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4857 octobre 2008 — Nos lecteurs n’ignorent pas que ce n’est certes pas sur ce site qu’ils trouveront un entraînement particulier pour des prévisions et des analyses économiques et financières. Nos connaissances dans ces domaines sont limitées. Est-ce une cause ou un effet? Notre confiance dans les analyses et les prévisions dans ces domaines est, elle, très limitée, et notre sentiment de l’importance structurelle de ces domaines à mesure. Nous ne dénions pas une seconde l’importance événementielle de ces crises financières et économiques et l’importance de leurs effets; mais nous les voyons, ces crises et leurs effets, comme des courroies de transmission de tensions venues d’autres événements, vers d’autres événements.
Nous revenons ainsi sans cesse sur la structure de notre analyse: le nécessaire décloisonnement des esprits pour, notamment mais essentiellement, mieux embrasser la corrélation entre les événements (entre les crises). Nous établissons naturellement une hiérarchie de l’importance des événements. Il nous semble que ces crises économiques et financières sont des courroies de transmission, ou des moyens de transmission entre le domaine politique au sens le plus large, et le domaine psychologique au sens le plus large. Dominant tout cela, le domaine fondamental de l’Histoire. Ce dernier point nous paraît très actuel contrairement à l’entendement du mot (“Histoire”) dans sa conceptualisation courante parce que l’accélération des communications, c’est-à-dire la capacité de voir et d’interpréter l’événement en même temps qu’on le vit, a accéléré prodigieusement l’ “historicisation” de ces événements en cours; ce faisant, l’Histoire a grandi encore en importance, en devenant métahistoire lorsqu’elle est ainsi appréhendée comme facteur d’une synthèse directe, quasiment immédiate, du passé et du présent.
C’est à l’aide de cette méthodologie que nous tentons d’interpréter les événements. Ceux qui se sont produits hier, avec une nouvelle chute de la confiance alors que les pouvoirs politiques étaient déjà intervenus, nous ont ainsi semblé marquer une étape importante. Ils ont montré deux choses:
• L’implication désormais complète des pouvoirs politiques dans la crise financière et économique, de différentes façons selon qu’on parle des USA ou de l’Europe. La “politisation” de la crise est achevée, ce qui signifie que les enjeux sont désormais différents. Cette “politisation” se fait paradoxalement, mais logiquement, alors que le pouvoir politique s’est affaibli depuis le 15 septembre.
• L’internationalisation, ou globalisation de la crise, s’est confirmée et affirmée. Plus qu’y voir un événement important pour l’éventuelle concurrence entre les centres divers ou une éventuelle coordination entre ces centres, nous y voyons surtout une sorte de globalisation de l’idéologie-en-crise, permettant éventuellement à tous les acteurs de mettre en cause cette idéologie.
Nous passons rapidement en revue ces deux points.
Les événements d’hier ont montré que l’action économique du pouvoir US, – le Congrès ayant approuvé le plan de $700 milliards décidé par le gouvernement, – était insuffisante pour combattre le désarroi psychologique causé par la crise. Depuis que ce ce plan a été voté par la Chambre, vendredi après-midi, Wall Street a chuté deux fois (vendredi en fin de journée et lundi). Le but principal du plan qui était son effet psychologique (le «Vous me demandez mon avis en tant qu'économiste. Malheureusement, c'est une question de psychologie.» du président de la Fed Ben Bernanke), – ce but n’est pas atteint. Le plan Paulson est, d’un point de vue psychologique, complètement banalisé.
A cet égard, il s’agissait d’un quitte ou double; ou la mesure de stabilisation (le plan Paulson) était adoptée, si possible rapidement, et confirmait le choc (positif) initial de l’annonce, ou elle ne le confirmait pas pour l’une ou l’autre raison. On peut épiloguer sur cette possibilité perdue mais il nous apparaît évident que la faiblesse du pouvoir US dans les faits de sa division et de son absence de solidarité de système est la principale cause de cet échec. Le pouvoir US a montré l’affaiblissement radical de sa puissance politique de représentation de la puissance des USA. Cet échec est paradoxalement la cause de la “politisation” de la crise du côté US puisqu’il réduit à mesure les capacités d’intervention économique de ce pouvoir et renvoie son action dans le champ politique. Comme l’on sait, le champ est désert puisque le pouvoir US est en vacances au moins jusqu’à fin janvier 2009.
Un processus assez similaire est en cours du côté des pays européens, mais pour une autre raison. Le hiatus entre les dimensions nationales et la dimension européenne, les unes contrecarrant l’autre et vice-versa, et aucune n’étant décisive de ce fait, contrecarre dramatiquement les actions économiques des pouvoirs politiques. Là aussi, la crise évolue évidemment vers le pouvoir politique. Là aussi, cette évolution se fait alors que paradoxalement le pouvoir politique est affaibli par l’effet faible ou désordonné de ses interventions financières.
