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618014 juillet 2019 – “Quelle serait la véritable motivation d’Erdogan pour acquérir des S-400 russes ?”, interroge fort à propos Spoutnik-français en présentant une interview de Mark Sleboda ; et je dirais plus volontiers : “quelle est la véritable motivation d’Erdogan, qui lui a donné assez de force pour résister aux pressions US, épouvantables et écrasantes depuis 2015-2016”, –et puis enfin, je dirais encore plus volontiers, “depuis août 2016, un mois après juillet 2016”...
(La source est des plus acceptables pour mon compte... Sleboda a fait l’objet en mai 2018 d’une colonne du Guardian l’accusant d’être un propagandiste pro-Kremlin, ce qui serait un bon signe, presqu’une décoration Pour le Mérite de la loyauté journalistique, par simple logique négative puisque l’accusateur est comme d’habitude embourbé dans son habituel simulacre, et ainsi ne trouve-t-on guère de source plus faussaire que le Guardian dans ce domaine. Il ne fait aucun doute que Sleboda, un expert très international [né aux USA, d’origine russe, aujourd’hui habitant Moscou, un proche de Douguine], est plutôt du côté de Poutine que du côté des FEMEN et des Pussy Riot ; de ce fait plus instruit, mieux informé, d’un intérêt infiniment plus élevé et d’un professionnalisme à mesure, plus fin et nuancé même quand il plaide sa cause et défend effectivement la politique russe. On peut donc bien mieux entendre ce qu’il nous dit, faire éventuellement le tri si nécessaire, et en apprendre là-dessus ; c’est ma préférence, plutôt que de supporter le fardeau des geignements affectivistes et les proclamations terroristes de la moraline hystérique des milieux sociétaux-progressistes-modernistes.)
Sleboda a une thèse sur les S-400 livrés à Erdogan. Parlant donc à Spoutnik, il dit à l’intention des braves et inquiets experts américanistes et technologistes du Pentagone qui tremblent pour leurs magnifiques F-35 : “Ne craignez rien”... (Nous ajouterions à l’intention des Turcs, car vous connaissez notre affaire-JSF : “Et vous, Turcs, ne regrettez rien, et surtout pas, surtout pas le F-35”.)
« [Sleboda] a rappelé que les États-Unis avaient cherché à dissuader les Turcs de faire cet achat [des S-400]. Des responsables du Pentagone redoutent que les S-400, fonctionnant sur le même réseau que celui du F-35 Lightning II, n’exposent les faiblesses de cet avion furtif américain à d'autres exploitants de S-400, comme la Russie et la Chine, qui pourraient se retrouver un jour menacés par une frappe aérienne de F-35... [...]
» Selon Mark Sleboda, ces craintes de Washington seraient sans fondement... »
(Certes, parler de la menace d’“une frappe aérienne de F-35, c’est déjà évoluer dans “Alice au Simulacre des Merveilles”... Mais je passe, car là n’est pas le propos.)
La véritable raison de l’achat de S-400, qui ne peuvent pas être intégrés dans le circuit OTAN, c’est que justement ils ne le seront en aucune façon (et donc, non liés à d’éventuels F-35 que les Turcs ne recevront sans doute pas, pour leur plus grand bonheur inconscient). Selon Sleboda, c’est effectivement cet argument qui, parmi d’autres dont simplement les excellentes capacités anti-aériennes du S-400, ont conduit le président turc a tenir une ligne aussi dure face aux pressions des USA...
« ...[L]a véritable motivation d’Erdogan à acquérir des S-400 russes serait de se prémunir contre une situation où ses propres militaires puissent se retourner contre lui”, explique Sloboda.
» “Le S-400 a des capacités que la Turquie n’a pas pour le moment. […] Par ailleurs, le S-400 ne s'intègre pas aux systèmes de l'Otan qui ne pourrait pas non plus le désactiver, comme ce fut le cas lors de la guerre du Golfe avec Saddam Hussein, qui avait acheté des systèmes de défense antiaériens français qui furent tous désactivés sur un signal des États-Unis, (*) – à distance”, a rappelé l’interlocuteur de Sputnik. »
Sleboda expose à partir de là sa théorie, qui s’appuie essentiellement sur les circonstances de la tentative de coup d’État contre Erdogan d’il y a trois ans quasi-exactement, à deux-trois jours près. (On va voir que cette date quasiment d’anniversaire n’est pas un fait sans importance, ni peut-être même un fait dû au hasard...)
