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23909 mai 2015 – C’est en lisant puis en rédigeant notre Bloc-Notes de ce 8 mai 2015 sur cette “commémoration stratégique” pour l’Inde à Moscou que nous avons pris conscience d’une manière synthétique de ce que nous ressentions et devinions vaguement depuis quelques semaines, voire depuis quelques mois, – disons pour installer une borne à notre réflexion en partie intuitive, depuis les premiers échos “révisionnistes” sérieux sur le rôle de l’URSS durant la Deuxième Guerre mondiale. (Disons, pour ce site, depuis le 13 janvier 2015, par exemple). Cette prise de conscience concerne ceci : cette commémoration du 70ème anniversaire de la Victoire à Moscou n’est plus une commémoration, elle est devenue un événement politique actuel de première grandeur, peut-être même un point de rupture dans l’évolution de la situation.
Voyez l’Inde, justement. Depuis l’arrivée de Modi au pouvoir, on s’interroge sur l’orientation que va prendre l’Inde. Va-t-elle céder aux pressions de ses problèmes sur son “extérieur proche”, qui impliquent notamment un certain nombre de contentieux avec la Chine, et donc la mettent indirectement en porte-à-faux avec la Russie ? Va-t-elle céder aux habituelles sirènes washingtoniennes, toujours à la tâche pour placer sous son empire les peuples qui ne le sont jamais assez, et aucun ne l’est jamais assez ? (Nous préférons cette formulation à celle, plus subtile mais qui en est le vrai but, mais trop subtile pour les USA qui ne peuvent concevoir qu’une puissance puisse choisir une autre allégeance qu’à eux-mêmes, sans comprendre qu’ils mènent là un jeu qui leur est imposé par des influences extérieures et supérieures en capacités : “...Toujours à la tâche pour déstructurer les choses, et avides de séparer l’Inde du reste, de la retourner contre ses partenaires des BRICS”.) Et voilà que la commémoration du 9 mai, par sa solennité, par la puissance du souvenir exacerbé par les attaques révisionnistes, contre un peuple qui a consenti de si grands sacrifices pour l’emporter, par sa représentation tragique enfin, voilà que cet événement devient l’occasion pour l’Inde, non pas de faire son choix, mais de dissiper les flottements d’un choix non encore précisé, d’un partenariat auquel elle tient par-dessus tout, – avec la Russie, et par voie de conséquence avec la Chine.
Les mots qui ont été dits de façon indirecte et même directe sont sans ambages et l’importance stratégique et politique directe de l’engagement est incontestable. «La visite du président [indien à Moscou] est une décision mûrement pesée, pour exprimer [notre] solidarité avec ce pays et avec Mr. Poutine pour ce qu’ils ont fait pour nous et pour ce qu’ils continuent à faire pour nous» (un officiel du ministère des affaires étrangères) ; «[Cette visite] est un message pour nos amis des USA et de l’Union Européenne pour leur dire que l’Inde maintiendra ses relations fondamentales avec la Russie, même si elle discute avec eux de nouvelles relations et de convergences stratégiques ... [La présence du Président] à la parade de Moscou affirmera l’“autonomie stratégique” de l’Inde» (l’ancien ministre des affaires étrangères et ambassadeur indien en Russie Kanwal Sibal).
On a lu le développement que nous faisons concernant l’attitude indienne, qui se place, à cause des circonstances et de la chronologie, comme une sorte d’ouverture d’une saison particulièrement chargée pour les BRICS et l’OCS, une saison véritablement “stratégique” à cet égard. Du coup, une fois la réflexion développée et le poids des mots mesuré, il apparaît que l’Inde a choisi la commémoration de Moscou pour mettre les choses au point ; surtout pour notre propos, voilà la confirmation que la commémoration de Moscou est en soi un événement politique finalement autant que symbolique d’une telle puissance que cette affirmation de l’Inde prend les allures d’un engagement solennel. Lorsque Sibal dit aux USA et à l’UE : “nous sommes à la parade pour affirmer notre autonomie stratégique”, cela sonne comme si la phrase se complétait d’elle-même “... et cette autonomie stratégique aura pour usage, dans ce cas, d’exprimer notre solidarité avec la Russie contre les attaques qui sont portées contre elle”. L’Inde est fermement au côté de la Russie et de Mr. Poutine, qui est un ami et auxquels elle doit reconnaissance et solidarité, dans un processus qui s’entame et ira en s’accélérant, comme la Chine s’est mise dans la même position il y a un an...