Le paradoxe de cette situation où l’on est passé dans le domaine politique est que l’action des pouvoirs politiques va devenir une nécessité politique, même si cette action est financière, et même si elle est affaiblie. Le problème deviendrait alors, désormais, celui de la stabilité politique des directions. Même si ceux qui, parmi les idéologues les plus affirmés du laisser faire, disent qu’une action politique n’est pas nécessaire, que les marchés régleront seuls leur problème, même si ceux-là avaient techniquement raison, les pouvoirs politiques n’évoluent plus dans cette logique. L’inaction, pour eux, équivaudrait à un suicide politique; ils sont conduits à penser cela de plus en plus, et cette attitude se reflète dans la psychologie de l’opinion publique. Cette conjonction de perceptions crée un fait politique qui l’emporte sur les considérations financières techniques. La crise financière est devenue un défi politique majeur pour le pouvoir politique.
La globalisation de la crise est un fait acquis. On s’en réjouit en général parce qu’on y voit la corrélation des intérêts, la solidarité et la coopération nécessaires et/ou forcées, – c’est-à-dire, au bout du compte, l’ancrage de l’économie globale dans l’idéologie du laisser faire qui est développée par les USA, – puisque la globalisation c’est un faux masque pour l’américanisation. Mais ce raisonnement a ses limites qui sont les limites de la crise. Il vaut si l’on arrive à arrêter la crise et à rétablir les choses dans leur soi disant équilibre, type statu quo ante malgré tous les artifices de la manœuvre. Le point où cela peut être encore fait n’est pas loin d’être dépassé, si ce n’est déjà fait. La globalisation révèle alors son autre visage.
Si la crise se poursuit effectivement et si rien ne peut être fait contre elle, la globalisation est interprétée d’une façon radicalement inverse. Elle devient le moyen maléfique de diffusion de la crise partout, une sorte de peste galopante. Cela était supportable quand c’étaient “les autres” qui en pâtissaient, comme en 1998-1999 (la Thaïlande, la Corée, la Russie, l’Argentine, etc.); on pouvait alors faire la leçon à la gloire du laisser faire, reprochant aux victimes de l’être trop, de n’en avoir pas assez fait puisque ceux qui en avaient beaucoup fait étaient indemnes. Aujourd’hui, tout le monde est touché, et en plus à mesure de l’engagement dans la doctrine, qui ne peut plus être présenté comme une protection mais qui apparaît comme un risque que le bon sens jugera vite insupportable. Dès ce moment, la globalisation permet à qui le veut, à tout le monde peut-être, sauf les USA sans doute, de mettre en cause la doctrine, – comme cela est déjà fait, à l’ONU ou avec les Français et les Allemands. La mise en cause de la doctrine devient légitime, au nom même de la globalisation qui donne à tout le monde voix au chapitre.
La comparaison avec la Grande Dépression est instructive. Nombre d’économistes mettent en avant les mesures protectionnistes US (le Smoot-Hawley Tariff Act de juin 1930) comme cause technique, au moins de l’aggravation de la situation aux USA. Admettons l’explication technique en nous en tenant dans ce champ de l'économie. Une autre façon de voir est qu’en établissant un protectionnisme couplé avec l’isolationnisme d’alors, les USA se sont refermés sur eux-mêmes. Ils en ont subi les conséquences économiques, c’est l’hypothèse des économistes cités et ce n’est qu’une hypothèse; un constat assuré, par contre, est qu’ils ont ainsi évité des influences et des pressions extérieures qui auraient peut-être, dans le climat politique tendu et anticapitaliste des années 1930, conduit à la mise en cause du capitalisme US. Ce capitalisme fut celui que FDR sauva, au contraire, grâce à son brio de communicateur et des mesures économiques qui, outre leur insuccès, ne touchaient à rien des fondements de la doctrine, et avec toute latitude de faire ce qu’il voulait à cet égard puisqu’enfermé dans un environnement isolé. La Grande Dépression fit-elle des dégâts? Cela pèse de peu de poids à côté de ceci: le résultat net de la Grande Dépression fut d’abord la protection de la doctrine et du capitalisme et, à partir de 1945, après une participation US à la guerre largement favorisée par cette même Grande Dépression , une position de domination absolue des USA sur le monde.
L’évolution, aujourd’hui, à partir d’une globalisation/américanisation d’ores et déjà effectuée, peut être inverse; la doctrine exportée, exposée à la critique mortelle de certains de ses plus importants participants, mise en cause d’une façon globale. La globalisation pourrait nous réserver des surprises. En attendant, elle ne fait qu’exacerber les tensions, notamment entre les USA et l’Europe, les USA accusant l’Europe de n’en pas faire assez, notamment de ne pas adopter l’équivalent du plan Paulson dont le triomphe aux USA est évidemment une marque assurée de sa qualité et de sa nécessité. Là aussi, la propagande jusqu’au virtualisme est à l’œuvre.
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