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1124On fait grand cas, en général, de l’article que Patrick Cockburn a publié dans The Independent du 16 mai 2010. L’article est basé sur une déclaration plutôt dépitée et pessimiste du général US McChrystal, qui commande le théâtre afghan, six mois après le début du “surge” approuvé par Obama et près d’un an après son arrivée à ce poste et le changement de stratégie qui en a aussitôt résulté, qui devait renverser la situation en Afghanistan et conduire à la victoire. Outre les déclarations de McChrystal et la situation à Marjah (voir l’extrait ci-dessous), le portrait que Cockburn fait de la ville de Kandahar, qui doit être le théâtre d’une prochaine offensive annoncée de la “coalition” est particulièrement impressionnant.
«The US and Nato commander in Afghanistan, General Stanley McChrystal, who was boasting of military progress only three months ago, confessed last week that “nobody is winning”. His only claim now is that the Taliban have lost momentum compared with last year.
»Mr Karzai's reception in London and Washington highlights the political dilemma of the US and UK in Afghanistan since both have more or less openly denounced the corruption of his regime and the mass fraud at the polls by which he was re-elected last year.
»In a leaked memo, the US ambassador in Kabul, General Karl Eikenberry, said Mr Karzai was “not an adequate strategic Partner” and was interested only in using foreign troops to keep himself in power. One Afghan politician, who did not want his name published, added that "the problem is not that the Taliban is strong but that the government is so weak".
»Equally worrying for the American and British governments is the failure so far of General McChrystal's strategy of using his troops to seize Taliban strongholds and, once cleared, hand them over to Afghan forces. He sold this plan, under which he was promised an extra 30,000 US troops, last November but all the signs are that it is not working. Starting in February, 15,000 US, British and Afghan troops started taking over the Taliban-held area of Marjah and Nad Ali in Helmand province. Dozens of embedded journalists trumpeted the significance of Operation Moshtarak, as it was called, as the first fruits of General McChrystal's new strategy which was meant to emulate the supposed success of the "surge" in Iraq in 2007.
»Three months after the operation in Marjah, however, local people say that the Taliban still control the area at night. Shops are still closed and no schools have reopened. Education officials who returned at the height of the US-led offensive have fled again. The local governor says he has just one temporary teacher teaching 60 children in the ruins of a school. Aid is not arriving. The Taliban are replacing mines, the notorious IEDs, removed by US troops and often use the same holes to hide them in…»
Comme le rapporte Gareth Porter le 10 mai 2010 (sur IPS), les doutes de McChrystal sont partagés par le Pentagone qui, en plus, doute de plus en plus de McChrystal lui-même. On lui reproche maintenant son optimisme prématuré du début de l’année, par exemple celle de ses déclarations du
Le 23 février 2010 puis le 8 mars 2010, dans deux textes notamment publiés sur Antiwar.com, Porter nous expliquait que la “grande” offensive contre la “ville” de Marjah, première offensive d’un McChrystal investi du soutien sans réserve d’Obama, n’avait pour but que d’influencer favorablement la perception des citoyens américains et des Afghans eux-mêmes, et d’ailleurs que Marjah n’était pas une “ville” à proprement parler, qu’on s’était trompé dans la description qu’on en avait faite. Peut-être certains ont-ils cru à tout cela mais, comme nous le signale Cockburn, certainement pas les talibans, et Marjah et sa province sont de nouveau contrôlés par les mêmes talibans.
Entretemps, tout s’est aggravé au lieu de s’améliorer. Les tensions entre Washington et Karzaï se sont poursuivies en une bruyante réconciliation voulue par Washington, qui nous montre que Washington n’a rien de mieux que Karzaï, et même, et c’est notre appréciation, que Washington n’est même pas capable de manipuler ses “marionnettes”, jusqu’à des situations où Washington semblerait devenir la “marionnette” d’un Karzaï. En fait, la phase courante de la crise sans fin entre Karzaï et Washington s’est terminée à l’avantage du président afghan, qui est plus que jamais l’“homme fort” en Afghanistan pour les Américains, même si son gouvernement est décrit comme “faible” par l’ambassadeur US… Mais “faible” de quelle façon ? Karzaï est décrit comme “faible” dans la mesure où son gouvernement n’arrive pas à prendre le pas sur les talibans, mais il reste à savoir s’il y tient précisément, si cela est son but, s’il n’est pas lui-même englobé dans le vaste concept de “talibans”.
