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12 avril 2008 — Les sondages précisent et confirment les pires perspectives possibles pour les démocrates. On constate d’une part que les deux candidats possibles se voient rattrapés sinon dépassés dans les sondages par le républicain McCain qu’ils distançaient jusqu’ici (sondages sur l’hypothèse de l’élection finale); d’autre part que s’enracine la volonté catastrophique pour le parti démocrate d’une partie importante des électeurs d’un des candidats de préférer McCain plutôt que de voter pour l’autre démocrate si c’est cet autre qui est désigné.
The Independent de ce matin développe ce phénomène, en mettant l’accent sur le recul d’Obama («Obama's lead over McCain evaporates as Democrats fight»). Les résultats de cette enquête, réalisée par Associated Press (avec Ipsos), avaient été également diffusés par RAW Story le 10 avril, selon le compte-rendu AP initial.
«Republican Sen. John McCain has erased Sen. Barack Obama's 10-point advantage in a head-to-head matchup, leaving him essentially tied with both Democratic candidates in an Associated Press-Ipsos national poll released Thursday.
»The survey showed the extended Democratic primary campaign creating divisions among supporters of Obama and rival Sen. Hillary Rodham Clinton and suggests a tight race for the presidency in November no matter which Democrat becomes the nominee.
»McCain is benefiting from a bounce since he clinched the GOP nomination a month ago. The four-term Arizona senator has moved up in matchups with each of the Democratic candidates, particularly Obama.
»An AP-Ipsos poll taken in late February had Obama leading McCain 51-41 percent. The current survey, conducted April 7-9, had them at 45 percent each. McCain leads Obama among men, whites, Southerners, married women and independents.
»Clinton led McCain, 48-43 percent, in February. The latest survey showed the New York senator with 48 percent support to McCain's 45 percent. Factoring in the poll's margin of error of 3.1 percentage points, Clinton and McCain are statistically tied.
(...)
»About a quarter of Obama supporters say they'll vote for McCain if Clinton is the Democratic nominee. About a third of Clinton supporters say they would vote for McCain if it's Obama.»
Cette évolution est évidemment le résultat de la lutte fratricide entre les deux candidats démocrates. C’est aussi et principalement le résultat de leur refus d’aborder les problèmes fondamentaux du pays, mais d’en rester aux polémiques accessoires ou politiciennes. L’absence de réel débat sur la crise économique ou sur la politique d’interventionnisme belliciste est une marque centrale désormais de la campagne des deux candidats démocrates.
Essentiellement à cause de cette évolution, la déception et la démobilisation de l’électorat sont palpables par rapport à ce qu’on a connu d’enthousiasme et de passion en janvier-février, surtout du côté d’Obama, dans ces primaires démocrates. La baisse de la tension et de la passion politiques est très forte. D’une certaine façon, on peut dire que la campagne électorale a été complètement récupérée par l’appareil du système, d’une façon d’ailleurs automatique, par les mécanismes et les tendances habituelles, également par le biais des tendances démagogiques habituelles des candidats en campagne dans ce cadre. Il s’agit de l’usure qu’on dirait presque naturelle du niveau des campagnes électorales qu’imposent les normes de concurrence du système, équivalentes pour les affaires politiques à l’esprit de la libre concurrence dans le contexte du marché libre, niveleuse et démagogique.
Le 25 mars, dans le Financial Times, Anatol Lieven commençait un article sur John McCain par cette remarque: «It may seem incredible to say this, given past experience, but a few years from now Europe and the world could be looking back at the Bush administration with nostalgia. This possibility will arise if the US elects Senator John McCain as president in November.»
McCain, comme le décrit Lieven, est l’homme des “cent ans” de guerre en Irak, d’une attitude très agressive contre l’Iran (“Bomb, bomb, bomb Iran”), mais aussi, en supplément, d’une attitude très agressive contre la Chine et surtout contre la Russie. Pour l’Europe, comme l’observe Lieven, une présidence McCain serait une catastrophe, conduisant l’OTAN à une confrontation ouverte avec la Russie par le biais des projets en cours (élargissement à l’Ukraine et à la Géorgie, réseaux anti-missiles, sécurité énergétique, déstabilisation de certaines régions limitrophes de Russie), qui seraient poussés au maximum malgré les avis des Européens. Avec un McCain, le sommet de Bucarest ne se serait pas terminé comme il s’est terminé; les Européens auraient du céder sur l’Ukraine-Géorgie ou il y aurait eu une rupture au sommet. (Par ailleurs, c'est peut-être l'unique solution, la rupture entre Europe et USA constituant de plus en plus la seule issue pour échapper à l'entraînement de la politique pathologique des USA.)
Il est donc vrai que McCain est désormais une bien réelle possibilité pour la prochaine présidence, actant ainsi un formidable échec de plus d’un système qui ne parvient plus à une représentation acceptable de ses propres tendances internes. Il va de soi, au moins depuis 2006 (Iraq Study Group de Baker et élections de novembre) que le système considère dans sa majorité que la guerre en Irak est une catastrophe. Il va de soi qu’il considère que tout doit être tenté pour essayer d’en extirper les USA. Il va de soi qu’une majorité existe également pour considérer que la politique d’interventionnisme belliciste systématique de l’administration GW Bush doit être modérée, au moins jusqu’à ce que les capacités militaires US aient été restaurées à un niveau acceptable, si cela est possible… Il va de soi qu’on semble parvenir à une situation électorale où le contraire devrait s'affirmer, où le favori serait de plus en plus le candidat de la tendance inverse, minoritaire, défendue par simple fidélité obligée du type féodal (rapports du parti et de l’administration noyauté par les tendances néo-conservatrices plus que par les neocons).
Il est singulièrement étrange, – ou bien singulièrement logique, si l’on accepte l’idée d’une mécanique interne suicidaire du système? – de voir se profiler la possibilité évidente d’une présidence encore plus extrême que la présidence extrême de Bush, dénoncée pourtant de tous côtés et de toutes les façons, avec un président sans doute plus neocon que ne l’a été Bush lui-même. Une présidence McCain mettrait les Européens à rude épreuve, entre leur fidélité-servilité à Washington, les tendances de leurs élites intellectuelles dites (selon le terme US) “liberal hawks”, et la perspective d’engagements absolument catastrophiques avec une puissance US incapable de concrétiser cette puissance en une stratégie acceptable, incapable de se modérer, incapable de concevoir des relations internationales autrement que selon les canons de la barbarie postmoderne..
La tendance actuelle nous conduit à conclure qu’il va de plus en plus de soi que ce système est irréformable. Il est enfermé dans une logique de “montée aux extrêmes”, par tous les moyens, y compris les plus accessoires et les moins politiques finalement, qui sont notamment les tendances démagogiques de la concurrence entre eux, à l'image du marché libre comme nous le notions. (L’amère cerise sur le gâteau étant d’ailleurs de se demander si, de toutes les façons, les candidats démocrates ne sont pas eux-mêmes enfermés dans cette logique de “montée aux extrêmes”. Avec Hillary, c’est presque l’évidence; avec Obama, considérant son évolution dans le sens du système, nous n’en serions pas très loin.)