Ce qu’il nous importe de faire comprendre dans notre pensée dans cette occurrence, c’est que la parade, la commémoration, ne sont pas pour l’Inde une occasion de s’engager, mais qu’elles sont en vérité plus que cela, – qu’elles sont une des causes de son engagement. (Nous parlons de l’Inde parce que c’est le cas exemplaire de la thèse que nous voulons exposer et que, dans le cadre des BRICS et de l’OCS, sa démarche a une importance stratégique évidente. La même démarche, sans nul doute, vaudrait ou vaudra pour d’autres.) Ainsi cela nous permet-il de fixer ce que nous percevons de l’événement à partir de l’attitude infâme, mais néanmoins politique quoique qu’ils en veuillent, des pays du bloc BAO, à partir de ce qui est en général présenté comme un “boycott”. MK Bhadrakumar, cité dans le texte référencé, fait la comparaison analogique avec les boycotts des années 1980, durant ce qui était encore la Guerre froide (le 6 mai 2015).
«Of course, the main theatre of World War II was the Soviet Union. The western powers adopted a dubious stance when Hitler attacked the Soviet Union and they took their own time to concur with Moscow that fascism was a common enemy and was far more challenging to Europe’s modern history than the ideology of socialism. The Soviet Union was almost bled white in that “great game” played by the West (read Britain), suffering immeasurable losses in human lives and destruction on a scale that mankind has never known. Ultimately, the Red Army stemmed the tide and began surging toward Berlin and by then the West had also jumped into the fray and had become the Soviet Union’s allies.
»Without doubt, the West owes Russia one hell of a lot for the huge sacrifices it made and the tremendous sense of fortitude and grit showed by the Russian leadership and the people in breaking the back of the Nazi war machine so that Europe remained free. Yet, the western world is “boycotting” the seventieth anniversary of the Victory Day over Nazism, which Russia is celebrating this weekend. The New Cold War politics has crept in.
»If President Ronald Reagan boycotted the Moscow Olympics (1984) on account of the Soviet intervention in Afghanistan and if President Barack Obama followed suit when the Winter Olympics at Sochi was held in 2014 on account of his (incomprehensible) displeasure over Russia’s anti-gay laws, Obama is boycotting the Victory Day celebrations in Moscow this weekend apparently on account of Ukraine.
»Of course, when the US boycotts, its allies – not only the Anglo-Saxon allies but the whole western bandwagon — obediently follows the lead. Suffice it to say, it is all very highly political — shenanigans or the petulance of the western statesmen, depending on how you look at it — when it comes to Russia and its politics. (By the way, no one boycotted the Los Angeles Olympics (1984) despite the US’ ongoing subversion of Nicaragua that began in 1981, its intervention in Lebanon in 1982-84, its bombing of Grenada in 1983-1984 or its invasion of Honduras in 1983.)
»Therefore, there is much symbolism in the participation of the President of India Pranab Mukherjee in the Victory Day celebrations in Moscow on May 9. On the face of it, it is abundantly clear that India is expressing solidarity with Russia. It should be noted that Mukherjee is paying a 5-day visit to Russia hosted by Putin...»
Nous avons aussitôt dit notre désaccord avec cette analogie («Nous ne sommes évidemment nullement assurés qu’il faille s’en tenir à cette seule logique de la réminiscence d’une ère politique d’un autre temps»), – sans trop élaborer, esquissant simplement une ouverture pour l’analyse que nous développons ici. Notre désaccord doit maintenant être fixé, affirmé et explicité, pour constater qu’il ne porte pas sur un point de détail mais sur l’appréciation fondamentale de l’événement (l’ensemble commémoration à Moscou/événement politique pour certains invités présents, événement politique dans le fait de l’absence des pays du bloc BAO et des “extérieurs” qu’ils vassalisent ou qu’ils terrorisent).
Essentiellement, les boycotts de la Guerre froide, ceux auxquels Bhadrakumar fait allusion, étaient de véritables boycotts et présentés comme tels. On profitait d’un événement international pour, à partir de son refus d’y participer, exprimer un désaccord et une critique politiques pour un tiers (en général, l’organisateur). Le boycott des JO de Moscou par les USA ne mettaient en cause ni l’existence, ni le fondement, ni l’histoire, ni les règles, ni le sens des Jeux Olympiques. Il s’agissait d’une mesure symbolique extérieure à l’événement qui en fournissait l’occasion, au profit d’une politique extérieure.
