Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
155025 janvier 2025 (18H15) – Les débuts de Trump-II sont extraordinairement agitées, rapides jusqu’à paraître hors de contrôle, et d’une complexité telle dans les contradictions, affirmations fantaisistes, envolées de Trump. Les Russes, d’abord sur leurs gardes, en arrivent désormais à tenter de suivre presqu’avec fascination pour comprendre exactement ce que veut le président Trump et quelle est si politique, et s’il a une politique, etc. Ils ont dépassé le stade des erreurs grossières où Trump se prenait les neurones dans les millions de morts ; Pechkov et Zakharova se sont chargés de le remettre au pas...
Poutine, lui, a fait un usage remarquable de ses vertus de calme, de patience et de bienveillance diplomatique. Il n’a cessé de déclarer qu’il était intéressé à parler dans tous les cas avec Trump, tout en renouvelant les conditions inflexibles des Russes sur l’Ukraine. Mais j’en viens à me demander si Poutine lui-même n’est pas désorienté par Trump et s’il ne songe pas à une autre tactique que celle du simple “tenir, sourire, attendre et voir”. La bienveillance et l’amabilité du président russe évoluent avec une telle insistance que je crois qu’il est permis de se demander s’il n’y a pas chez lui une tactique plus élaborée, qui voit plus loin, qui se permet même d’imaginer qu’il entr’aperçoit de quelle stratégie il s’agit.
Je songe notamment à l’intervention de Poutine dans une interview où il a complètement appuyé la thèse de la fraude antiTrump lors des élections de 2020 et abondé dans le sens trumpiste du “si l’on ne m’avait pas volé la victoire, il n’y aurait pas eu la guerre en Ukraine parce que je n’en voulais pas”. C’est tout de même, de la part de Poutine, soutenir avec une fougue et une netteté qui changent beaucoup de sa prudence habituelle, l’une des thèses les plus contestées, les plus détestées, les plus honnies et haïes du Trump de 2020-2024... Que l’on prenne bien garde à mon propos, où il ne m’intéresse pas de savoir si la chose est vraie ou fausse, mais où il m’intéresse de voir que Poutine-le-prudent, soudainement pris d’emportement, soutient sans la moindre hésitation le Trump le plus polémique que l’on puisse imaginer dans les impressionnants cénacles de la diplomatie hautement morale du bloc américaniste-occidentaliste :
« “Je ne peux pas être en désaccord avec lui sur le fait que s’il avait été président, si sa victoire n’avait pas été volée en 2020, peut-être que la crise en Ukraine qui a éclaté en 2022 n’aurait pas eu lieu”, a déclaré Poutine dans une interview publiée vendredi par le journaliste de la télévision Russe-1 Pavel Zarubine sur ‘Telegram’.
» En 2023, Trump a déclaré à l’animateur de radio américain Hugh Hewitt que le conflit ukrainien n’aurait jamais commencé si les élections américaines de 2020 n’avaient pas été “truquées” et si Joe Biden ne l’avait pas remplacé dans son bureau ovale.
» “[Poutine] n’aurait jamais fait cela si l’élection n’avait pas été truquée, notre élection. Elle a été truquée et volée. Si cette élection n’avait pas été truquée, si j’étais président, vous auriez actuellement des millions de personnes vivantes qui sont mortes”, selon une transcription de l’interview. »
Poutine ne fait rien sans avoir effectué un calcul rationnel sur les prolongements de l’acte qu’il pose, et les avantages éventuels. Dans le cas qui nous occupe, a-t-il vraiment besoin d’en rajouter pour “séduire” Trump, alors que le nouveau président des États-Unis se précipite dans ses bras en jetant des compliments à son égard de tous côtés, dont certains incroyablement maladroits comme à son habitude ?
Quel est ce calcul et où le mène-t-il, Poutine ? On peut raisonnablement poser la question, sans crainte d’une réponse paralysante, pour faire démarrer mon hypothèse.
Celle-ci, mon hypothèse, était déjà dans le texte d’hier, dont elle formait l’épine dorsale. Il s’agit d’une remarque faite par « le cinéaste et politologue Karen Shakhnazarov », qui surprit tant Dimitri Simes, que nous connaissons bien, qui organisait le débat sur la chaîne russe ‘Channel-One’ :
« La conclusion la plus inattendue a peut-être été tirée mardi soir [21 janvier] dans l'émission ‘The Big Game’ de la chaîne Channel One par le cinéaste et politologue Karen Shakhnazarov. “Vous savez, a-t-il dit, en répondant à une question de Dimitri Simes, le présentateur, qui lui demandait de parler de ses impressions sur le discours d'investiture de Donald Trump, il m'a rappelé à certains égards notre Mikhaïl Sergueïevitch Gorbatchev”.