Et Sleboda « d’expliquer que si les États-Unis et les autres pays de l'Otan prenaient une position politique contre la Turquie et décidaient d’un ‘regime change’ dans le pays, cela permettrait au Président en place “une défense limitée contre cette attaque”.
“L’essentiel du coup d'État militaire en Turquie contre Erdogan qui a échoué il y a plusieurs années [en juillet 2016]a été réalisé par l'armée de l'air du pays... […] Pilotant des avions de fabrication occidentale, des pilotes turcs ont tenté d'abattre l’avion d’Erdogan dans le ciel, et la défense aérienne turque n’est pas intervenue [...] parce que c’était un “système de systèmes” entièrement OTAN ; ne fonctionnant pas contre ces avions[F-16 turcs]contrôlés par l’OTAN. Un système aérien russe fonctionnerait, lui”, a estimé l’expert.
» [Sleboda] ajoute que l'armée de l'air est l'une des branches les plus occidentalisées des forces armées turques. Elle utilise non seulement plus d'équipements de fabrication occidentale que les autres armées, mais reçoit aussi en grande partie une formation dispensée par les nations occidentales, ce qui est sans doute, selon l’analyste, le plus grand danger politique pour le pouvoir de Recep Tayyip Erdogan.
»“Donc, non seulement il est théoriquement possible d'utiliser un système de défense antiaérienne russe contre des pays membres de l'Otan et d'autres pays tels qu'Israël par exemple, armés d'armes américaines, mais il est également possible de l'utiliser en cas d’insurrection impliquant l'armée turque, armée équipée de matériel américain. […]. C’est donc une façon [pour le Président turc]de se protéger de ses propres militaires», a résumé l’analyste. »
Voilà la thèse... Il y a quelque chose de profondément juste dans le cadre général où elle se place, qui concerne l’“occidentalisation” extrême de la Force Aérienne turque, c’est-à-dire son américanisation. (Et dans ce cas, effectivement, il est complètement logique d’envisager qu’une tentative de regime change se fasse, comme ce fut déjà le cas en juillet 2016, par l’intervention de l’aviation turque, et alors la présence de S-400 échappant au contrôle de cette aviation et de l’OTAN, et sous contrôle exclusif du pouvoir civil turc, devient effectivement une défense efficace, sinon même à servir de force dissuasive contre un nouveau coup d’État.)
Je rappelle avec force ce qui a déjà été rappelé dans les Notes d’analyse du 12 juillet 2019, qui vient d’un texte de ce Journal-dde.crisis du 22 juillet 2016, et ce texte venant lui-même à partir d’une source dont je répète avec une force égale qu’elle était extrêmement crédible, extrêmement bien informée sinon expérimentée sur ce thème, et dans des circonstances tragique où un être qui sait sa mort proche n’aspire plus qu’à faire connaître ce qu’il sait d’une vérité-de-situation. (“DD”, la source, malade et voyant sa mort venir, cherchant le moyen d’écrire un livre sur son expérience et l’infamie qu’il avait rencontrée).
Cet avis donne rétrospectivement une très grande force à l’interprétation d’une Force Aérienne turque restée plus ou moins sous contrôle US, et techniquement liée à l’OTAN bien entendu, et donc toute désignée pour accomplir la besogne...
« Pour DD, les Forces Aériennes Turques étaient une extension directe de l’USAF, à un degré absolument inconnu en Europe ; lui-même en témoignait avec des arguments, ayant été dans la Force Aérienne Belge, puis avec GD négociant avec la Force Aérienne. A cette lumière, on comprend qu’une telle structure, renforcée à partir de 1999 par d’autres structures dites de l’“État parallèle” [l’“État profond”] de Gülen et de son mouvement transnational et islamiste Hizmet, activé et soutenu par la CIA, ait largement perduré, Erdogan ou pas Erdogan ; et l’on comprendrait sans trop être contraint que[la base aérienne US d’] Incirlik ait été le centre de coordination du putsch de la semaine dernière, tout comme ne paraît plus si folle ni grotesque l’idée que le pilote de F-16 qui a abattu un Su-24 russe en novembre dernier l’ait fait sans passer nécessairement par l’approbation d’Erdogan... »
Le plus drôle, dirais-je, moi qui suis parfois d’humeur badine et farfouille pour trouver les toutes petites (mais très-profondes) faiblesses et bassesses humaines dans les colossales assemblages crisiques qui se font pour mieux exploser en tourbillons crisiques, le plus drôle disais-je donc c’est dans cette circonstance l’attitude US dans le domaine où ils excellent de la communication. Les Russes, et en plus dans le chef de ces vipères lubriques de RT crachant leur venin fait d’une substance nommée “FakeNewsisme”, n’ont donc pas manqué de remarquer l’absence étrange de colère et de fureur antiturque, assorties de menaces instantanées qui n’auraient pas dû manquer, elle non plus, d’exploser immédiatement à la nouvelle de la livraison des S-400.
