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3 juillet 2005 — Tout est dans tout et inversement. Il est facile de dauber sur la sorte de détails que suscitent ces événements mais il est vrai qu’ils fixent l’esprit de la chose (ah oui, nous parlons du Live8 de Geldof, — pardon, Sir Robert, — énorme événement visionné par x milliards de regards humains, via-TV, vingt ans après le premier Live Aid, le concert Geldof de 1985). Un de ces détails : « Sir Elton John, right. When asked how he had fought through the crowds to get to the concert, he replied “I came in my helicopter”. Revenge was delivered as Little Britain's David Walliams introduced the ageing knight as “Mr Sir Elton John”. »
Autre détail qui en dit pas mal, d’une autre façon. Geldof faisant une surprise extrêmement gratifiante à la foule de Londres (textes ici selon The Independent du jour), — la voici, ou la recette du bonheur offerte au monde globalisé:
« The most surprising appearance came when Geldof announced “one of the great businessmen of our time” and “certainly the greatest philanthropist”. Bill Gates, founder of Microsoft, wearing a fiercely blue shirt, demonstrated a firmer grasps of the issues than of rock chic. “Some day in the future all people no matter where they are born will be able to lead a healthy life We can do this and when we do it will be the best thing that humanity has ever done.” »
En 1985, on avait laissé croire quelques temps, le temps de quelques articles enthousiastes et de quelques CD juteux, que l’initiative Geldof n’était pas (encore) récupérée. Elle le fut prestement. Cette fois, on ne se donne pas cette peine: l’initiative est, d’avance, si complètement conforme à ce qu'on (le système) attend d'elle qu'il est inutile de la “récupérer”. Elle l'est avant d'exister. Elle existe pour faire croire que, dans le monde virtualiste, on est capabled d'avoir ses petites colères significatives. Elle nous fait la conscience bonne et blanche. Elle se déroule dans un cadre, selon une organisation, dans un but parfaitement conformes au système dont elle a pour but de dénoncer les tares, avec la plus grande violence, en n'imaginant pas une seconde d'envisager l'hypothèse que ces tares sont effectivement la conséquence du système.
L’événement fut mondial, global, etc., et présent à la une des journaux comme s’il s’agissait de l’essentiel. Les chanteurs ont chanté, les bateleurs (Sir Robert en tête) ont batelé. C’était grande pitié de voir défiler tous ces “Sirs”, Sir Paul McCartney, Sir Bob Geldof, Sir machin-truc and so on. Les foules réagissaient selon le délire convenu. En Afrique du Sud, l’Afrique, pour qui l’on faisait ce tam-tam postmoderne, répondait comme elle pouvait. Certains parmi ces Africains disaient : “Merci, mais croyez-vous que cela va résoudre quelque chose ?” On nota une certaine gêne de Kofi Annan, qui n’est pas exempt de la vieille sagesse africaine, quand ce fut à son tour de monter sur un podium quelconque pour participer à la célébration. Peut-être le sémillant Tony Blair lui offrira-t-il, par Her Majesty interposée et consentante, le titre de ''Sir''?
A défaut de traits de génie pour offrir une issue à la tragédie du monde, au moins quelques Africains, interrogés de-ci de-là, firent-ils entendre la voix du bon sens qui a si désespérément déserté les âmes occidentales (sans doute certains de ces Africains avaient-ils appris ce qu’on fait en vérité de tout ce fric qu’on leur destine).
« “All I want now is to get an education so that I can get a job,” he said. “What are the musicians going to do, will they send us their money?” asked Queen Amene at a Make Poverty History rally in Nairobi. Kenya was deemed too successful to qualify for debt relief at the last meeting of G8 ministers last month.
» “We are not beggars so we don't need to be treated like that,” said Evans Konya, an insurance broker. “There is so much corruption here that funds from overseas often go straight into the pockets of politicians. We must find a way to give aid money directly to the people on the ground.” »
Il est probable que, d’ici deux ou trois ans (le ‘decent interval’ qui accompagne toutes les initiatives novatrices de notre temps postmodernes) tous les sommets du G8 vont être couplés à ces concerts-miracle. Les agences de pub offriront des tarifs préférentiels également couplés pour des annonces passant sur les deux programmes TV (G8 et Live8), les agences de voyage offriront des tarifs préférentiels couplés concert Live8 et manif’ anti-G8, et vogue la galère tristounette…
Le show de Sir Bob, — ce n’est pas de sa faute, c’est ainsi, — c’est exactement, parfaitement, absolument l’anti-29 mai, l’événement non-historique par définition, d'un grotesque à ne pas croire par rapport à ses intentions, ce sont la vigueur et la force de la protestation populaire honteusement détournées et plongées dans le sirop et la mélasse du concept et du prime time arrangés par les spin doctors, avec les bonnes dames patronesses des beaux quartiers déguisées en rockers qui la ramènent. Ils ne sont pas vraiment méchants, ils ne sont pas mauvais, ils ne chantent pas trop mal, il arrive même qu’ils s’y croient. Dommage pour eux, pour tous ces rockers anglais, bagouzes aux doigts et “Sir” en bandoulière, débarquant de leurs hélicos: comme leurs collègues américains, les Buddy Holly et les Eddie Cochran, ils auraient du mourir, en pleine gloire et en pleine révolte de leurs vingt ans, dans un obscur accident d’avions d’une tournée lointaine, lorsqu’on croyait encore que le rock c’était la révolte.