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2465• Quelques remarques de grand intérêt, d’une revue professionnelle américaniste de haute valeur (‘Military Watch’) sur l’avion de combat russe Soukhoi Su-57, qui intègre la technologie de la furtivité (‘stealth technology’). • Les Russes agissent d’une façon très spécifique : au contraire des USA, ils font en sorte de n’être pas prisonniers de cette ‘stealth technology’. • Cela relève d’une “tradition” russe qui est de ne jamais tout céder à la modernité (ici, les technologies) : la “tradition” de ne jamais écarter la proximité de la tradition.
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Le Soukhoi Su-57, premier avion russe de la dite “cinquième génération” avec des caractéristique ‘stealth’ (furtivité pour échapper le plus possible au repérage des radars par divers moyens de fabrication), effectua son premier vol-prototype au début de 2010 après de très nombreuses difficultés, reports, reconfigurations, etc., tout cela essentiellement du aux catastrophiques conditions de l’industrie militaire et des forces armées à partir de l’effondrement de l’URSS. La même appréciation de scepticisme et de doute accompagna le développement de l’avion, alors que les différents modèles Soukhoi de la génération 4,5 (notamment les Su-27, Su-34 et Su-35) connaissaient un développement très satisfaisant.
La principale question que les historiens, techniciens, et éventuellement “idéologues” de l’aviation russe se posait était celle-ci, – alors que les USA connaissaient des difficultés grandissantes avec leurs avions de la 5ème génération (F-22, F-35) :
“Les Russes ont-ils besoin d’un avion aussi sophistiqué alors qu’ils ont toujours réussi dans les machines plus solides que sophistiquées et que les avancées technologiques commencent à s’essouffler vers un effondrement du technologisme ?” (PhGBis)
Le développement du Su-57 se poursuivit au long des années 2010, avec une première introduction opérationnelle expérimentale en Syrie en 2017-2018. Tandis qu’on entrait dans le stade de la production, les premiers Su-57 intervenant en situation de combat sont apparus en Ukraine en 2023.
Ce qui nous intéresse aujourd’hui, qui est d’ailleurs signalé par un article du site ‘Pravda’ est un article très intéressant et très fouillé de la revue américaniste ‘Military Watch’, qui fait partie des revues spécialisées US particulièrement appréciées dans leurs jugements techniques et opérationnels. ‘Pravda’ écrit :
« Le magazine américain ‘Military Watch’ a rapporté la grande efficacité des chasseurs russes Su-57 dans les zones avec une concentration impressionnante de défense aérienne en Ukraine. L'article note que l'armée de l'air utilise avec confiance la furtivité du Su-57, transférant ces avions pour des opérations de combat actives dans des régions dotées de puissantes défenses aériennes. »
Le jugement de ‘Military Watch’ est largement développé dans les extraits suivants qui s’attachent à l’utilisation opérationnelle du Su-57, dont 12 exemplaires de série et 20 exemplaires de série ont été produits en 2023 et 2024. L’article est du 12 décembre 2024 :
« ...L’Armée de l’air russe a démontré une grande confiance dans les capacités furtives du Su-57 et a déployé ses chasseurs pour des opérations de combat de haute intensité dans certaines parties du théâtre ukrainien avec des concentrations particulièrement élevées de défenses aériennes ukrainiennes.
» Malgré des améliorations significatives intégrées au fil du temps, le Su-57 accorde beaucoup moins d'importance aux capacités furtives que les chasseurs chinois ou américains de cinquième génération, et n'a pas été conçu pour des vols de pénétration en profondeur dans le territoire ennemi. Il s'agit plutôt de conserver un haut degré de survivabilité tout en opérant derrière et en tandem avec un écran de systèmes de défense aérienne basés au sol. Le programme Su-57 a donné la priorité à la réduction des besoins de maintenance et des coûts opérationnels pour éviter les taux de disponibilité très faibles qui ont affecté les flottes de chasseurs furtifs américains F-117, F-22 et F-35. L’une des principales raisons pour lesquelles cela a été réalisé est la réduction de la dépendance aux revêtements absorbants antiradar du corps de l’avion, obtenue grâce à l’utilisation de solutions innovantes telles que la fibre de verre absorbant les ondes-radars. Contrairement aux chasseurs furtifs américains qui coûtent systématiquement beaucoup plus cher à exploiter que leurs prédécesseurs de quatrième génération, cette approche permet au Su-57 d'atteindre potentiellement des coûts opérationnels inférieurs à ceux de son prédécesseur direct, le Su-27 soviétique, permettant ainsi à la Russie de déplacer sa flotte dans la cinquième génération sans augmenter de manière significative le financement de la durabilité ou réduire le nombre de chasseurs en service. »
La même revue ‘Military Watch’ suit avec attention et professionnalisme les productions aéronautiques militaires russes. Ainsi en est-il donc du Su-57, auquel la publication consacrait un article important le 20 octobre 2024 à la suite de photos officielles publiées par le ministère russe de la défense de l’avion portant et tirant des missiles de croisière de grandes dimensions. ‘Military Watch’ en faisait une analyse serrée et tirait des conclusions opérationnelles très intéressantes. Nous donnons ici quelques extraits de la chose.
« Des images diffusées le 19 octobre montrent un chasseur Su-57 de cinquième génération de l'armée de l'air russe transportant ce qui semble être deux missiles de croisière Kh-59 à l'extérieur, alors que la classe de chasseurs continue de participer à des opérations contre les forces ukrainiennes et occidentales alliées. La configuration inhabituelle a soulevé un certain nombre de questions sur la manière dont les Su-57 sont exploités, car les chasseurs de cinquième génération sont conçus avec des sections transversales radar réduites pour améliorer la capacité de survie, tandis que le transport externe de missiles, comme le montre la séquence, augmente ces sections transversales à des niveaux similaires à ceux des avions non furtifs de quatrième génération. [...]
