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327Le Russe Medvedev et l’Américain Obama ont signé aujourd’hui à Prague le traité de limitation des armements stratégiques START-II. Les discours sont sans doute grandioses, les succès personnels de Medvedev et d’Obama sont incontestables, – mais de quelle durée, surtout pour Obama? Mais le traité ne nous semble nullement devoir générer la dynamique annoncée.
• Un texte d’ABC.News, d’hier 7 avril 2010 affirmait clairement une contradiction quasiment officielle entre le côté US et le côté russe.
«In a statement today, Sergei Prikhodko – Russia President Dmitri Medvedev’s senior foreign policy adviser – contradicted the White House’s repeated assertion that the treaty that will be signed tomorrow in Prague by Medvedev and President Obama has no substantive linkage between a reduction in offensive nuclear arms and the US plans for missile defense in Europe.
»Russian Foreign Minister Sergei Lavrov recently stated that “linkage to missile defense is clearly spelled out in the accord and is legally binding.”
»Are they wrong? ABC News asked a senior Obama administration official.
»“Yes,” was the reply.»
• Aujourd’hui, le 8 avril 2010, Novosti annonce, en citant la déclaration unilatérale russe jointe au texte officiel : «Le traité sera en vigueur tant que l'ABM US ne menacera pas la Russie»
• Un commentaire du site WarNew, du même 8 avril 2010, après avoir relevé ces déclarations contraires, avoue son incompréhension et pose une bonne question: «If the U.S. proceeds with missile defense .... which they have stated that they will .... the Russians will formally leave the treaty. If this is the case .... then what are they signing tomorrow? What's the point?»
@PAYANT D’abord, quelques précisions anecdotiques qui ne le sont pas tant que cela. Avant le “rendez-vous de Prague”, Medvedev et Poutine ont envoyé leurs compliments à Vaclav Klaus, le président tchèque qui accueillait la signature du traité, pour “ses efforts constants pour rapprocher la Russie de l’Europe”. Il faut dire que Klaius, franc-tireur dans tous les sens, adepte du marché libre, adversaire de l’Europe, est aussi un grand ami de la Russie. Les deux dirigeants russes ont ainsi voulu marquer que, pour eux, la signature de START-II à Prague est aussi l’occasion de saluer la vraie direction tchèque selon leur cœur, celle qui cherche à se rapprocher de la Russie plutôt que celle (les gouvernements précédents) qui a couru derrière la chimère de la base anti-missile du système BMDE précédent, des USA.
Puis, sur le chemin de Prague, Medvedev s’est arrêté en Slovaquie où il a célébré l’amitié entre la Russie et la Slovaquie. Divers accords ont été signés, dont un de coopération militaire (Novosti, le
Sérions nos remarques selon plusieurs approches…
• Le traité, d’abord. Au début de l’automne, c’était un énorme poisson, une baleine, une révolution, quelque chose qui allait tout changer. On était d’accord sur tout, on clignait de l’œil, on levait le pouce. En novembre, les Russes pensaient même accélérer en turbo pour offrir le traité à Obama avant qu’il aille empocher le Prix Nobel de la Paix, histoire de justifier la chose. Aujourd’hui, plus rien de tout cela. Le traité est une pétoire à un coup, pleine de sous-entendus, de non-dits, de trop-dits et ainsi de suite. On a rarement vu un traité que chacun des deux signataires semble avoir rédigé et signé, chacun dans son coin, sans consulter l’autre, – dans tous les cas pour l’esprit de la chose. Ainsi cela réduit-il START-II à des dimensions notablement petites par rapport à ce qu’on en prévoyait.
• Alors, pourquoi les Russes signent-ils s’ils laissent entendre qu’ils le quitteront sous peu, lorsque les Américains lanceront des projets ABM dangereux? Pourquoi WarNews ne pose-t-il pas la question inverse: pourquoi les USA signent-ils ce traité s’ils soupçonnent les Russes d’éventuellement le quitter puisqu’eux-mêmes ont l’intention de poursuivre le développement des ABM? Finalement, il y a une réponse pour les deux, qui n’a rien à voir avec les armements, qui a à voir avec des situations tactiques et stratégiques sans rapport direct avec le contenu et les ambitions du traité. Les USA signent parce qu’Obama a besoin d’un truc qui fasse grande victoire internationale et apparence de recul du nucléaire. (On sait qu’entre les ambitions et les réalités, chez Obama, il y a une marge. Sa toute récente “nouvelle” doctrine nucléaire ne change pas grand’chose de fondamental par rapport à la précédente qu’il prétend modifier.) Les Russes, eux, signent parce qu’ils n’ont rien à perdre en fait d’armes stratégiques dans ce traité, et que la signature de ce traité les réinstalle à une place de puissance importante, presque une superpuissance traitant avec l’autre superpuissance, comme du temps de la Guerre froide. Les Russes sauront en profiter en termes de légitimité.
• Avec ce dernier point, on en revient à un aspect plus régional, qui concerne les Russes. En même temps qu’ils signent START-II, ils lancent une véritable offensive vers leurs anciens satellites, avec lesquels ils étaient à couteaux tirés il y a encore un an, il y a encore deux ans certainement. Ils se réconcilient avec la Pologne, ils font des amabilités aux Slovaques, et même aux Tchèques, en la personne de l’excentrique Vaclav Klaus. Ils peuvent le faire, justement, investis d’une nouvelle légitimité (START-II), acquise dans leurs rapports avec la puissance US, – donc avec une sorte de vertu que nos milieux politiques à l’esprit assez pauvre tiennent pour vraie dès lors qu’on a traité avec les USA. De ce point de vue, START-II, que certains voyaient comme une façon pour les Russes de s’éloigner des préoccupations régionales, les y ramènent dans des atours soudain bienséants. Ce n’est pas pour effrayer les uns ou les autres, mais au contraire pour les séduire par un aura de respectabilité.
L’intérêt de START-II, annoncé comme un pas en avant considérable dans le domaine de la réduction des armements nucléaires, est tombé totalement prisonnier des contraintes contradictoires des centres de direction du système. Stratégiquement sa signification est nulle, politiquement elle est faible. Indirectement, dans tant ou tel cas, elle peut conduire à des prolongements intéressants. Cela n'empêchera pas la saga des anti-missiles US de se poursuivre.
Finalement, entre le rendez-vous de Prague et celui de Katyn, nous nous demanderions si le second n'est pas le plus important...
Mis en ligne le 8 mars 2010 à 17H36