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8 mai 2005 — La vertu du gouvernement et du système britannique est la stabilité. Le problème est qu’aujourd’hui, la stabilité devient une caricature d’elle-même avec l’affrontement Blair-Brown à l’intérieur du parti vainqueur. D’autre part, cette caricature est en train d’avoir raison de la légitimité du système.
Un court et excellent article du Financial Times (FT) mesure l’étendue du problème, qui se lit dans les chiffres, au dernier décompte d’hier soir.
• Les travaillistes ont 35,2% des voix et 356 sièges (61% des sièges pour 32,2% des voix).
• Les conservateurs ont 197 sièges pour 32,3% (34% des sièges pour 32,3% des voix).
• Les libéraux ont 60 sièges pour 22% des voix (10% des sièges pour 22% des voix).
Selon la Electoral Reform Society: « this is probably the largest degree of bias the system has ever produced ». (En 2001, le Labour avait 67% des sièges pour 41% des voix, établissant le précédent record.)
Le FT observe: « Westminster's system has discriminated against the third-placed Liberal Democrats for decades. Their post-election demands for proportional representation will probably fall on deaf ears. But if, partly as a consequence of rising support for Charles Kennedy's party, Labour and the Conservatives come close in terms of share of the vote, the pressure for reform could become irresistible.
» Labour could have conceivably won a parliamentary majority on a smaller share of the vote than the Conservatives. “It would be a travesty of democracy,” says Lord Lipsey, the Labour peer and chairman of Make Votes Count. “How do you claim a mandate in that situation?” »
La situation de cet écart entre le nombre de voix et la représentation parlementaire, supportable pendant des décennies, atteint aujourd’hui le domaine de l’insupportable lorsque de telles hypothèses (le Labour pouvant être majoritaire en sièges et second en voix derrière les Conservateurs) apparaissent complètement fondées.
Les causes arithmétiques (favorables aux travaillistes) de la crise sont assez techniques ou hasardeuses. Le FT, proche des conservateurs, n’y voit aucun complot des travaillistes mais une meilleure sensibilité à ces questions. Des causes politiques plus larges ont conduit à cette situation de crise :
• Le bipartisme britannique a vécu, à l’image de la stabilité qu’il représentait. Lorsque les libéraux font 22% des voix, les travaillistes et les conservateurs 35% et 32%, le bipartisme est mort et la pression pour changer le système devient irrésistible.
• La crise est aggravée par la soi-disant “popularité” de Tony Blair, essentiellement médiatique et exaltée par les médias. Lorsque cette popularité s’appuie sur les chiffres qu’on voit, elle devient une usurpation (absence de légitimité) et aboutit à des crises de confiance comme celle de l’Irak où le chef du gouvernement est totalement désavoué par la population. Qu’il tienne en place et soit réélu n’est ni un tribut à son courage, ni une preuve de stabilité, comme l’ont glorieusement affirmé tous les médias, y compris les plus sérieux, — c’est une démonstration de son illégitimité et de la crise du système. Le résultat final est l’impuissance politique où se trouve réduit Blair aujourd’hui, à cause de la crise avec Brown dans son gouvernement; et cette impuissance de Blair pourrait devenir celle de Brown, à cause des circonstances extérieures. La stabilité est devenue impuissance.
Que reste-t-il des vertus tant vantées du système anglo-saxon ?
La variante britannique du système de représentation parlementaire anglo-saxon est dans une crise à sa façon, comme l’est, à sa façon à elle, la variante américaniste (élection de 2000 où le résultat final contredit le vote populaire, élection de 2004 avec les soupçons de fraude électronique massive dans les États-clés de Floride et de l’Ohio). Ce système anglo-saxon est fait pour garder sa représentation parlementaire des entraînements déraisonnables du peuple autant que d’éventuelles tendances déstabilisatrices ou révolutionnaires de ce même peuple, même lorsqu’elles peuvent être majoritaires. En d’autres mots, le système est présenté comme un gage de stabilité (interprétation favorable) ou comme une entreprise de protection des intérêts oligarchiques qui le dominent (interprétation défavorable), — les deux explications étant valables, à notre sens.
Le problème du système anglo-saxon est qu’il a développé une hyper-sensibilité populaire pour des raisons systémiques également, — son besoin quasiment ontologique de propagande (à cause de son illégitimité de représentation), transformée par les moyens de communication en un virtualisme qui est pratiquement impossible à corriger. Aujourd’hui, cette propagande devenue virtualisme s’exerce pour soutenir et promouvoir des politiques économiques et militaires expansionnistes et globalisantes. Cet usage intensif du médiatisme propagandiste, puis du virtualisme dans une forme élaborée, a abouti à l’exaltation quasiment hystérique de la démocratie, ce qui implique une exigence d’une représentation parlementaire équitable. Cette situation constitue évidemment une contradiction insupportable.