Dans le cas du 9 mai, premièrement le fait du boycott est ambigu et n’est pas en général, sauf chez les maximalistes type-Ukraine ou Pologne, présenté explicitement comme tel (certains ont dit qu’ils avaient autre chose à faire et qu’ils s’excusaient de leur absence, d’autres qu’ils envoyaient quelqu’un à Moscou, y compris la plus haute autorité [Merkel] mais que ce quelqu’un n’assisterait pas à la commémoration elle-même). Deuxièmement, l’argument est en général confus, allant de la destruction de l’Ukraine par la Russie dont les plus hautes autorités (voir récemment le 1er mai 2015 et le 7 mai 2015) avouent qu’elles n’ont aucune preuve sérieuse, à l’affirmation tautologique dans le cas d’une commémoration par défilé militaire qu’il s’agissait d’une “démonstration de force” de la Russie (un défilé militaire est toujours une démonstration de force puisqu’on y présente des forces militaires, à moins de présenter des soldats sans armes et des bus à la place des chars).
Troisièmement, – et c’est là le plus important parce que c’est le cœur de notre propos, – certains ont affirmé que la Russie n’avait aucun droit historique à prétendre, par une commémoration qu’elle organise dans sa capitale, qu’elle représentait elle-même le symbole et la mémoire historique acceptables de la victoire sur l’Allemagne. On a entendu des arguments d’une grossièreté inouïe par rapport aux faits historiques. (Voir le texte déjà référencé du 13 janvier 2015 et celui du .) Avec ce troisième point, nous entrons dans une catégorie toute nouvelle : le boycott de la commémoration n’est plus le boycott de la Russie actuelle, dans les circonstances actuelles, mais il devient un boycott par déni et dénonciation de faux et usage de faux de l’événement commémoré, à savoir la victoire de mai 1945 selon la part considérable qu’y ont pris l’armée soviétique et par conséquent la Russie.
Cette tentative, déclenchée par les pathologies hystériques régnant dans des pays comme la Pologne ou les pays baltes, avec comme centre d’attraction la situation ukrainienne de barbarie postmoderne mélangeant l’hyper-narrative-fantasy, la corruption, la couardise et la terreur, a fini par infecter certains pays du bloc BAO, et essentiellement l’exceptionnel système de l’américanisme. Du boycott par défaut initial, Obama a évolué pour en arriver à un boycott par négationnisme. Ray McGovern décrit ce processus extraordinaire de dissolution de l’intellect, dans son texte du 8 mai 2015 sur ConsortiumNews :
«President Barack Obama’s decision to join other Western leaders in snubbing Russia’s weekend celebration of the 70th anniversary of Victory in Europe looks more like pouting than statesmanship, especially in the context of the U.S. mainstream media’s recent anti-historical effort to downplay Russia’s crucial role in defeating Nazism... [...] Obama’s boycott is part of a crass attempt to belittle Russia and to cram history itself into an anti-Putin, anti-Russian alternative narrative. It is difficult to see how Obama and his friends could have come up with a pettier and more gratuitous insult to the Russian people... [...]
» ... Obama, in his childish display of temper, will look rather small to those who know the history of the Allied victory in World War II. If it were not for the Red Army’s costly victories against the German invaders, particularly the tide-turning battle at Stalingrad in 1943-1944, the prospects for the later D-Day victory in Normandy in June 1944 and the subsequent defeat of Adolf Hitler would have been much more difficult if not impossible. Yet, the current Russia-bashing in Washington and the mainstream U.S. media overrides these historical truths. For instance, a New York Times article by Neil MacFarquhar on Friday begins: “The Russian version of Hitler’s defeat emphasizes the enormous, unrivaled sacrifices made by the Soviet people to end World War II …” But that’s not the “Russian version”; that’s the history...»
