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403Certes, il s’agit du JSF… On ne cesse de débattre, dans les milieux et les publications spécialisés, particulièrement sur Internet bien sûr, du plus récent avatar de communication du programme JSF, qui se caractérise par une “fuite” très rapide (on y reviendra) d’un rapport intérimaire du Pentagone, dit Quick Look Review (QLR). Le 19 décembre 2011, sur son blog d’Aviation Week & Space Technology (Ares), Bill Sweetman revient sur ce propos avec des observations intéressantes.
«A typical report quotes an analyst as saying that “the F-35 was turning out to have the same schedule, cost and technical issues suffered by most aircraft programs, including Boeing's new 787 Dreamliner. ‘It's not a pleasant picture, but it's far from a terminal one either’.”
»If “most programs” had the Dreamliner's issues, this would be one depressingly incompetent industry to work in. And the 787's problems so far have translated into strategic failure: The goal was to bury Airbus in the mid-market, but the old-school A330 is still alive and kicking, while Airbus outmaneuvered a distracted Boeing in the narrow-body segment.
»The JSF problems may or may not be terminal, but the idea that a major take-away from the first full year of flying (F-35s this year have flown twice as many sorties as the program had notched up a year ago) is that the production ramp-up needs to be stopped is something new, and not normal.
»For the F-35, it's also new that a critical report leaked as fast as it did. That's usually an indication of high-level dissent…»
Effectivement, Sweetman met en évidence le point le plus intéressant du rapport, qui est cette contradiction qu’il définit comme «the looming collision between discovery in flight and fatigue testing and planned production increases». D’une façon plus spécifique et plus large nous définirions cela comme ce paradoxe extrêmement antagoniste, jusqu'à l'autodestruction... Alors que les essais actuels sont, depuis quelques mois, très satisfaisants et progressent beaucoup plus vite que prévus, la pression et l’urgence de ralentir, sinon de stopper temporairement la production ne cessent d’augmenter très rapidement. La raison, également paradoxale est que plus les essais se développent plus rapidement, plus vite apparaissent, en plus grand nombre, des imperfections importantes, notamment structurelles, qu’il va falloir rectifier, notamment sur les avions déjà produits ; et cela, ce dernier point, accentue vertigineusement le coût du programme et de l’avion. Dans ce cas, pourquoi produire alors que les appareils produits vont devoir être modifiés ? (Autant pour la fiabilité fortement proclamée au lancement du programme de l'efficacité absolue des conceptions virtuelles par ordinateurs, écartant tout défaut ou vice de conception de la chose lorsqu'elle serait confrontée au monde réel...) Ainsi sommes-nous entrés dans une phase d’excellent fonctionnement du programme de développement du JSF pour découvrir que plus ce développement est satisfaisant, plus il handicape le programme en forçant au ralentissement sinon à l’arrêt temporaire de la production… Vit-on une application plus lumineuse de notre diptyque contradictoire de la dynamique de surpuissance alimentant et même se transformant en dynamique d’autodestruction ? (Encore doit-on ajouter qu'il reste des étapes importantes, même après cette phase, comme l'étape cruciale de l'intégration du système général d'électronique, source de tant de problèmes, si seulement l'on parvient à cette intégration d'une façon satisfaisante, – ce qui n'est pas le cas des derniers systèmes de même génération que le JSF, comme le F-22.)
Mais il faut parler, plutôt que de “handicap”, de menace fondamentale contre le programme, tant ce dernier avatar paradoxal qui démarre de ce qui semblait devoir être un prolongement rassurant et peut-être décisif pour la résolution des problèmes du JSF (finalement, les essais marchent bien), s’avère le pire de tous les avatars parce qu’il frappe un programme déjà en lambeaux en lui fermant sa dernière porte de sortie, – son bon fonctionnement enfin rencontré, devenant un très grave handicap de plus ! Cette sensation de “finalité” de la catastrophe du JSF, pas loin de l’échec final jusqu’aux décisions décisives (abandon ?), est largement partagée dans la presse spécialisée (Lire Stephen Trimble, de Flight International, le 15 décembre 2011 : «What started as a seemingly isolated and quickly resolved issue – a single bulkhead that buckled during fatigue testing in November 2010 – has mushroomed into a suddenly public crisis of confidence within the Lockheed Martin F-35 programme.»). Cette même “sensation” est substantivée par la remarque de Sweetman, très professionnelle, – sinon, peut-être, directement informée dans le chef de l’auteur lui-même, – selon laquelle la rapidité de la “fuite” (le QLR date du 29 novembre) signifie qu’elle vient de très haut et qu’il y a donc au moins “un dissident” (un partisan de l’abandon du programme) dans les plus hautes sphères du Pentagone. («For the F-35, it's also new that a critical report leaked as fast as it did. That's usually an indication of high-level dissent…»)
Ainsi pénétrons-nous dans la démonstration in vivo de ce fascinant rapport d’enchaînement dynamique de surpuissance-dynamique d’autodestruction, par le constat que ce n’est pas l’échec qui est l’échec, mais le succès qui est l'échec, – au moment où la surpuissance semble rencontrer le succès qu'elle recherche, elle-même déclenchant le mécanisme peut-être final de l’échec par autodestruction. L’enseignement est universel pour notre époque, pour le système du technologisme, pour le Système lui-même enfin, puisque le cas du JSF est rapproché de celui du 787 DreamLiner de Boeing, et de “nombreux programmes” du domaine (l’industrie aérospatiale, l’un des joyaux les plus scintillants du système du technologisme). Il y a donc un vice fondamental qui ne tient ni à un programme, ni aux technologies, ni même à l’organisation, mais au fait même du technologisme en soi, – donc une critique fondamentale, voire une condamnation structurelle du Système. Il n’y a pas une erreur, une tare, un vice, etc., mais l’ensemble de la chose qui est impliqué. Il semble que le système du technologisme, représentation absolue du Système dans ce cas, ne puisse plus désormais produire que des schémas incluant tous ses ingrédients (technologies, organisation et gestion, développement, etc.) et dont l’effet inéluctable est la mort de lui-même. Nous sommes au bout du voyage, là où le succès suprême est également l’échec suprême, la surpuissance son autodestruction, sans qu’on puisse discerner précisément le point de cette rupture. C’est l’essence même du Système qui est devenue rupture de lui-même… (La cerise sur le gâteau est, bien entendu, le rôle de Janus absolu que tient le système de la communication dans cette affaire, puisque c’est lui qui fournit obligeamment toutes les pièces du dossier de l’effondrement du Système, – y compris, merci l’artiste, cette “fuite” du QLR aux conditions si particulières, génératrice de cette affreuse «suddenly public crisis of confidence» qui fait qu’au fond, finalement pour toutes ces psychologies épuisées, eh bien plus personne n’y croit… Crise de la foi [dans le JSF, c'est-à-dire dans le Système], symptôme de la Fin Dernière.)
Mis en ligne le 20 décembre 2011 à 10H06
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