps, dès l’origine de ce pays, une main de fer sur sa population, notamment par le biais du système de la communication ; la situation atteignant le degré de désordre et de paranoïa qu’on voit, la communication ne suffit plus, et l’on mobilise les moyens “durs” du système du technologisme, sous la forme de l’établissement d’une contrainte et d’une pression policière et sécuritaire extrême... L’exemple grotesque du sommet de l’OTAN à Chicago nous décrit parfaitement cet état des psychologies, et la paranoïa sécuritaire et policière qui en découle.

Enfermées dans la démence d’une politique unilatérale qui ne veut (qui ne peut) rien sacrifier au dogme imposé par le même Système, ces directions vont devoir affronter, aux USA même, au cœur du Système, ce qu’elles imaginent être comme une sorte d’épreuve suprême d’affrontement, lequel se fera nécessairement avec “le peuple” américain qui a toujours été perçu comme une constante menace insurrectionnelle. (C’est une vieille idée, qui a été souvent associée, dans l’esprit de certains commentateurs inspirés, accidentellement ou pas, momentanément ou non, à la perception de l’hostilité française au pouvoir américaniste ; ainsi Joshua Muravchik, néoconservateur notoire, écrit-il dans la préface de son livre The Imperative of the American Leadership [1996], sans s’expliquer de sa remarque nulle part dans le corps du texte, mais comme une simple évidence : «Aside perhaps for the French, the only people averse to American leadership are the Americans.» Voir, dans la deuxième livraison de la La grâce de l’Histoire, notre interprétation de ces rapports ambigus des Français avec les USA, hostiles à l’américanisme et proches du peuple américain dans ses attitudes de résistance au Système.)

Inutile de demander ce que ces directions politiques espèrent d’un tel affrontement, même dans l’hypothèse de ce qu’on pourrait apprécier comme une “victoire” (?) si cet affrontement avait lieu. Leurs capacités de prévision dans l’emprisonnement où elles se trouvent sont réduites à un terme grotesque de proximité, à une sorte d’immédiateté nihiliste, à une vision entropique crépusculaire. Nous sommes plutôt au niveau d’une magie de bazar, correspondant à leur psychologie terrorisée, que d’un jugement politique rationne. Ces directions politiques semblent considérer cette “épreuve suprême” d’un affrontement, si la chose s’avérait inévitable, comme s’il s’agissait d’une sorte de rite initiatique rendu au Système ; elles raisonnent comme des tamtams, selon l’emploi courant du mot, selon des rites tribaux rendus au totem magique qu’est le Système, – mais, certes, sans les références à la tradition qu’on trouve dans cette geste ancienne. Il n’y a rien d’autre à attendre d’elles (de ces directions) que ces caricatures d’action de répression pure, organisées par une bureaucratie proliférante et incontrôlée ; nous sommes à des années-lumière d’un quelconque projet, même d’établissement d’une sorte de dictature mi-policière, mi-fasciste, mi-n’importe quoi, qui impliquerait au moins une pensée structurée. Le paradoxe est que ce durcissement sécuritaire et policier va de pair avec une dissolution accélérée du Système et de ces directions elles-mêmes, et de leurs jugements et pensées par conséquent.

S’il est extrêmement difficile, voire extrêmement déraisonnable, de tenter de prévoir à cet instant ce que pourrait être un mouvement de résistance et de contestation de cette ampleur per se, on peut par contre conjecturer à propos des démarches que vont suivre les directions politiques dans le cas désormais inévitable de mesures d’“austérité” draconiennes aux USA. Poussées par ce qu’elles jugeront être de la prudence et une capacité louable d’anticipation, elles vont mettre en place un tel appareil répressif qu’il se pourrait bien que ces dispositions elles-mêmes appellent, comme fait un appel d’air, la contestation et la rébellion.