Ainsi l’enjeu s’est-il complètement transformé dans ces extrêmes du bloc BAO. (Les autres suivent tant bien que mal, avec le pompon de l’hypocrisie et de l’arrangement bancal pour la France et l’Allemagne, – fait de demi-mesure, une gerbe par-ci, une absence par-là, un déclaration martiale pro-Kiev, un ministre glissé à Moscou avec consigne de ne pas regarder les chars sur la Place Rouge et ainsi de suite. Le menu fretin passant sous les fourches caudines de son pseudo-double jeu.)
Nous ne serions pas éloigné de considérer que l’attitude évolutive du bloc BAO vis-à-vis de cette commémoration du 9 mai à Moscou, devenue sans aucun doute un champ de bataille de la guerre de la communication, a fait naître, une fois de plus, une polémique menaçant une situation établie qui était très favorable au bloc BAO. La question, qui semblerait n’être qu’historique, se traduit par la simple interrogation “Qui a vaincu l’Allemagne nazie ?”. A cette occasion, des enquêtes révélatrices sont ressortis, qui de la naphtaline, qui tous frais des instituts de sondage. On se réfèrera à un texte du Sakerfrancophone du 8 mai 2015, repris de Russia Insider du 25 avril 2015. On donne ici l’évaluation à des dates différentes de l’avis de la population européenne sur la question “Qui a vaincu l’Allemagne nazie ?” («Quelle est, selon vous, la nation qui a le plus contribué à la défaite de l’Allemagne en 1945 ?»)... En 1945 : URSS (57%), USA (20%), UK (12%) ; en 1994 : USA (45%), URSS (27%) UK (16%) ; en 2004 : USA (58%), l’URSS (20%), UK (16%).
On peut être assuré que l’opinion a commencé à basculer aux dépens de l’URSS et à l’avantage des USA, cravachée par un hollywoodisme sans mesure, entre 1947 et 1950 (rideau de fer, plan Marshall, guerre de Corée, développement-éclair de l’anticommunisme immédiatement identifié à l’antisoviétisme, etc.). Depuis, avec l’URSS identifiée à la menace, puis avec la Russie identifiée à la dissolution d’un artefact maléfique et tentant de survivre en menaçant l’ordre démocratique du Système, cette tendance s’est renforcée. L’hollywoodisme signalé plus haut, dans son rôle d’usine à virtualisme, a largement contribué à l’entreprise d’imposture développée presque inconsciemment comme fait tout entité “exceptionnaliste” ; on connaît des films tels que Le Jour le plus long (1964) et Il faut sauver le soldat Ryan (1996) qui tendent à faire du débarquement de Normandie le tournant de la guerre, et dans ce débarquement, qui tendent à donner un rôle de plus en plus exclusif aux USA (voir l’évolution à cet égard entre les deux films cités).
(La fausseté de cette évaluation sur le rôle des USA selon la théorie de l’hollywoodisme, et renvoyant à la fameuse école historique d’Hollywood est d’une évidence confondante. La chose ne mériterait guère d’être discutée et c’est cette impudence, ce mensonge au-delà-du-mensonge, où le mensonge devient nouvelle vérité, qui rend épuisante toute discussion. Il faut pourtant s’y mettre parfois ; par exemple et pour notre compte, l’on peut s’en reporter à notre texte du 9 mai 2014, – lequel montre, par parenthèse, qu’on débattait déjà il y a un an de notre sujet. En gros, l'on peut dire que l'action US en Europe a été importante en Europe à partir du 6 juin 1944, alors que la guerre en Europe était gagnée en 1943 avec Stalingrad et Koursk. Pour faire court, l’on peut dire que la Deuxième Guerre mondiale, qui se composait de deux guerres, a vu la victoire de l’URSS en Europe et des USA dans le Pacifique.)
Ce qui importe à ce point est de comprendre que cette récriture de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale pour la minorisation du rôle de l’URSS sans autre forme de débat, en œuvre dès 1945-1946 et quasiment acceptée de facto dès les années 1950, a donné aux USA la légitimité indiscutable à la fois de représenter à eux seuls le Monde libre, à la fois de s’installer en Europe occidentale comme s’ils se trouvaient dans un territoire qui leur était respectueusement confié au nom de leur “sacrifice” de 1941-45 . (En 1996, Richard Holbrooke, ambassadeur extraordinaire des USA dans la crise de l’ex-Yougoslavie, pouvait signer dans Foreign Affairs un article titré «America Is an European Power» sans soulever la moindre remarque d’étonnement au moins géographique dans les élites-Système.) A la fructueuse opération politico-commerciale ainsi réalisée en 1945-1950 s’ajoutaient la légitimité glorieuse de se trouver en Europe comme chez soi selon la justice même de l’histoire, tandis que cette légitimité donnait quitus aux hordes innombrables des collaborateurs appointés ou pas par la CIA de l’américanisme en Europe d’exercer en toute tranquillité vertueuse leur action d’influence. On distingue alors le très grand danger qui pointe, du point de vue des USA/du bloc BAO, de courir le risque de laisser mettre en cause cette version, et d’autant plus grand ce risque qu’elle peut effectivement être si aisément mise en cause.