» Des Su-57 ont été déployés dans des zones à forte concentration de défenses aériennes ukrainiennes dans le passé, notamment début octobre, lorsqu'un des avions a été utilisé pour abattre un prototype de drone russe S-70 qui semblait prêt à s'écraser dans une zone ukrainienne, détenu ou territoire de l'OTAN. Cependant, la majorité des opérations ne semblent pas avoir eu lieu à des distances qui mettaient les chasseurs en danger, ce qui signifie que la compromission des capacités furtives est loin d'être un problème sérieux. Dans de telles circonstances, le déploiement de missiles externes moins chers reste un moyen plus rentable d’employer les Su-57 sur le théâtre. Les forces armées russes ayant largement expérimenté l'utilisation de leurs systèmes d'armes de nouvelles manières sur le théâtre ukrainien, il reste également possible que le Su-57 vu dans les images testait une configuration de charge utile de missiles de grandes dimensions transportés en pylônes externes en plus de sa charge utile complète en soute interne. Une telle configuration pourrait potentiellement voir les chasseurs utiliser des missiles externes moins bien défendues que les armements normaux pour la furtivité dans les soutes internes, avant de larguer après le tir les pylônes qui portaient ces missiles externes pour entrer en mode ‘stealth’. »
Ces divers points analysés par ‘Military Watch’, revue US qu’on ne peut soupçonner de complaisances concernant les productions russes, mais plutôt d’exploratrice des moyens et des emplois opérationnels de ces systèmes. Or, tout ce que nous dit la revue est du plus grand intérêt pour cerner, ou plutôt voir confirmée ce que nous nommerions la “philosophie” russe des armements par rapport à la technologie.
Les armements russes, qu’ils soient moyens ou très bons par rapport aux normes, sont tous chargés d’une vertu typiquement russe : la rusticité. Qu’on fasse remonter cette préoccupation à une nation qui a une immense agriculture et de nombreux citoyens vivant et travaillant dans des conditions de nature, ou qu’on mette en avant l’immensité du territoire qui implique qu’on doive pouvoir utiliser ces armements dans des conditions qui sont très souvent rustiques et nullement aménagés d’une façon moderne (artificielle) et très sophistiquée, ou qu’on mette les deux arguments en avant, – on trouve là le besoin de rusticité. Cela porte sur divers détails qui ont tous leur raison d’être : par exemple, le fait que l’on observa à son entrée en service que le MiG-23 à géométrie variable (technologie très sophistiquée) avait un train d’atterrissage avec des pneus très large et gonflés à basse pression s’expliquait par l’éventuel déploiement de cet avion pourtant très sophistiqué sur des terrains très sommairement aménagées.
Ce fut donc avec une certaine surprise qu’on suivit le développement du Su-57 autour de la technologie ‘stealth’, qui est l’archétype (assez malheureux pourtant) de la technologie la plus avancée. C’est pourquoi les détails donnés par ‘Military Watch’ nous paraissent particulièrement intéressants :
• La conception du Su-57 est loin d’avoir tout sacrifié à la ‘stealth technology’, notamment les capacités de manœuvre de l’avions en combat aérien. De nouvelles astuces ont été trouvées pour réduire le coût de l’avion, qui semble ainsi parvenir au fait miraculeux d’être moins coûteux que ceux de la génération précédente (alors que les USA doublent ou triplent le prix des avions de 5ème génération par rapport à ceux de la génération précédente).
• Les remarques sur l’emport de charges extérieures importantes dans l’espace sécurisé avant d’atteindre l’espace de combat ouvert, donc l’absence d’une véritable ‘stealth’, montrent une agilité et une adaptabilité constantes aux circonstances pour échapper au diktat de cette technologie. De même, la définition de l’emploi des Su-57 par rapport à la couverture ou non de la défense aérienne montre la même liberté prise avec ce diktat qui n’en est un en aucune façon pour ses véritables effets.
• En ce sens, l’adoption de la ‘stealth technology’ n’emprisonne nullement, ni l’avion, ni la tactique, mais s’inscrit dans une conception générale de la guerre qui exige une complète liberté d’emploi, d’orientation, d’opérationnalité, etc. C’est là une très grande différence avec les forces armées US qui se trouvent aujourd’hui, dans divers domaines, emprisonnées dans le diktat de l’emploi de la ‘stealth technology’ (ou d’autres technologies émergentes éventuellement).
Ce qu’il nous importe de mettre en évidence d’un point de vue “philosophique”, c’est que cette façon de faire renvoie à l’engagement constant de la Russie, – autant que faire se peut selon les conditions réclamées par les activités modernistes, – à tout ce qui se réfère à la tradition : la façon de faire renvoie à la façon d’être. Les Russes suivent les technologies les plus avancées (modernité) mais ils doivent constamment veiller à n’en jamais être les prisonniers (tradition contre modernité). Ils doivent soumettre toutes les technologies qu’ils doivent développer pour tenir au diktat inverse, diktat absolu et absolument vertueux du fait de ses origines primordiales, qui est le diktat de la tradition : toujours au plus près de la tradition même si l’on en est loin ; toujours la possibilité de revenir à la tradition s’il s’avère que l’infamie et l’inversion de la modernité entraînent trop loin.
Mis en ligne le 14 décembre 2024 à 18H50