Depuis, RT s’est informé, – façon de parler, hein ! – et nous donne les dernières nouvelles. D’abord, certes, qu’on se rassure et que je vous rassure, les Ricanistes (pourquoi pas comme abréviation d’“américanistes”, pour en faire une identité légale ?) travaillent d’arrache-pied à la mise au point de leur héroïque riposte marqué de l’audace de leur légendaire courage, –des sanctions, encore des sanctions, toujours des sanctions ! Ensuite, il y a une kooolooossal finesse de communication qui a tout à voir avec l’empire de la finesse et de la nuance, – l’administration Trump et son Pentagone, pour ne rien vous cacher, – et qui a aussi tout à voir avec un anniversaire, pour que cela ne se fasse pas en même en même temps, pour qu’on n’aille surtout pas croire ce que tout le monde sait déjà, et tout cela nous étant aimablement expliqué comme l’on parle à des demeurés mentaux (moi, en l’occurrence)...
Voici un passage du texte de RT à ce propos, avec de mon fait un usage insolent du caractère gras sur les remarques qui feront en sorte qu’on ne pourra pas croire “ce que tout le monde sait déjà” :
« Malgré l'absence de réaction immédiate de Washington, la Maison-Blanche travaille actuellement à l'élaboration d'un ensemble de sanctions [contre la Turquie]qui seront invoquées en vertu de la loi intitulée Countering America's Adversaries through Sanctions Act (CAATSA), selon des sources familières du dossier. Le contenu et l'ampleur des mesures punitives auraient déjà fait l'objet d'un débat approfondi entre des responsables du département d'État et du Conseil de sécurité nationale, avec le Pentagone.
» C’est maintenant à Trump de signer le texte sur l’ensemble des sanctions, qui ne devrait pas arriver avant la fin de la semaine prochaine, car l'administration voudrait “attendre après l'anniversaire du coup d'État militaire turc”, de demain lundi, pour “éviter d'alimenter d'autres spéculations” sur l'implication possible de Washington. »
Dans cette extraordinaire démarche de la non-célébration de l’anniversaire-où-rien-de-ce-qu’on-dit-ne-s’est-passé, je ne trouve pas une meilleure confirmation de l’hypothèse de Sleboda que dans cette explication américaniste, avec les détails qu’on nous donne démentant l’implication US dans le coup de juillet 2016, dont personne ne parlait plus. J’en suis même à me demander si les Russes et les Turcs, eux, n’ont pas choisi cette période pour la livraison des premiers S-400, pour fêter l’anniversaire... Tout cela, pour admettre qu’il n’y a pas de meilleure manœuvre, si l’on considère le tout, pour jeter définitivement l’ondoyant et changeant président turc, définitivement dans les bras des Russes et du bloc eurasiatique, sinon bientôt dans l’Organisation de Coopération de Shanghai.
C’est drôle, tout de même, – phoney plutôt quefunny, si vous voyez la différence, – combien cette civilisation mondiale et globalisée, celle du bloc-BAO, bâtie sur la certitude hubryssime d’être basée sur une intelligence humaine sans limite jusqu’à faire pâlir les dieux sinon Dieu Himself, parvient, dans un processus complet d’inversion, à atteindre les abysses les plus remarquables par leur insondable profondeur de la stupidité.
(*) Je crois que, sur ce point, Sleboda a été un peu trop vite et trop loin. Seuls les Français, – c’est un des rares privilèges de leur indépendance qui leur reste, – sont capables de “désactiver” en toute discrétion chaleureuse certains matériels électroniques français livrés à certaines puissances étrangères, si possible sans les en aviser. Mais ils l’ont certainement fait avec Saddam car, passé leur coup d’audace du discours de Villiers à l’ONU, qui était plus légaliste qu’antiaméricaniste, Chirac & Cie n’ont plus cherché qu’une chose : comment faire pour adoucir par tous les moyens la fureur anti-française de l’hyperpuissance qui devait rester malgré tout “notre plus grand allié” avec lequel-nous-n’avons-jamais-été-en-guerre.
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