Le paradoxe illustrant bien le processus-Système surpuissance-autodestruction est bien que c’est le bloc BAO, et particulièrement les USA, qui ont activé ce monstre révisionniste, en présentant une thèse révisionniste dans le sens antirusse d’une histoire qui était déjà faussaire en réduisant le rôle de l’URSS pendant la deuxième Guerre. Désormais, on met en cause non seulement l’importance stratégique de ce rôle (ce qui était le cas depuis les années 1950), mais la réalité même de ce rôle. C’est pousser le bouchon un peu loin, et c’est le faire sous la pression des clowns de Kiev et de leurs divers bataillons néo-nazis, – l’Ukraine imposant au bloc BAO ce paradoxe 1) de réhabiliter d’une certaine façon le nazisme dans la contexte ukrainien, et 2) de dénier le rôle de vainqueur du nazisme à la Russie, pour l’attribuer, par exemple, à l’Ukraine ! Le “d’une-pierre-deux-coups” vaut son pesant de cacahouètes et le moins qu’on puisse constater est que le déterminisme-narrativiste, qui joue à plein, ne craint pas de conduire à des contradictions très rafraîchissantes pour l’esprit... Nul, au sein du bloc BAO, et surtout pas l’érudit BHO, n’a l’air de s’en apercevoir, encore moins de s’en préoccuper.
C’est dans ce contexte que la commémoration du 9 mai, avec toute sa vindicte polémique et l’affirmation russe qu’elle représente, prend sa place de symbole. L’on comprend aussitôt que ce symbole devient instantanément un évènement politique de première grandeur, tant est grande la surpuissance du système de la communication. L’absurdité autant que le tintamarre de la polémique magnifie le symbole et renforce constamment son aspect d’événement politique. Le dispositif “offensif” du bloc BAO dans cette polémique (sa narrative revue et re-re-corrigée) ressemble tellement à un gruyère réduit à ses trous comme autant de détails absolument rocambolesques qu’il devient distrayant de le percer, comme en s’en jouant, – comme le fait Dominique Jamet, de boulevard Voltaire, le 5 mai 2015, cité par le Sakerfrancophone :
«“Poutine seul sur sa place Rouge”, titrait hier Le Journal du dimanche. Seul, vraiment? Au moins les Anglais mettaient-ils de l’humour dans la boutade bien connue et même éculée : “Brouillard sur la Manche : le continent isolé.” Outre la présence de onze chefs d’État africains, d’une douzaine de chefs d’État asiatiques, des présidents cubain et vénézuélien, Vladimir Poutine accueillera sous les murs du Kremlin ces personnages de second plan que sont le numéro un chinois et le numéro un indien. C’est dire que plus de la moitié de la planète, au plus haut niveau, sera représentée samedi prochain à Moscou. Il serait peut-être temps de voir le monde non tel qu’il fut ou qu’on rêverait qu’il demeure, mais tel qu’il est.»
Et il faut encore le répéter, tout cela n’est pas que symbolique même si le symbole triomphe, car il s’agit de présence politique à Moscou avec les arrangements qui se font pour l’occasion mais aussi à cause de la dimension polémique et politique du symbole, – voir l’épisode indien rappelée en tête de ce texte, – et tous ces gens présents à Moscou endossant de facto la version rectifiée de la deuxième guerre mondiale ramenée à sa puissante vérité de situation. Nul doute que ces agitations troublent également bien des esprits dans le bloc BAO, qui ne se réduit pas à l’inculture de sa presse-Système et de ses élites-Système. L’événement symbolique devenu politique lance un brûlot antirévisionniste sinon anti-négationniste, qui porte en lui l’exigence de la complète délégitimation du rôle que prétendent monopoliser les USA au nom d’une histoire caviardée et faussaire. On voit que nous n’en sommes plus au seul symbole ni à la seule commémoration du 9 mai, sinon à avancer l’hypothèse que le symbole devenu événement politique marque un tournant puissant, parce que symbolique justement, dans la déconstruction et la dissolution du rôle tenu par les USA depuis 1945. C’est cette mécanique-là qu’inaugure sans doute cette puissante commémoration du 70ème anniversaire de la capitulation de l’Allemagne.