» Pour expliquer cette comparaison inattendue et même choquante, qui a quelque peu surpris le politologue chevronné qu’est Simes, Shakhnazarov a noté que ce que Trump allait faire était en fait une sorte de restructuration [ou ‘perestroïka’], notant que l’Amérique est au bord de changements majeurs. Ainsi, à l’époque de Gorbatchev, les changements étaient attendus en URSS. À l'époque aussi, tout le monde – les gauchistes comme les droitiers, les libéraux comme les conservateurs – applaudissait Gorbatchev. Alors, selon Shakhnazarov, ce que Trump a promis pourrait conduire les États-Unis à de gros problèmes. »
Rappelez-vous également qu’à la fin, ce même texte sur Trump, que je trouve écrit sur ce ton mi-figue mi-raisin (« Trump's Discouraging speech ») qui nous donne peut-être une vérité-de-situation, on trouve quelques lignes qui constatent que, jusqu’ici, la seule démarche claire et assurée de Trump-II, c’est sa lutte contre le ‘DeepState’. C’est le domaine qui est perçu comme le plus explicitement affirmé dans le discours inaugural, et cela justement est un facteur important qui fait penser à Gorbatchev et à sa lutte contre la bureaucratie communiste et ses diverses tentacules (le ‘DeepState’ de l’URSS).
« En bref, le discours d'investiture de Donald Trump a montré qu'il avait sérieusement décidé de combattre l’‘État profond ’, ces forces qui dirigent le monde occidental et préfèrent rester dans l'ombre. Et cela, en général, n'a pas été une surprise.
» “Quand je reviendrai dans le Bureau ovale”, a déclaré Trump avant son investiture, “nous détruirons complètement l'État profond. Nous créerons une commission de vérité et de réconciliation qui déclassifiera et publiera tous les documents sur l'espionnage d'État, la censure et la corruption !”
» “Trump est devenu une menace après de tels mots. Les élites supranationales de l’‘État profond’ ne lui pardonneront pas de telles déclarations, et encore moins ses actes. Comment ne le ferait-il pas ? »
... L’hypothèse devenant alors : n’est-ce pas la même ligne de pensée qui traverse l’esprit de Poutine ?
Poutine est un homme enclin à envisager cette sorte d’hypothèse. Il vient du KGB qui, malgré les cris d’horreur et d’orfraie de nos gardiens de la vigilance morale, n’avait plus dans le dernier quart du XXème siècle les pratiques monstrueuses du NKVD de Staline, – et peut-être même pas, en ampleur, celles de la CIA courante. Il s’agissait d’un très puissant service de renseignement, avec sa bureaucratie, ses “opérationnels” de la manipulation et ses quelques groupes de choc.
Poutine était un “opérationnel” (en RDA, dans les années 1985-1989), c’est-à-dire un officier d’action mais attentif à éviter toutes sortes d’opérations brutales pour privilégier les recrutements classiques, sources de renseignement et de manipulation. D’où il était, il pouvait mesurer le poids de la bureaucratie par rapport aux opérations de renseignement et d’action ; c’est-à-dire qu’il pouvait mesurer le poids du délabrement de l’URSS dans les années 1970-1980, et s’il a toujours considéré que, de cœur, il regrettait l’URSS, il a toujours ajouté que, de raison, il jugeait inévitable son effondrement.
Au-dessus de ces observations internes, le KGB constituait le service de sécurité le plus avancé de l’URSS sur les mondes extérieurs, en un sens avec l’état d’esprit qu’on pourrait dire le plus “progressiste” (en pesant avec précaution le qualificatif). Ainsi, le KGB fut le seul service de sécurité important à exprimer de très-graves réserves contre l’invasion de l’Afghanistan. Andropov fut chef du KGB pendant une quinzaine d’années avant de devenir le Secrétaire Général du PC en 1982 (mort un an plus tard). Dans ce cadre, c’est Andropov qui avait mis Gorbatchev sur une orbite de réformes profondes qui déboucha sur la direction du Parti en mars 1985. D’une certaine façon, les destins de Gorbatchev et de Poutine se complètent, le premier effectuant les réformes que le second jugeait nécessaires, mais en allant trop loin du point de vue politique pour le second, jusqu’à l’effondrement de1991.
Mon hypothèse est que c’est peut-être à tout cela que songe Poutine observant Trump, selon un raisonnement qui rejoint celui de Karen Shakhnazarov... Pourquoi Trump ne serait-il pas un Gorbatchev américaniste ?
Je songe à cette hypothèse parce que, malgré toutes les câlineries actuelles sur la reprise du dialogue USA-Russie et des négociations d’une paix ukrainienne dont les esprits mesurés savent bien qu’elle se fera au rythme des victoires russes, il me semble que Poutine a acquis comme les autres dirigeants russes, après trois années du traitement américaniste-occidentaliste infligé à la Russie, la conviction désormais de l’inévitabilité d’un affrontement avec l’Ouest dans le cadre d’un conflit civilisationnel.
On comprend alors que pour lui, tout au fond de sa conscience, juste à la limite de l’inconscient qui, dans notre fonctionnement, fait le lien avec la philosophie de l’histoire, le concept d’une évolution gorbatchévienne des USA serait, et de très loin, la meilleure voie à prendre, à suivre, à arpenter... S’il faut l’encourager en applaudissant aux exploits de Trump-II, applaudissons-le, Folleville !
... Après tout, hein, une hypothèse, pour nous autres qui nous targuons d’encore goûter la poésie, une hypothèse dans ces conditions c’est presqu’un rêve prémonitoire