Le Sénat US et son commandant-en-chef Netanyahou

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Le Sénat US et son commandant-en-chef Netanyahou

Un groupe “bipartisan” (démocrates et républicains) au Sénat US essaie de faire passer une résolution dont on réaffirme ici le caractère stupéfiant, dans une époque qui l’est déjà beaucoup… Cette résolution déclarer que si Israël attaque l’Iran dans une situation d’auto-défense, les USA rejoindront l’attaque militaire au nom d’Israël (dito, comme si les USA étaient Israël). Le concept d’une “attaque d’auto-défense” d’Israël contre l’Iran relève d’une extraordinaire appréciation du comportement international, par rapport au droit international, par rapport aux conceptions de sécurité collective, par rapport aux risques de déstabilisation, par rapport à tout ce qu’on veut de la sorte.

Antiwar.com présente cette démarche le 28 février 2013, de cette façon :

«A bipartisan group of US senators is pushing a resolution declaring that if Israel attacks Iran “in self-defense,” the United States will join in the military assault on Israel’s behalf. The chief sponsors of the resolution are Senate Foreign Relations Committee Chairman Robert Menendez (D-NJ) and Republican Senator Lindsey Graham (R-SC). Graham said the resolution will be non-binding and is neither a declaration of war nor an authorization to use military force. Non-binding resolutions are supposed to express the sentiment of Congress, as opposed to actually legislate policy. This one seems tied to placating the American Israeli Public Affairs Committee (AIPAC), which holds its annual conference in DC this weekend.»

Certes, on trouve la précision qu’il s’agit d’une résolution “non-binding”, c’est-à-dire n’ayant aucun caractère législatif ni d’obligation de quoi que ce soit, mais simplement exprimant une opinion. Cette disposition était tout de même, vue l’énormité du propos, une condition sine qua non. Il n’empêche, la pilule est d’une dimension gargantuesque…

On trouve des réactions négatives à ce projet, même chez un collaborateur de la RAND Corporation, qui est un think tank quasiment intégré dans l’ensemble d’influence du complexe militaro-industriel, particulièrement l’USAF. (Ou plutôt, non, considération alternative à la réflexion, – peut-être ceci expliquant-il cela : décidément les militaires US ne doivent pas être particulièrement heureux de cette résolution éventuellement adoptée part le Sénat, qui impliquerait un état d’esprit liant d’une façon si extravagante la puissance militaire à l’obsession paranoïaque d’Israël-Netanyahou.)

«“This could have several negative implications,” Alireza Nader of the RAND Corporation told Ali Gharib at The Daily Beast. “First, it could be interpreted as endorsing an Israeli preventive strike against Iran, which runs counter to US strategy. The US intelligence community judges that Iran has not made the political decision to create nuclear weapons. An Iranian nuclear weapons capability is not imminent, hence an Israeli military strike against Iran at this moment is not necessary or justified.” The resolution “could also send the message, not only to Iran, but also the wider international community, including major powers like China and Russia, that the United States is not serious about solving the nuclear issue peacefully,” Nader also told The Daily Beast.»

Bien entendu, Lindsay Graham est aux commendes, et l’AIPAC est tout juste derrière… On conçoit qu’il lui faut, à l’AIPAC, un beau cadeau d’anniversaire pour son congrès annuel qui a lieu ce week-end. Cela dit, et au-delà du souffle coupé qu’implique l’esprit d’une telle résolution, même présentée comme non-binding, il y a place pour plusieurs remarques.

• Il est impossible de ne pas lier ce projet de résolution à la confirmation de Hagel, qui est interprétée par certains comme une victoire sur l’AIPAC, mais qui constitue certainement une mise en évidence d’une tendance à la déstructuration de l’AIPAC (voir le 28 février 2013). (Stephen M. Walt, co-auteur du fameux rapport de 2007 sur l’influence de l’AIPAC sur la politique extérieure des USA, émet des doutes extrêmement sérieux sur ce fait spécifique d’une victoire sur l’AIPAC, dans tous les cas d’une victoire décisive, même s’il admet l'importance du fait de la fragmentation du lobby à cette occasion. [Voir le 27 février 2013.] On a vu que, pour notre compte, cette fragmentation impliquant une possible déstructuration de l’AIPAC est certainement plus importante qu’une “défaite” de l’AIPAC proprement dite, – l’essentiel est de parler en termes de déstructuration-dissolution.) Selon notre interprétation, cette résolution radicale, même présentée comme non effective, représente un effort de l’AIPAC et de ses courroies de transmission, Lindsay Graham en tête, pour tenter de rattraper l’impression défavorable de la confirmation d’Hagel, et le doute qui s’est désormais emparé du dogme de l’efficacité dominatrice de l’AIPAC à Washington ; une façon de tenter de regrouper tous les partisans d’Israël sous la seule bannière d’un AIPAC qui se voudrait à nouveau perçu comme un bloc irrésistible.

• C’est une manœuvre tout de même risquée. L’excès même, jusqu’au grotesque, d’exprimer une opinion qui soumettrait automatiquement l’engagement des USA dans une telle agression selon le caprice paranoïaque d’un Netanyahou, peut aussi bien provoquer de nouvelles tensions, non seulement à l’intérieur du Sénat, mais également en dehors. On peut concevoir que cette résolution ne passe pas comme une lettre à la poste au Sénat. On peut surtout concevoir que, si une telle résolution passe, même non-binding mais par l’état d’esprit dont elle témoigne qui impliquerait aisément un passage à l’acte (ouvrant la voie à une résolution contraignante) en cas de tension, elle effraiera considérablement d’autres centres de pouvoir, dont le Pentagone, voire l’administration Obama dans son entièreté. Dans cette perspective, on peut concevoir que de tels prolongements, par leur gravité, provoquent de réels affrontements dont l’AIPAC pourrait être à la fois l’inspirateur et la cible. De toutes les façons, l’opération porte le risque de mettre l’AIPAC au centre de toutes les attentions et en pleine lumière. On a déjà vu, lors de l’affaire Chas Freeman en 2009, combien il a été mis en évidence que la règle d’or d’un lobby, et du Lobby (AIPAC) en particulier, c’est de manœuvrer d’une façon qui soit dissimulée, discrète, pour ne pas mettre en évidence son rôle d’interférence grossière dans la politique US (voir le 13 mars 2009). C’est le contraire qui a lieu ici.

• Pour le reste, on trouvera ici confirmation de la dérive incontrôlée et particulièrement dangereuse pour lui, du Sénat des USA. Ce maximalisme hors des bornes de la raison et de la logique des intérêts US est un signe de plus de l’état catastrophique du pouvoir à Washington.


Mis en ligne le 2 mars 2013 à 16H54