Jusqu’ici, les mouvements de contestation (Tea Party, Occupy) n’ont été ni anticipés, ni appréhendés, ni évalués justement et d’une quelconque façon lors de leur développement, par les forces du Système. Les évènements ont fait que ces forces du Système se sont adaptées comme elles ont pu, mais d’une façon qui a impliqué, par le temps d’adaptation, les ajustements, etc., une certaine modération involontaire qui a empêché des effets de contre-réaction violents du côté de la contestation ; la brutalité policière elle-même ne s’est développée que d’une façon progressive, avec comme effet de ne pas susciter de ripostes organisées. On en est donc resté à des situations incertaines, sans qu’il y ait pourtant complète démobilisation (le mouvement Occupy reste en capacité latente latence d’action, et cherche une voie de réactivation). Le cas envisagé ici est complètement inédit pour cette crise, et même pour l’histoire des USA depuis certains épisodes d’affrontement durant la Grande Dépression : un cas où le pouvoir prend des mesures préventives visibles et connues, sur une échelle nationale, parce qu’il s’est persuadé que des actions violentes, insurrectionnelles, vont avoir lieu, et qu’il importe absolument de les contenir par tous les moyens et même de les réprimer, également par tous les moyens possibles. Avec l’accumulation considérable de tensions, de manipulations, de crises où les puissances d’argent responsables furent outrageusement favorisées, d’affaiblissement dramatique, de paralysie et de corruption éhontée du pouvoir, avec des psychologies exacerbées et, pour certaines plongées dans l’obsession terrorisée, – ce qui fixe un passif qui n’existait pas avant la Grande Dépression, – les risques deviennent élevés d’une confrontation grave. C’est vers cette conclusion que sont poussées et conduites (inconsciemment, à notre sens) les directions politiques, développant sans en saisir toutes les implications une sorte d’effet de provocation et d’exacerbation des tensions.

L’arrière-plan de la situation concourt à rendre les conditions encore plus risquées La campagne électorale vers l’élection présidentielle se déroule dans une atmosphère irréelle, avec un processus considéré comme bouclé avec deux candidats qui attirent plutôt des votes par défaut, d’hostilité à leurs adversaires, que des votes d’adhésion ; avec l’énigme d’une campagne Ron Paul qui est elle-même une guérilla sinon une insurrection, et à propos de laquelle des signes se multiplient pour montrer que, même hors du camp “pauliste”, on commence à s’interroger pour savoir si elle ne réserve pas des surprises de taille. (Voir, par exemple, les articles de sites aussi influents et peu suspects de “‘paulisme” que Politico.com du 29 avril 2012 et American Spectator du 30 avril 2012 ; voir aussi le show de Rachel Maddox, de MSNBC, le 1er mai 2012, ou le Washington Times du 1er mai 2012.) Ce développement si incertain se place dans le cadre désormais fragilisé par l’affaiblissement dramatique du centre, cadre qui n’est rien de moins que la structure même des USA.

Aujourd’hui, la conscience est de plus en plus forte de la perspective d’une bataille majeure, contre un Système qui est résolument devenu de type policier et arbitraire. C’est sur ce sentiment essentiellement politique que doivent venir se greffer le désespoir et la colère suscitées par des mesures d’“austérité” draconiennes, avec une population qui subit depuis quatre ans une crise majeure et dévastatrice. Cette situation nouvelle exacerbée par une campagne présidentielle aux caractères étranges s’inscrit dans un domaine symbolique d’une importance qu’il ne faut certainement pas négliger, malgré les grognements et persiflages des esprits forts. La chose participe puissamment d’un climat général qui pèse sur les psychologies, toutes les psychologies, celles qui sont terrorisées et les autres, dépressives mais éventuellement ouvertes à des réactions agressives. Le symbolisme latent de 2012, l’année pivot par excellence, l’année des grands changements politiques et l’année des diverses supputations et signes de l’épuisement, voire de l’effondrement du cycle actuel, jusqu’au calendrier maya pour les adeptes, se prête assez bien à des perspectives inattendues et inédites.

On verra. Le Système joue gros, et sans filet, ce qu’il n’apprécie pas particulièrement ; adepte de la surpuissance, il a toujours préféré les barrages d’artillerie et le carpet bombing ; mais l’on sait bien qu’à la surpuissance succède toujours l’autodestruction…