Mieux, ou pire, “il reste à savoir” si quelqu’un, à Washington et dans les forces armées US, et dans celles de l’OTAN également, si quelqu’un est encore capable de comprendre ce qui se passe en Afghanistan. La paralysie de l’esprit et du jugement semble croître à mesure inverse de l’agitation des forces qui se déplacent de fausse offensive en fausse offensive, tandis que le Pentagone se félicite de l’efficacité des drones contre les Pakistanais, avec une très forte proportion de civils qui n’ont rien à voir avec les événements parmi les victimes de ces attaques. Ainsi, lorsqu’il affirme que “personne n’est en train de gagner la guerre”, McChrystal nous signifie en réalité, sans qu’il en prenne d’ailleurs conscience lui-même, que “personne n’est capable de gagner la guerre”, c’est-à-dire encore, et toujours plus précisément, que l’Afghanistan est une “guerre ingagnable” pour les USA et l’OTAN. Au bout du compte, on découvre que les alliés de la “coalition” se trouvent devant une tâche impossible : ils ne savent plus, aujourd’hui, ce que signifie “gagner une guerre”, ils ont égaré la définition du mot “victoire” et même celle du mot “guerre” et doivent même commencer à douter que de tels concepts existent encore… Du moins, tout cela, selon les conceptions occidentalistes.
La grande différence entre l’Afghanistan et le Vietnam, sans aucun doute, et même entre l’Afghanistan et l’Irak, c’est l’impossibilité grandissante de définir la guerre, de situer l’“ennemi” et de l’identifier, jusqu’à se demander s’il y a un ennemi ou si, au contraire, l’ennemi ne se trouve pas tout simplement partout, dans la population, insurgée ou pas, dans les événements eux-mêmes, dans la façon d’être de la “coalition”. Cette incertitude renvoie parfaitement à l’incertitude qui caractérise la position de chacun dans la “coalition”, autant dans l’OTAN qu’aux USA, vis-à-vis de cette guerre… Quel est le but de cette “guerre” dont on se demande si c’est bien une guerre ? A quoi sert-elle ? Parfois, l’un ou l’autre analyste parle d’un grand dessein, du contrôle d’un pays stratégique, du contrôle des “ressources”, de la fixation d’une force importante de l’OTAN au sud de la Russie (de la même façon que certains expliquaient, à la fin des années 1960, l’absence de victoire US au Vietnam par le calcul machiavélique des USA pour conserver une force de 500.000 hommes sur le pied de guerre, au sud de la Chine communiste). Ces explications sont dérisoires par rapport aux effets catastrophiques de l’Afghanistan pour la “coalition”, quand l’on voit avec quelle facilité un peu d’habileté politique et une bonne diplomatie permettent à un pays comme la Russie de récupérer toutes les influences et les bonnes relations qu’elle veut (avec la Pologne, avec l’Ukraine, avec la Turquie, avec l’Azerbaïdjan, avec l’Ouzbekistan, avec la Norvège), alors même qu’on se demande si la meilleure solution (mais à quel problème, au fait ?) ne serait pas de faire entrer la Russie dans l’OTAN.
La réalité est qu’il semble bien que la “coalition” (c’est-à-dire les USA et les autres, qui sont là parce que les USA y sont) vive dans un autre temps, ou bien ait inventé un temps historique différent de celui qui est le nôtre. Les USA ne peuvent imaginer une façon d’être autre que celle de la puissance, de l’affirmation de la puissance jusqu’à la caricature, jusqu’à l’activation de l’inutilité et de l’inefficacité de cette puissance. Les USA ne peuvent imaginer autre chose que la politique de l’“idéal de la puissance” et ils l’ont poussée à son paroxysme jusqu’à l’usure irréversible, lorsque l’efficacité de cette puissance a dépassé son pic de “rentabilité” pour dégringoler dans l’impuissance. La guerre en Afghanistan est à l’image du Pentagone et de son budget monstrueux, produisant de moins en moins de moyens, de moins en moins d’efficacité, de moins en moins de systèmes convenant aux circonstances, à mesure que ce budget continue à augmenter.
Mis en ligne le 17 mai 2010 à 06H41