Le scandale BAE et la perception des rédactions parisiennes

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Le Monde à nouveau comme centre de notre intérêt (et quel soulagement, sans doute encore, pour nos lecteurs si étrangers à l’anglais). Il s’agit d’un article du correspondant du journal à Londres, tel qu’il nous a été signalé par notre lecteur “Balajo” (notre Forum en date du 26 juillet), — avec nos remerciements à son intention.

Il s’agit d’un article sur l’affaire BAE et les difficultés où l’intervention du DoJ de l’administration GW plongent le gouvernement Gordon Brown, et particulièrement la ministre de l’intérieur Jacqui Smith. Sur le dilemme que ce prolongement de l’entrée en piste du DoJ pose à Londres, nos lecteurs peuvent se reporter à divers textes sur le sujet, à commencer, pour remonter la filière, par notre F&C du 16 juillet. Le texte du Monde fait succinctement mention de ce dilemme, sans en tracer les perspectives éventuelles, notamment au niveau politique des special relationships :

«Collaborer avec les Etats-Unis, c'est rouvrir l'enquête sur les pots-de-vin de BAE dans le cadre du contrat de ventes d'armes Al-Yamamah, signé en 1985 et renouvelé par la suite. […]

Une approbation de la part de Mme Smith pourrait entraîner des représailles saoudiennes sur les contrats conclus mais non signés d'achat d'équipements à BAE sur lesquels lorgnent les rivaux, notamment Français.

(…)

»Mais Mme Smith n'est guère en mesure de refuser la requête américaine. Elle mettrait alors en péril l'échange de renseignements avec l'administration Bush. Par ailleurs, les intérêts commerciaux de BAE sur le marché américain, où l'entreprise réalise plus de la moitié de ses profits, pourraient en souffrir.»

Ensuite, le journaliste mentionne quelques commentaires accessoires, dont nous extrairons deux qui nous paraissent significatifs pour notre propos critique à propos du traitement de cette affaire par Le Monde :

• «BAE conteste les versements présumés dépassant 1,2 milliard de livres (1,8 milliard d'euros). “En niant l'évidence, l'entreprise creuse sa tombe. Les faits remontent à plus de vingt ans. Les dirigeants devraient faire leur mea culpa” : un analyste de la City voit derrière cette rigidité l'effet de la culture militaire qui domine la hiérarchie du groupe.»

• L’article mentionne l’attitude de plus en plus méfiante et hostile des fonds de pension pour l’attitude de BAE, qui fait craindre pour des investissements vers les entreprises militaires (BAE en premier). Cela se termine de cette façon (remarque importante soulignée par nous en gras) : «Face à ce scandale qui n'en finit pas, le syndicat Unison, numéro un de la fonction publique, vient de réclamer la fin des investissements des fonds de pension de ses adhérents dans le secteur militaire.»

Il est remarquable de constater l’absence d’approche analytique d’un phénomène qui mériterait pourtant toute l’attention d’un quotidien aussi attentif aux phénomènes de corruption. (Le Monde est d’ailleurs extrêmement timide sur le scandale. Sur le seul mois écoulé, on ne trouve que deux articles sur le sujet dans ses archives, dont celui-ci.)

A aucun moment, on ne perçoit la plus petite allusion à la dimension colossale de cette affaire, qui est absolument sans équivalente dans sa complexité, dans ses dimensions stratégiques et politiques, dans ses effets dévastateurs sur l’establishment britannique et sur la politique britannique. L’incompréhension de cette dimension qui dépasse le seul phénomène de corruption pour devenir un phénomène substantiel de système est illustrée par la performance d’avoir trouvé à la City un analyste capable de proférer cette infâmante stupidité qu’à cause des plus de 20 ans d’âge des premiers contrats, il suffirait aux dirigeants de BAE de faire leur mea culpa pour que tout rentre dans l’ordre («Les faits remontent à plus de vingt ans. Les dirigeants devraient faire leur mea culpa…») ; certes, les faits remontent à “à plus de vingt ans“ mais ils se poursuivent et ne cessent de s’amplifier, — comme le remarque par ailleurs notre journaliste en mentionnant qu’un nouveau contrat Yamamah (celui des Typhoon) est en jeu. Inutile d’esquisser une confrontaton entre les deux affirmations.

L’explication de ce traitement cloisonné et évidemment émollient de la chose, qui évite d’en mesurer les possibles conséquences déstabilisantes, doit relever de l’hypothèse. La nôtre est d’ordre psychologique. Elle s'énonce comme ceci: il existe une révérence quasi-religieuse du monde médiatique français pour tout ce qui est anglo-saxon. Par conséquent, qu’on en finisse au plus vite avec ce scandale «qui n’en finit pas», qu’on puisse retourner à nos douces certitudes. Claistream est autrement passionnant et significatif de l’état de déliquescence de la société politique française, qui doit plus que jamais s’inspirer du comportement vertueux de la société politique anglo-saxonne et libérale.


Mis en ligne le 27 juillet 2007 à 16H09