Le Système contre lui-même

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Le Système contre lui-même

La direction politique brésilienne, après un vote favorable de la Chambre, a édicté une nouvelle loi qui “réforme” les lois anciennes de protection de la forêt amazonienne, dans un sens bien entendu “libéral” ; la loi doit encore être approuvée par le Sénat et par la président Dilma Rousseef, mais il semble que ces soutiens soient d’ores et déjà donnés comme acquis. Ce prolongement juridique va permettre une accélération considérable de la déforestation. Les environnementalistes considèrent cette décision comme catastrophique.

The Independent développe la nouvelle ce 26 mai 2011.

«Brazil has taken a big step towards passing new laws that will loosen restrictions on the amount of Amazon rainforest that farmers can destroy, after its lower house of parliament voted in favour of updating the country's 46-year-old forest code.

»In a move described as “disastrous” by conservationists, the nation's congress backed a bill relaxing laws on the deforestation of hilltops and the amount of vegetation farmers must preserve. The law also offers partial amnesties for fines levied against landowners who have illegally destroyed tracts of rainforest. The legislation, which must still be passed by the Brazillian Senate and approved by President Dilma Rousseff, aims to help owners of smaller farms and ranches compete with under-regulated rivals in countries such as the USA and Argentina.

»At present, under Brazil's forest code passed in 1965, 80 per cent of all property in the Amazon basin is supposed to be left as untouched forest. In other parts of the country, that figure ranges from between 20 and 35 per cent, depending on the ecosystem of the particular region.

»Farmers found to have breached the regulations have until now been required to pay large fines and plant sufficient trees to bring their landholdings up to required standards. But the system is scrappily enforced and only 10 per cent of landowners are currently believed to be in complete compliance with the rules.

»Under the new code, forest that was illegally cleared between 1965 and 2008 will be exempted from regulation. In addition, farmers will, for the first time, be allowed to count land along rivers and lakes as part of their legal preserves. And strict rules governing deforestation of hilltops and slopes will be relaxed.

»“It's a disaster. It heightens the risk of deforestation, water depletion and erosion,” Paulo Gustavo Prado, head of environmental policy at Conservation International-Brazil, told Reuters. He believes that the new bill will result in the loss of roughly 10 per cent of Brazil's remaining rainforest.»

…Qui, en effet, ne pourrait souscrire à ces récriminations, à ces avertissements, à ces constats catastrophés, alors que se prépare une attaque terrible, et légalement autorisée, contre le joyau du monde naturel, ce “poumon de la terre”, qu’est la forêt amazonienne ? Le procès n’est même pas à faire, il est tranché et sans appel. Tous les arguments sont là, principalement cette économie de contrainte (ou “économie de force”, selon Arnaud Dandieu Et Robert Aron) qui nous vient du XVIIIème siècle, la folie du capitalisme destructeur, la corruption des richesses et plus encore des psychologies, l’“idéal de puissance” lancé dans sa folle destruction de l’univers pour servir au fonctionnement de toutes les machines du monde (système du technologisme).

Et puis viennent les remarques exactement inverses, totalement imparables. Le Brésil est le Brésil, l’un des “pays émergents”, celui qui met en cause avec les amis du BRICS l’épouvantable dictature des folies américanistes-occidentalistes et anglo-saxonnes ; le Brésil de Lula, lequel disait, il y a deux ans (le 27 mars 2009), à l’Anglais Gordon Brown, que “l’homme blanc aux yeux bleus” (allégorie de l’Anglo-Saxon) portait toutes les responsabilités des effondrements qui frappaient la finance et l’économie, – et qui continuent leurs ravages aujourd’hui, – toutes ces calamités engendrées par le Système. Ce Brésil-là est l’allié des ennemis du Système, notre allié (nous le soulignons souvent, au gré des initiatives politiques brésiliennes). Pourtant, en détruisant la forêt amazonienne, il est l’allié des amis du Système, le contraire de ce qui précède. Pourtant, pour attaquer le Système, il lui faut se renforcer et puiser ses forces dans les mécanismes déstructurants du Système, son “économie de force“, donc faire le jeu du Système… Cet enchaînement des logiques est celui de l’emprisonnement de la logique.

Qui nous indiquera la sortie de cet imbroglio ? Impossible, la chose est d’une façon générale une impasse, une voie sans issue… La seule façon de jouer efficacement le jeu du Système, c’est de le jouer en faisant en sorte de retourner contre lui, pour le déstructurer, ses propres armes, mais en n’utilisant jamais ces armes dans une façon objective qui suit tout de même les lignes de force du Système. Le Brésil, grands pays, grande économie, ne peut faire éventuellement de l’antiSystème d’une façon générale sans d’abord renforcer de façon puissante le Système par sa propre montée en puissance économique, notamment en détruisant sa forêt amazonienne, – et encore, sans savoir si, une fois arrivé à la puissance, il se retournera contre le Système, – s’il le voudra encore et si, même, il le pourra. Effectivement, en attendant, la forêt amazonienne aura continué à être détruite jusqu’à la déstructuration de cette merveille de la nature du monde et l’accélération des processus généraux de déstructuration du monde.

Voilà le piège du Système, situation fort bien connue… Acquérir de la puissance pour le combattre au bout du compte, c’est nécessairement le renforcer dans ses actes et principes tout au long du processus d’acquisition de cette puissance. Pendant ce temps, les diverses crises s’amplifient, notamment celle de l’environnement avec la destruction de la forêt amazonienne, tout cela faisant partie du vaste complexe de destruction du monde du Système. Le piège est complet. On ne peut rien contre le Système si l’on ne va à ses sources, à ce moment du “déchaînement de la matière” qui met en évidence sa conception inspiratrice de l’“idéal de puissance”, là où nous situons le tournant, à la fin du XVIIIème siècle. Donc, le Système est maître de ce point de vue, et le Brésil se soumet, comme les autres.

Bien entendu, l’histoire ne s’arrête pas là, comme c'est la règle aujourd’hui dans les cas de cette sorte. Le Système est maître et le Brésil qui lui est en bonne partie hostile s’y soumet ; mais cette soumission est telle qu’elle se place dans un contexte général qui n’est plus celui du triomphe du Système, mais celui de sa grande crise, dont on sait qu’elle passe principalement par l’acquisition sans fin d’une surpuissance qui alimente une impuissance à mesure, et accélère la contradiction interne du Système, sa tendance à l’autodestruction. Le Brésil cède, certes, mais le Système ne fera de cette victoire qu’un aliment de plus de sa propre crise. Un jour prochain, inéluctablement, nous atteindrons le cœur de la tragédie.

 

Mis en ligne le 26 mai 2011 à 09H45