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1012Rarement les choses ne furent plus claires à un Salon du Bourget qu'à celui de 2001. (Rarement, par conséquent, un Salon du Bourget eut plus d'utilité que celui-ci.) La grande rivalité Airbus-Boeing, qui est une rivalité USA-Europe, qui est une rivalité fondamentalement stratégique et politique, domine tout. Les déclarations des uns et des autres ont clairement montré les enjeux et les conditions de ce qui est une bataille politique et stratégique.
Boeing a ouvert le feu. Boeing a une stratégie douteuse (ou, si l'on veut, pas de stratégie du tout) face au programme A380 de Airbus; par conséquent, Boeing est sur la défensive et, par conséquent, Boeing attaque et ouvre le feu le premier. Il le fait par l'intermédiaire de Harry Stonecipher, ancien patron de McDonnell Douglas (McDD), devenu n<198>2 de Boeing après l'absorption de McDD par Boeing en 1997. (A Seattle, où Boeing se trouve encore, l'activisme de Stonecipher et d'autres signes font parfois se demander aux employés de Boeing si ce n'est pas McDD qui a racheté Boeing.) Stonecipher est un “dur”. Il ne mâche pas ses mots d'habitude. Dans l'interview du Monde que nous citons, il ne perd pas son temps à les mâcher davantage. Il accuse Airbus de manipuler la Commission contre la fusion GE-Honeywell, et diverses autres hypothèses toutes aussi sinistres sur les activités de l'Europe/Airbus. Une surprise intéressante est que, en guise de riposte, après une mise au point assez apaisante d'Airbus (Airbus est en position de force et s'imagine sans doute, vieux réflexe européen, ne devoir pas trop le montrer), il y a eu l'intervention de Pascal Lamy, interview contre interview.
Lamy parle haut et fort, qualifie sa mission à la Commission, et par conséquent la Commission elle-même, de «“bouclier juridique” d'Airbus». Il rejette en bloc les accusations américaines et contre-attaque en martelant certaines analyses très critiques des conceptions américaines. C'est adopter un langage et une conception qui prennent en compte les réalités de la rivalité Ouest-Ouest, et, au-delà, faire de la Commission européenne un outil au service des forces et des biens européens. Là aussi, voilà qui clarifie les choses: pour la première fois de façon aussi nette, aura été mis en évidence ce que doit être le rôle des organes européens: au service de l'Europe, des entreprises européennes, des nations qui composent l'Europe, et ainsi de suite.
Le Salon 2001 est un événement intéressant, au moment où GW Bush termine son “Grand Tour” d'Europe sans passer par aucune des capitales importantes (Londres, Berlin, Paris) et en réaffirmant sans hésiter toutes les positions qui opposent Washington aux Européens. La querelle Airbus-Boeing, qui est un grand événement et un événement inévitable, se fait sur le fond d'une situation bien clarifiée en ce mois de juin. Les fumerolles apaisantes des gesticulations de Bill Clinton ont été remplacées par les affirmations entêtées de l'administration GW Bush. Les positions sont clairement définies. Elles sont exposées au Salon du Bourget parce que l'industrie aérospatiale est l'industrie stratégique par excellent, et elle exprime mieux qu'aucune autre les tendances stratégiques et politiques. Celles-ci, entre Ouest et Ouest, sont plutôt caractérisées par la tension.