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Les Japonais ont gardé un assez mauvais souvenir de la visite de Robert Gates à Tokyo. en octobre. Le secrétaire à la défense US venu leur intimer l’ordre – aucune autre expression ne convient – de se décider rapidement, avant la visite de Barack Obama cette semaine, sur la question du statut des bases US. (Voir notre F&C du 24 octobre 2009.) Melvin A. Goodman, de John Hopkins University (Baltimore) et ancien de la CIA (42 ans de carrière à l’Agence), écrit, le 2 novembre 2009 sur Consortiumnews.com, à propos de ce voyage de Robert Gates:

«Defense Secretary Robert M. Gates played the “ugly American” in Tokyo, cast in a quasi-diplomatic role he should not be given. This performance speaks to the need for a demilitarized national security policy.

»It is the role of the Secretary of State to conduct delicate overseas missions. Japan is experiencing extreme economic pressures, and the new Japanese government is preparing to withdraw from its commitment to refuel Western warships in the Indian Ocean and to become less active in positioning military forces against China. While in Japan, Gates demonstrated his anger and impatience with the Japanese, declining invitations to dine with Japanese Defense Ministry officials and to attend a welcome ceremony at the Defense Ministry…»

Réponse du berger nippon à la bergère du Pentagone: BHO attendra. C’est-à-dire qu’il ne sera pas fixé sur l’attitude du nouveau gouvernement japonais sur les bases US au Japon avant lui-même d’y faire visite. Le Premier ministre japonais l’a précisé devant des députés, le 6 novembre 2009, selon AFP. Il a par ailleurs donné des précisions sur le rôle nouveau qu’il entend assigner au Japon pour son action en Afghanistan, après avoir confirmé que le Japon allait interrompre ses missions de ravitaillement en carburant de la flotte US affectée à l’Afghanistan, qui était jusqu’alors un point important (surtout pour le budget du Pentagone) de l’action du Japon sur le théâtre.

«Japan's Prime Minister Yukio Hatoyama on Friday said he does not plan to make a decision on the relocation of a controversial US military base before President Barack Obama visits Tokyo next week. […] “I don't intend to make a decision before President Obama's visit,” Hatoyama told a parliamentary committee when asked about the row. […]

»When Obama visits next week, Hatoyama said, “I want to have active talks on issues such as Afghanistan. I'm convinced that his (Obama's) visit to Japan will surely be meaningful,” he said in parliament. “With limited financial resources, we have to examine what Japan can do for Afghanistan. And I hope that Japan's activities will be welcomed more by the Afghan people than the refuelling mission,” Hatoyama said. He said Japan would help “in the areas of agriculture... job training for fighters from insurgent groups, so that the fighters can make a living if they lay down their weapons, and training of police officers.”»

Notre commentaire

Le voyage de Robert Gates au Japon a été un échec difficile à vivre pour le Pentagone. On a déjà beaucoup glosé, et avec raison, sur la nouvelle attitude du Japon. La visite de Gates, dont les quelques détails donnés par Goodman montrent qu’elle a été plus brutale que décrite jusqu’ici, a été suivie de pressions constantes du Pentagone pour obtenir tout de même une décision japonaise sur les bases avant la visite d’Obama. L'intervention de Gates était d'autant plus incongrue et insultante, comme une réelle ingérence dans les affaires internes du pays, qu'elle portait ouvertement sur un processus gouvernemental interne au gouvernement japonais (accélérer la décision) plus que sur le fond même de l'affaire (malgré les arrières pensées, bien entendu.) Le gouvernement japonais n’a pas cédé, confirmant une nouvelle politique qui va causer bien du souci aux experts et stratèges du Pentagone.

Un autre point que souligne Goodman, c’est l’intention des Japonais «to become less active in positioning military forces against China». C’est un point beaucoup plus important que l’affaire des bases ou l’affaire de la fin des missions de ravitaillement de la flotte US qui croise au large du théâtre AfPak. Il s’agit de l’amorce d’un renversement de la stratégie générale du Japon, d’ailleurs complètement dans la logique de la réunion de l’ASEAN (avec la Chine) dont nous parlions le 26 octobre 2009. Le Japon prend l’orientation de “démilitariser” sa politique chinoise, c’est-à-dire de troquer une stratégie de confrontation inspirée, sinon intimée par le Pentagone, au profit d’une politique de coopération dans un cadre régional asiatique.

C’est de ce point de vue essentiellement qu’il faut interpréter les incidents et la très mauvaise impression laissée par la visite de Gates à Tokyo. Les analystes du Pentagone ont fait de la question des bases, au départ une question qui semblerait assez anodine soulevée par les rapports difficiles entre les bases US et les habitants d’Okinawa, une affaire symbolique aux dimensions politiques évidentes qui doit impliquer, si elle est réglée dans le sens voulu du côté du Pentagone, une réaffirmation de la vassalisation du Japon. C’était effectivement le sens de l’exigence de Gates que cette question soit réglée avant la visite d’Obama, pour que le Japon apparaisse au président “dans les normes” du Pentagone – et aussi, ce qui n’est pas du tout indifférent, que le président comprenne combien le Pentagone reste tout puissant, et le maître de ces relations stratégiques de vassalisation des USA avec le Japon. L’affaire paraît d’ores et déjà ratée puisque le nouveau Premier Yukio Hatoyama a semblé prendre grand soin, effectivement, de faire en sorte que cette question ne soit pas réglée lors de la visite d’Obama. Symbole pour symbole, dans le domaine desquels les Japonais sont maîtres, cette situation doit être interprétée, dans ces circonstances, comme un message clair aux USA, à leur président, au Pentagone et ainsi de suite. Il faut bien comprendre l’importance de cet épisode, comme il va de soi pour les rapports USA-Japon, mais également pour les rapports entre les différents centres de pouvoir aux USA.

Les relations entre les USA et le Japon sont conduites dans le futur proche, mises à part les occasions de salutation protocolaires comme la visite d’Obama, à se détériorer encore. La cause en sera bien entendu les intentions de modification de la politique japonaise du nouveau gouvernement japonais mais, également, la position du Pentagone. Dans cette partie, le Pentagone a la sensation que l’un de ses privilèges essentiels, qui est l’appropriation à son compte des rapports de politique extérieure avec certains pays vassaux (une sorte de “militarisation” de la diplomatie), est gravement mis en cause. Cette sensation est justifiée. Le Pentagone, qui est affaibli par divers crises et revers, se montrera d’autant plus brutal pour conserver ses positions, comme on l’a vu avec Gates à Tokyo. C’est le plus sûr moyen d’envenimer les relations avec le Japon, de conduire le gouvernement japonais à radicaliser sa nouvelle politique, et, par conséquences induites, d’exciter la convoitise d’autres centres de pouvoir US, comme le département d’Etat, voire le NSC de James Jones, pour reprendre en mains le contrôle des relations des USA avec le Japon, cela aux dépens de la position du Pentagone. Dans ce processus, on trouve une cause indirecte de plus de l'affaiblissement de la politique hégémonique des USA.


Mis en ligne le 9 novembre 2009 à 05H38