Nous avons déjà plusieurs fois mis en évidence, avec notre étonnement devant l’action entreprise, le risque incroyable couru par le bloc BAO d’une certaine quasi-réhabilitation du nazisme avec le soutien des clowns de Kiev et de leurs bataillons néo-nazis. Ce risque à la fois symbolique et politique, et politique parce que symbolique dans notre ère de la communication, tient en ce que l’antinazisme et tout ce qui va avec (notamment l’Holocauste, certes) porte en lui ce qui serait aujourd’hui une sorte de substitut métaphysique pour le bloc BAO (une “métaphysique de l’Holocauste”). (Voir le 3 octobre 2014). Cette fois, on va un pas plus loin, et on y va au pas cadencé particulièrement énergique des soldats russes défilant sur la Place Rouge ce 9 mai : il s’agit du risque de délégitimation d’un “Ouest” mythique bâti sur la vertu américaniste héritée de la guerre de la Greatest Generation des USA ; et ce risque de délégitimation porte lui-même le risque de mise à nu des comportements devenant ainsi illégitime des pays du bloc BAO, qui s’occupent et s’espionnent les uns les autres, qui violent collectivement ou individuellement les souverainetés nationales, qui accumulent interventionnisme, bellicisme et droitdel’hommisme, etc., et qui le font, ou le faisaient désormais au nom de la légitimité que leur donne, ou que leur donnait la victoire dite-complète et écrasante des USA étendue au reste de 1945 ... Tout cela est dangereux si la victoire n’en est pas une vraiment, si même elle est plutôt secondaire en Europe par rapport à l’action de la Russie.
Ce que nous voulons signaler ici et bien entendu une fois de plus, c’est, dans le cadre du système de la communication qui règle l’affrontement, la très grande force de communication renforcé par le symbolisme extrêmement puissant et soutenu par la tension psychologique du patriotisme russe, d’un événement comme la parade du 9 mai. Ces échanges, ces polémiques, ces interprétations sont autant de batailles d’une guerre qui se livre essentiellement par les moyens de la communication et tout ce que recèle ce concept. Dans ce cadre, le symbole a un poids formidable, qui, aussitôt qu’il est mesuré, acquiert une dimension politique à mesure. Dans cette sorte de conflit d’un nouveau type (il mérite le qualificatif très tendance d’“hybride”), la perception, l’intuition, la psychologie jouent un rôle considérable, reléguant le technologisme et ses productions, ainsi que la bureaucratie qui le soutient, au second plan. Un nouveau char russe dans le défilé du 9 mai, des missiles russes modernisés, des détachements étrangers (chinois et indien particulièrement), tout cela, dans ces circonstances symboliques, ont aujourd’hui autant d’importance exprimée dans des domaines complètement différents que la bataille de Koursk de 1943, dans une guerre actuelle (Système versus antiSystème) qui est beaucoup plus décisive pour le sort de notre civilisation que n’importe quel conflit qui a précédé.
C’est une étrange situation, où la fortune des armes se mesure en termes de perception, de force psychologique, d’intuition, et non plus en termes de sang et de feu. Cela ne signifie nullement que les effets indirects ne sont pas de ceux que caractérisent le sang et le feu, et qui engendrent malheur et souffrance, – bien au contraire. Cela signifie que ces choses terribles ne sont plus que des conséquences, que la première ligne est un affrontement de communication et de symbole. Dans cette situation radicalement nouvelle, on ne peut dire que le bloc BAO et le Système aient choisi une stratégie particulièrement heureuse en donnant à la Russie, le 9 mai, une occasion symbolique d’une dimension gigantesque d’exprimer la puissance de son histoire et la grandeur des sacrifices consenties, rétablies dans une atmosphère fiévreuse de patriotisme. En termes de communication, en puissance de psychologie et de conviction, cela figure un tournant politique radical.
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