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1682Le Satiricon est souvent ramené à l’orgie romaine sauce Fellini. Or la réalité est autrement plus intéressante. Sur l’éducation romaine, voici par exemple ce que Pétrone a écrit :
« Donc, à mon sens, le résultat le plus clair des études est de rendre nos enfants tout à fait stupides : de ce qui se présente en réalité dans la vie ils n'entendent rien, ils ne voient rien. On ne leur montre que pirates, les chaînes à la main, attendant leurs victimes sur le rivage ; que tyrans rédigeant des arrêts pour commander aux fils d'aller couper la tête de leur père ; qu'oracles préconisant, pour chasser la peste, l'immolation de trois vierges ou davantage; que phrases s'arrondissant en pilules bien sucrées : faits, et pensées, tout passe à la même sauce… (Satiricon, I à IV)»
Pétrone dénonce la rhétorique, cette reine perturbante de l’Antiquité et de la politique. Il comprend avant Nietzsche que l’éducation, la répétition scolaire et universitaire tueront l’inspiration :
« Si vous me permettez de le dire, ô rhéteurs, c'est vous les premiers. Artisans de la ruine de l'éloquence. Vos harmonies subtiles, vos sonorités creuses peuvent éblouir un instant ; elles vous font oublier le corps même du discours qui, énervé, languit et tombe à plat. La jeunesse s'entraînait-elle à déclamer, quand Sophocle et Euripide trouvèrent le langage qu'il fallait au théâtre ? Existait-il des maîtres pour étouffer dans l'ombre de l'école les talents naissants quand Pindare et les neuf lyriques renoncèrent à lutterle même mètre avec Homère? »
Il faudrait retourner à la nature :
« Et, sans appeler les poètes en témoignage, je ne vois pas que Platon ni Démosthène se soient livrés non plus à ce genre d'exercices. La grande et, si j'ose dire, la chaste éloquence, méprisant le fard et l'enflure, n'a qu'à se dresser sans autre appui que sa naturelle beauté. »
Comme Juvénal Pétrone incrimine l’Asie, qui accélère en quelque sorte le vieillissement du monde - et sa putréfaction :
« Naguère, ce bavardage intempérant et creux qui, né en Asie, a envahi Athènes, tel un astre porteur de la peste, souffla sur une jeunesse qui se dressait déjà pour de grandes choses : du coup, sous une règle corrompue, l'éloquence, arrêtée dans son essor, a perdu la voix. Qui depuis lors a approché de la maîtrise d'un Thucydide, de la gloire d'un Hypéride ? L'éclat même dont brille la poésie n'est plus celui de la santé : tous les arts, comme si leur source commune avait été empoisonnée, meurent sans attendre les neiges de la vieillesse (Ac ne carmen quidem sani coloris enituit, sed omnia quasi eodem cibo pasta non potuerunt usque ad senectutem canescere). La peinture, enfin, n'est pas en meilleure posture depuis que des Égyptiens ont eu l'audace de réduire en recettes un si grand art… »
Les pauvres parents en prennent eux aussi pour leur grade comme à toutes les époques :
« Au fond, ce sont les parents qui sont les vrais coupables : ils ne veulent plus pour leurs enfants d'une règle sévère, mais salutaire. Ils sacrifient d'abord, comme le reste, à leur ambition, ces fils, leur espérance même, puis, pour réaliser plus vite leur rêve, sans leur laisser le temps de digérer leurs études, ils les poussent au forum…»
Notre pédagogue d’indiquer le remède :
« Que les parents aient la patience de nous laisser graduer les études les jeunes gens pourront travailler sérieusement, mûrir leur goût par des lectures approfondies, faire des préceptes des sages la règle de leur pensée, châtier leur style d'une plume impitoyable, écouter longtemps d'abord ce qu'ils aspirent à imiter. Dès lors ils n'admireront plus rien de ce qui n'éblouit que l'enfance, et l'éloquence, jadis si grande, aura recouvré sa force, sa majesté, son autorité. »
Enfin la désormais triviale dénonciation de notre société trop ludique :
« Mais aujourd'hui, à l'école l'enfant s'amuse ; jeune homme, on s'amuse de lui sur le forum, et, ce qui est encore plus ridicule, après avoir fait ses études tout de travers, devenu vieux, il ne voudra pas en convenir. »
Je citai Nietzsche ici. Sa deuxième et splendide considération inactuelle sur l’inutilité des études historiques corrobore notre Pétrone :
« L’excès des études historiques trouble les instincts du peuple et empêche l’individu aussi bien que la totalité d’atteindre la maturité. L’excès des études historiques implante la croyance toujours nuisible à la caducité de l’espèce humaine, l’idée que nous sommes des êtres tardifs, des épigones. L’excès des études historiques développe dans une époque un état d’esprit dangereux, le scepticisme, et cet état d’esprit plus dangereux encore, le cynisme ; et ainsi l’époque s’achemine toujours plus vers une pratique sage et égoïste qui finit par paralyser la force vitale et la détruire. »
Nietzsche exagère, car comme nous l’avons montré avec Céline (cf. Princhard) et Paul Valéry, les études historiques précipitèrent héros et suicidaires sur le champ de bataille.
Enfin, encore un peu de Pétrone ; c’est sur l’excès de la construction immobilière (voyez Sénèque) et le déclin de la vitalité qui va avec :
« Est-ce que tu te sens vaincue par le poids de l'Empire romain
Et ne peux-tu davantage soutenir cette masse vouée à la perdition ?
Lui-même ennemi de sa puissance, le peuple romain
Soutient mal l'œuvre immense qu'acheva sa jeunesse.
Vois, partout le luxe nourri par le pillage, la fortune s'acharnant à sa perte.
C'est avec de l'or qu'ils bâtissent et ils élèvent leurs demeures jusqu'aux cieux ; ici les amas de pierre chassent les eaux, là naît la mer au milieu des champs : en changeant l'état normal des choses, ils se révoltent contre la nature. » (Satiricon, CXX)
Il n’est pas un problème de notre société que l’on ne retrouve évoqué chez les grands auteurs romains ; la contre-civilisation de Philippe Grasset rejoint la décadence romaine.
Juvénal- Satires
Nietzsche – Deuxième considération inactuelle
Pétrone – Satiricon (sur Remacle.org)
Sénèque – Lettres à Lucilius