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230319 février 2018 – Présentant la vidéo de James Woolsey qu’on a reprise hier, où l’ancien directeur de la CIA ne cache pas une seconde que les USA (la CIA) continuent à intervenir dans les élections d’autres pays, comme ils reprochent hystériquement aux Russes de faire depuis deux ans, Alex Christoforou commente avec une sévérité indignée : « Leur hybris est stupéfiant », « Leur hypocrisie est si grossière que lorsque Laura Ingraham demande à Woolsey si les USA n’ont jamais interféré dans des élections [d’autres pays], la réponse (et les rires de tous) en dit énormément... »
Je trouve bonne ici l’occasion de m’attarder à une question fondamentale, que j’hésite fortement à expédier, ou mieux encore à court-circuiter par des mots définitifs tels que “hybris” et “hypocrisie”. Sans nul doute, l’hybris et l’hypocrisie ont évidemment leurs places dans un caractère américaniste, surtout d’êtres occupant les fonctions que nos deux héros occupent. (J’ai tendance à mettre Ingraham, la présentatrice, dans le même sac que Woolsey.) Sans nul doute également, d’autres caractères que l’américaniste, et d’une façon générale le caractère humain, et donc le mien également, ont tous quelque chose de l’hybris et de l’hypocrisie en eux ; c’est un peu du même domaine de la standardisation que nous présentait le philosophe-Johnny, et encore plus puisqu’il s’agit de l’American Dream de son cru assez bas, lorsqu’il chantonnait : « On a tous quelque chose en nous de Tennessee ».
La seule question en suspens est de savoir ce qu’on fait de cette présence en soi, comme des souches offertes, de l’hybris et de l’hypocrisie, si on y cède pour les laisser fleurir en s’en lavant les mains, ou si on les identifie et, après avoir compris ce dont il s’agit, les tenant à distance sans jamais faiblir comme on ose regarder le Diable dans les yeux en lui disant “Toi, le venin”... Mais certes ! Ce n’est pas la question que je veux envisager ici, et il suffit alors de savoir qu’elle est et reste posée.
On n’a donc rien dit concernant ce qu’il m’importe de Woolsey-Ingraham lorsqu’on a dit : hybris et hypocrisie.
Ce qui m’importe, d’une certaine façon comme s’il s’agissait à la fois d’un symbole et d’une image qu’il importe de déchiffrer, c’est le visage que montre Woolsey au moment à la fois le plus révélateur et, paradoxalement, le plus facétieux, – oui, je tiens à ce mot malgré tout, – puisqu’il déclenche un éclat de rire général...
Ingraham : « Mais nous ne faisons plus ça aujourd’hui, n’est-ce pas, nous n’interférons pas dans les élections d’autres pays ? »
Woolsey : « ... Eh bien, eh bien... Miam, miam, miam... »
J’ignore s’il dit vraiment “miam, miam, miam”, et si c’est au sens où on l’entend, où on le comprend, mais j’ai trouvé que cette onomatopée qu’il me semble entendre correspondait à merveille, presque symboliquement, à l’instant et à la pseudo-“révélation”. Mais ce n’est pas une “révélation”, n’est-ce pas, nous comprenons tous cela ? D’où, pour mon compte, les guillemets et le “pseudo-”...
Mon Dieu, vérité pour vérité (on verra plus loin de quoi je parle), il faut savoir avec la plus extrême fermeté que tout le monde, s’il s’agit d’être responsable et digne de la connaissance des choses, que tout le monde devrait bien savoir qu’ils font dix fois, mille fois plus que les Russes dans les domaines des dirty tricks et que l’indifférence totale de l’américanisme pour la souveraineté, pour l’identité et l’intégrité des autres, sa propension à violer tout cela comme on s’étend sur un divan troué et bosselé, est absolument et complètement évidente et époustouflante. Alors, la question qui me semble la plus intéressante pour le compte est bien celle-ci : ont-ils conscience de leur double jeu, de ce que j’appelle la “catalepsie schizophrénique de la psychologie” [américaniste] ? La chose était ainsi définie dans le texte qui est ma référence pour ce cas :
« Tous les dirigeants américanistes sont dans un état de catalepsie schizophrénique de la psychologie : alors que le “un normal” vaque à ses occupations, le “un antirussiste” vit sous la terreur chaque jour amplifiée des entreprises de subversion de qui-vous-savez. »
Donc, Woolsey disant « Miam, miam, miam... » alors qu’il lâche le morceau par ce seul fait, et tout le monde qui éclate de rire ; et lui-même qui a du mal à ne pas faire comme les autres, qui affiche un regard complice et un sourire plus ironique que cynique à mon sens, tout cela donnant à sa mimique un sens difficile à saisir. En d’autres mots : de qui Woolsey se moque-t-il ? De nous, les spectateurs, et non téléspectateurs dans ce cas, pour ceux d’entre nous qui, dans cette caverne pourtant trouée, ignorent encore par leur seule faute de la faiblesse de la connaissance et de la lâcheté du jugement, que c’est ainsi que les USA agissent, comme les plus infâmes faussaires de l’histoire du monde ?
Ou bien, ou bien, et voici deux autres hypothèses qui se complètent, dans un tout autre sens : Woolsey ne se moque-t-il pas de lui-même et de ses complices (Ingraham et le personnel technique), qui sont obligés de cacher, ou plutôt de “faire simulacre”, de simuler la dissimulation de ce qu’ils jugent au fond quoiqu’inconsciemment que tout le monde sait, et donc simuler la vertu outragée en racontant cette histoire de Russes dont ils se doutent bien qu’on continue à en “faire simulacre” là aussi ? Ce faisant, ne se moque-t-il pas du Système lui-même, qui les oblige à cette mascarade dans tous les sens ? Cet instant, au lieu d’être celui de l’hypocrisie et de l’hybris, n’est-il pas celui de la vérité qu’on laisse éclater un instant, – l’instant de vérité, – par lassitude du mensonge et par un besoin de détente d’une psychologie épuisée par la contrainte du mensonge ?
Il faut bien comprendre que la chose est plus sérieuse qu’elle ne paraît. Dans ces huit-dix dernières secondes, Woolsey, avec la complicité d’Ingraham et de sa question, anéantit tout ce qui a été dit précédemment, pendant près de cinq minutes, sur l’ignominie des Russes, leur infamie, leur non-humanité, leur sous-hommisme (caractère de celui qui est un sous-homme), etc. Il n’est nullement assuré qu’il (Woolsey) et les autres en soient conscients, de combien cette mimique-“Miam, miam, miam” et cet éclat de rire général constituent une dangereuse escapade hors du pli et de la ligne d’alignement des mots et des esprits. J’entendrais alors par là qu’ils ont parlé et réagit de la sorte, du fait inconscient d’une psychologie qui n’en peut plus de cette pression constante du mensonge stupide, qui prend un instant sur elle de reprendre son souffle.
Et alors, puisqu’elle y est, cette psychologie qui agit en profondeur, hors du champ de leurs consciences alignées, qui déclenche le fou-rire général et révélateur du simulacre, cette psychologie ne se moque-t-elle pas du Système qui la contraint certes mais dont, malgré tout et toujours inconsciemment, combien elle voit clair en lui, sa malice immonde, sa gloutonnerie à dévorer le monde (« miam, miam, miam »), et finalement la sottise insensée de ses actes quand on en mesure les effets et les conséquences catastrophiques pour lui ? Ah, la phrase de Guénon ! « On dit même que le diable, quand il veut, est fort bon théologien ; il est vrai, pourtant, qu’il ne peut s'empêcher de laisser échapper toujours quelque sottise, qui est comme sa signature... »
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