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665Commence à circuler, notamment dans la bureaucratie européenne concernée, un rapport que nous qualifions de “singulier”, au moins pour le distinguer du courant. Le sujet (“Global Governance 2025 – At a Critical Juncture”) ne fait pas la singularité principale de la chose… (Quoi qu’il serait intéressant de s’interroger sur la prolifération actuelle de rapports sur la situation dans 15, 20, 30 ans, etc., alors qu’on ne s’attarde pas trop sur celle de demain matin… Passons, mais revenons-y plus tard.) Ce qui fait la singularité principale de la chose, c’est qu’il s’agit d’un rapport co-signé par l’Institut d’Etudes de Sécurité (IES), rattaché à l’UE, et par le National Intelligence Council (NIC), organisme contrôlé par la CIA et faisant partie intégrante de la structure du système de sécurité nationale américaniste. (On a déjà donné des échos des rapports régulièrement réalisés par le NIC à diverses occasions, notamment le 21 novembre 2008.)
@PAYANT L’IES (ou IESUE), ex-Institut officiel de l’UEO, rattaché en 2001 à l’UE et qui passera sous l’autorité des services de la très officielle “super-ministre des affaires étrangères et de sécurité” de l’UE, Lady Ashton, en janvier prochain, est un organisme européen officiel. En tant que tel, il est normal d’attendre de lui qu’il donne des analyses européennes de grands problèmes de sécurité, disons en toute indépendance des influences extérieures à l'Europe. Il peut évidemment choisir également des projets en coopération avec des partenaires non-européens, mais il doit le faire en s’assurant que sa signature ne recouvre pas un contenu déséquilibré par l’influence du partenaire… Voici donc un rapport que l’Institut co-signe avec le NIC et qui apparaît, notamment dans sa présentation, comme un rapport qui pourrait aussi bien être un rapport directement issu du NIC. On peut d’ores et déjà consulter ce rapport sur le site du NIC et on y peut voir la présentation, telle qu’elle apparaît également pour les fonctionnaires européens : la page intérieure de titre est ornée du superbe blason du NIC, qui est une variation autour de l’aigle fameux, symbole des Etats-Unis d’Amérique ; les références de contact sont : «Inquiries regarding this report may be made to Mathew Burrows, Counselor to the National Intelligence Council, on (703) 482-0741 and to the EU Institute of Security Studies on 0033-1-56-89-19-51» ; la référence du document est «NIC 2010-08, September 2010», comme s’il s’agissait d’un rapport du seul National Intelligence Council des USA.
On répètera sous une autre forme que peu importe ici le contenu, où il est difficile de trouver des indices confirmant les soupçons de certains mauvais esprits, puisqu’il s’agit du principe de la chose qui nous importe. Il est étrange qu’un document présenté comme européen de source officielle, s’avère être un document euro-américaniste, sans autre forme de procès, sous une forme qui nous invite à des hypothèses particulièrement marquées quant à la substance du travail. Le déséquilibre des moyens et des structures entre le NIC et l’Institut devrait conduire à des conclusions assez nettes sur le fait de savoir qui a influencé qui dans cette prospective, jusqu’à faire penser aux mêmes mauvais esprits déjà mentionnés qu’il s’agit de la dernière trouvaille pour faire circuler un rapport au contenu essentiellement, voire exclusivement américaniste, comme s’il s’agissait d’un document européen. Il est essentiel d’avoir à l’esprit la situation et la généalogie du NIC (voir son historique par lui-même) ; qu’il s’agit d’une création de la CIA (dès 1950, création par le directeur de la CIA, sous un autre nom, avec évolution depuis) ; qu’il est sous le contrôle de la CIA et qu’il est placé sous l’autorité du DNI (Director of National Intelligence), c’est-à-dire l’autorité qui contrôle et tente de coordonner tous les nombreux services de renseignement US. (On notera d’ailleurs avec intérêt que le lien donnant accès au rapport sur le site du NIC, http://www.foia.cia.gov/2025/2025_Global_Governance.pdf , indique son classement dans le matériel de la CIA.) On comprend que l’IES, de son côté, n’a ni ce soutien, ni ce contrôle, ni les ressources et l’autorité qui vont avec, et qu’il évolue dans une catégorie tout à fait différente, – différence entre le monde de l’expertise et le monde du renseignement, – qui ne le place pas dans une position de force.
La présentation du rapport est idyllique. Elle n’en mentionne pas moins la participation, comme organisations “de soutien” des deux “partenaires” principaux dans ce projet, deux organisations qui font partie du réseau classique d’influence US, ou des “organisations frontistes” selon le langage de la Guerre froide : un Institut transatlantique d’influence US à Bruxelles, The Atlantic Council of the US ; une organisation de lobbying US auprès de l’UE, rassemblant un nombre impressionnant d’entreprises US, autrement dit le délégué du corporate power dans le projet, le Transatlantic Policy Network… On peut voir ci-dessous, dans le dernier paragraphe de la page de présentation du rapport, combien leur coopération a été appréciée. La chose se termine par l’assurance que le travail a déterminé «a largely shared perspective». Personne ne se sentira autorisé à en douter, non plus qu’on ne doutera de l’accueil enthousiaste que les analystes européens font aux suggestions américanistes sur la manière dont il faut penser.
«Global Governance 2025 is the result of an inclusive process, enriched by wide-ranging consultations with government officials; as well as business, academic, NGO, and think tank leaders; and media representatives in Brazil, China, India, Japan, Russia, South Africa, and in the Gulf region (the UAE). The diversity of the comments and insights, which we have included in the body of the text, testifies both to the richness of the debate and to the difficulty of reconciling different interests and standpoints when reforming global governance. A number of experts, acknowledged elsewhere, have contributed to the success of this project and to the high quality of this report. The Atlantic Council of the US and the Transatlantic Policy Network have been partners in supporting the project. NIC Counselor Mathew Burrows and Giovanni Grevi from the EUISS have steered this process and took charge of drafting the bulk of the report. Their work has set an excellent example of cooperation in delivering joint analysis and achieving a largely shared perspective.»
Mis en ligne le 23 octobre 2010 à 04H44