Le rythme s’accélère

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Le rythme s’accélère


5 mars 2007 — La rencontre, dimanche, entre le président iranien (en visite à Riyad) et les dirigeants saoudiens marque une accélération du processus de régionalisation des conflits au Moyen-Orient, et la marginalisation grandissante des USA. Les rencontres entre les Saoudiens et les Iraniens sont nombreuses en ce moment mais la rencontre d’hier était plus importante parce qu’au plus haut niveau. Ce courant d’échange contraste étrangement avec l’interprétation d’une hostilité profonde entre les deux pays lorsque l’équation de leurs relations est interprétée en fonction de Washington, et selon le point de vue influencé par la perception de Washington, ou rendant compte de cette perception.

Voici quelques mots de la rencontre, de l’agence Reuters, le 4 mars.

«Sunni and Shi'ite heavyweights Saudi Arabia and Iran agreed on Saturday to fight the spread of sectarian strife that threatens to spill over from their neighbor Iraq, the Saudi foreign minister said.

»Saudi King Abdullah held talks with Iranian President Mahmoud Ahmadinejad who was on his first official trip to Saudi Arabia. A Saudi official said earlier the kingdom would seek Iran's help to ease sectarian tensions in Iraq erupting into full-blown civil war.

»Killings by Sunni and Shi'ite death squads in Iraq and the political crisis in Lebanon dividing Sunni and Shi'ite parties have led to fears of sectarian conflict in the Middle East. Sunni Saudi Arabia and Shi'ite Iran are among the most influential nations of their respective branches of Islam.

»“The two parties have agreed to stop any attempt aimed at spreading sectarian strife in the region,” Saudi Foreign Minister Prince Saud al-Faisal told reporters.

»“The two leaders stressed that the greatest threat against the Muslim nation are attempts to spread strife between Sunni and Shi'ite Muslims,” the official Saudi agency SPA said.

»Ahmadinejad and King Abdullah also voiced support for Iraq's government, its national unity and the “equality of its citizens”.

»Ahmadinejad voiced support for Saudi efforts to ease tensions in Lebanon, and the two leaders called on all parts to cooperate with these efforts, the agency said.

»The agency made no reference to Iran's nuclear program, which Iranian state media had said was expected to be discussed. SPA said Ahmadinejad left Riyadh after the talks.

(…)

»Saudi and Iranian officials have met several times in recent weeks to mediate between Lebanon's Hezbollah-led opposition and Prime Minister Fouad Siniora's U.S. and Saudi-backed government.»

D’autre part, deux autres informations sont à signaler concernant la situation autour de la crise iranienne et la crise du Moyen-Orient en général.

• Les Saoudiens soutiennent financièrement les rebelles sunnites en Irak. La chose a été discrètement révélée lors d’une récente audition du nouveau directeur du renseignement national, l’amiral McConnell. Les réponses de McConnell aux questions du sénateur démocrate Carl Levin ont été embarrassées, volontairement imprécises. McConnell voulait surtout ne pas laisser croire que le gouvernement saoudien lui-même était impliqué et a parlé vaguement de “personnes” ou de “groupes”. Effectivement, cette révélation affaiblit considérablement le dossier US à la charge de l’Iran, accusé d’aider les rebelles chiites en Irak sans que des preuves satisfaisantes aient été fournies. L’aide des Saoudiens aux rebelles sunnites semble beaucoup plus avérée que l’aide iranienne aux rebelles chiites, même si les deux ne font guère de doute. Mais l’Arabie est un allié très proche de Washington alors que l’Iran est membre de l’“axe du mal”, premier sur la liste des pays à rayer de la carte. Gênant.

• Des sources diplomatiques européennes signalent que, depuis plusieurs mois, les négociateurs américains sont complètement effacés dans les négociations à l’ONU sur les sanctions contre l’Iran. «Ils se signalent de temps en temps par quelques interventions sans grande conséquence, souvent pour marquer leur mauvaise humeur. Mais en général, ils suivent les autres. En réalité, les négociations sont menées par les Français et les Anglais, avec les Russes et les Chinois qui freinent. A une occasion, les Américains ont proposé un durcissement sur un point, les Russes ont riposté qu’il n’en était pas question et les Américains se sont tus.»

La vraie crise est à Washington

Il est manifeste que le principal élément aujourd’hui dans la crise iranienne (et la crise du Moyen-Orient), c’est la crise du pouvoir américaniste avec le désarroi complet de la politique étrangère US qui en découle.

Ce qu’on constate, c’est une accélération de la “régionalisation” de la crise iranienne dans ce cadre, qui devrait plutôt être élargie à la crise du Moyen-Orient (Iran, Irak, Liban et Israël-Palestine). Désormais, l’Arabie et l’Iran sont les deux principaux acteurs de cette situation, avec des rapports ambigus, faits d’antagonisme et de coopération. Les USA sont incapables de sortir de leur obsession irakienne assortie du conflit washingtonien entre la Maison-Blanche et le Congrès, voire avec les dissensions entre agences, départements, etc. L’analyse US, même lorsqu’elle vient d’adversaires du pouvoir washingtonien, est systématiquement celle de l’affrontement : l’Arabie et l’Iran perçus comme des ennemis irréconciliables, ne pouvant avoir que des rapports d’antagonisme. Israël, allié des USA, est soumis au même traitement de la perception uniquement et radicalement antagoniste, notamment obligé par les USA d’écarter toute tentative d’arrangement avec les Syriens, — avec la possibilité entrevue par certains (voir Kolko) qu’Israël évolue et se dégage de cette contrainte pour envisager ses seuls intérêts régionaux.

(Les interprétations comme celles de Seymour Hersh concernant la “nouvelle stratégie” US renvoient évidemment aux analyses en cours à Washington. De même de la récente décision des USA de participer à cette conférence où les Iraniens seront présents. De même enfin de notre propre analyse du 27 février, à partir du point de vue anglo-saxon, de l’évolution de l’Arabie Saoudite. Si tous ces points de vue rencontrent certaines réalités, ils reflètent surtout la vision américaniste de la situation. La réalité plus générale, elle, est en train de s’éloigner de plus en plus de ce point de vue.)

Au niveau multilatéral de la crise iranienne (question du nucléaire), c’est le même phénomène. Les USA figurent de moins en moins comme un acteur constructif et perdent chaque jour davantage leur capacité de freiner ou d’influer sur l’évolution du conflit qui se fait entre les autres membres permanents du Conseil et l’Iran. Là aussi, le facteur essentiel de la situation est la crise du pouvoir à Washington, avec les mêmes composants multiples que précédemment décrits.