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1176Parmi tous les arguments employés contre le F-22 durant ces derniers jours avant le vote du Sénat des Etats-Unis, puis pour saluer le vote du Sénat du 21 juillet, le plus impressionnant est celui de l’absence d’usage (d’utilité) de l’avion dans les conflits en cours. Il s'agit du plus impressionnant parce que le plus apte à nous démontrer que nous sommes dans un univers virtualiste où la reconstruction du monde emploie le sophisme comme principal matériau. A cet égard, tout vient réellement de Gates, le maçon en chef du domaine, puisque c’est lui qui emploie prioritairement cet argument sophistique et qu’il l'a forgé de toutes pièces, par le fait même de sa fonction.
L’argument, mille fois répété, est, par exemple, repris par Robert Sheer, dans un texte pour la station de radio NPR, le 22 juillet 2009 (souligné par nous en gras):
«You wouldn't think it should require great courage to conclude that the 187 F-22s already authorized are enough when the plane has yet to fly a single combat mission in Afghanistan, Iraq or anywhere else. But if usefulness was the criterion for defense spending, it would not have ballooned since the 9/11 attack, accounting for more than half of the federal government's discretionary budget. Trillions wasted—ostensibly to defeat a terrorist enemy armed with an arsenal that can be purchased for a couple of hundred bucks at any garden-variety hardware store. We would not be spending as much on the military as the rest of the world's nations combined, friend and foe, if defense spending was anything more than an elaborate political slush fund.»
Ces affirmations péremptoires ne sont en général pas détaillées. Il fut effectivement question d’envoyer le F-22 en Irak, au début de 2007, pour renforcer le “surge” déclaré depuis victorieux; il fut effectivement décidé de ne pas l’y envoyer. Ce n’est pas suffisant pour en conclure quoi que ce soit à propos du F-22 exclusivement. Entrons dans le détail.
• Le 20 janvier 2007, nous répercutions la nouvelle, semi-officielle, d’envisager l’emploi du F-22 en Irak. Il s’agissait alors d’en espérer un “effet d’annonce” car, à cette époque, le F-22 était sans la moindre contestation possible la quintessence de la puissance aérienne, la gloire des USA, le favori du Pentagone et ainsi de suite.
• Le 7 février 2007, il y avait l’annonce que, sans doute, il serait décidé de ne pas envoyer le F-22 en Irak. La cause en était sa difficulté d’emploi dans un espace déjà massivement occupé par les matériels US et, surtout, saturé d’électronique du fait de l’action de ces mêmes forces, avec de graves possibilités d’interférences. Il s’agissait d’un effet “fratricide”: l’emploi massif de l’électronique par le côté US conduisant à des effets secondaires d’“auto-brouillage” des systèmes US eux-mêmes…
«[Le général de l’USAF] Keys nous apporte autre chose, un enseignement très intéressant par sa précision. Non seulement le monde virtualiste du Pentagone condamne le type de guerre qui est mené en Irak, non seulement il y est très mal adapté, mais en plus ses formidables capacités aggravent paradoxalement sa situation dans cette guerre. La monstruosité de la puissance du Pentagone est désormais entrée dans une phase auto-prédatrice.
»La capacité de brouillage, aspect essentiel de la guerre électronique, en étant introduite dans la guerre primitive de l’Irak, a pour effet d’annihiler, voire de dégrader les systèmes les plus puissants du Pentagone. Par conséquent, elle sème le désordre dans la machine de guerre américaniste. Keys a l’air manifestement très inquiet: c’est un problème sérieux, aussi bien pour le F-22 que pour les forces US au sol.»
• Le problème était encore détaillé le 10 février 2007. On y précisait que le problème était général, qu’il affectait tous les systèmes de plus en plus gravement à mesure de leur sophistication, donc très gravement pour le F-22 mais encore plus pour le JSF. L’abandon du F-22 aujourd’hui, pour nombre des partisans de cette option (particulièrement Gates), est bien entendu que le JSF fera tout, y compris ce que le F-22 ne fait pas, mieux et moins cher que le F-22. Le sophisme en arriverait à décourager par sa grossièreté.
Nous terminions notre texte par ceci: «Il faut ajouter, pour se référer à un de nos sujets favoris, que le JSF, bien que de capacités beaucoup moins puissantes et d’autonomie d’action radicalement réduite, est dans la même catégorie que le F-22. Il en dépendra en partie opérationnellement. Le JSF devrait par conséquent se heurter au même problème “existentiel”, et doublement puisqu’il dépend en partie du F-22. Cela donnera de quoi réfléchir, s’ils en ont le temps et l’opportunité, et s’ils en sont informés, aux coopérants non-US du programme, particulièrement les Européens.»
Ainsi pouvons-nous détailler le sophisme de l’argument utilisé contre le F-22. Il est double.
• Le peu d’intérêt d’utiliser le F-22 dans le type de guerre en cours ne tient pas à l’avion mais à la façon dont les USA font ces guerres; tous les systèmes US sont soumis aux mêmes contraintes, à mesure inverse de leur sophistication; par conséquent, le JSF, présenté glorieusement comme l’alternative brillante au F-22, fera pire que le F-22. Ce qui est en cause est l’“American way of war”, totalement basée sur la technologie, et le F-22 est l’un des systèmes les plus représentatifs de cet “American way of war”. C’est pourtant au nom de son inadaptation à cet “American way of war” qu’il est condamné.
• Le principal du sophisme tient par conséquent dans la malhonnêteté logique de l’argument et se déroule selon le tryptique courant: on (Gates) a décidé que le F-22 n’irait pas effectuer de missions en Irak et en Afghanistan, pour les raisons exposées ci-dessus qui tiennent aux conceptions US elles-mêmes; donc, on (Gates) constate que le F-22 n’a pas rempli de missions en Irak et en Afghanistan; donc, on (Gates) conclut, sans doute la mort dans l’âme, qu’il est avéré que le F-22 est inadapté aux guerres type Irak et Afghanistan puisqu’il n’y a effectué aucune mission.
Que le F-22 soit utile ou non en Irak et en Afghanistan n’est pas ce qui nous importe principalement. Bien sur, il y est inadapté, sans doute un peu plus que les F-15 et les F-16 qui y opèrent en semant les dégâts collatéraux qu’on sait autour d’eux, et certainement bien moins que le JSF qu’on vous présente en des termes dithyrambiques. Ce qui est fautif, c’est la forme de guerre que font les USA, totalement inhumaine et technique, et ce qui est faussaire, c’est la conclusion que le F-22 y est inadapté et que le JSF y sera parfaitement adapté. Les deux avions sont et seront parfaitement adaptés à la guerre fautive que font les USA, et parfaitement inadaptés à la réalité du monde, mais le JSF un peu plus encore que le F-22. Dans tous les cas, la campagne en Irak et la campagne en Afghanistan ont fourni, sans le F-22, des résultats suffisamment sensationnels sur la forme de guerre que mènent les USA pour qu’on puisse conclure que l’argument sophistique qui a été développé autour du F-22 mesure l'empressement avec lequel la pensée américaniste s’enfonce de plus en plus dans son univers sophistique. D’ores et déjà, le JSF, bien plus que le F-22, y brille de ses mille feux comme la star incontesté.
Tout cela se résume, en termes politiques, par le commentaire sur le vote du Sénat du 21 juillet 2009 contre la production d’une pincées de F-22 supplémentaires est “une victoire remportée sur le complexe militaro-industriel” et, “sans doute, la défaite la plus significative du complexe militaro-industriel depuis la Deuxième Guerre mondiale”. Pourquoi pas “depuis la naissance de Jésus-Christ”, cela enverrait le F-22 en enfer, là où est sa place, plutôt qu'en Irak où il n'a jamais été.
Mis en ligne le 23 juillet 2009 à 10H29
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