Le Système et leurs “escapades incontrôlables”

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Le Système et leurs “escapades incontrôlables”

30 juin 2014 – En un sens, cette tournure que nous voudrions imprimer à ce F&C rejoint, ou plutôt prolonge et complète, celle des Notes d’analyse du 24 juin 2014, à propos de la furieuse “métamorphose des cloportes”... Cette fois, il s’agit d’événements, que nous connaissons et suivons d’une façon continue, au travers de diverses sources, mais qui soudain, par le biais d’un texte ou l’autre, acquièrent toute leur signification.

Il s’agit d’un processus qui mérite d’être détaillé, et cela d’une façon générale, c’est-à-dire sans prise en compte directe de tel ou tel texte que nous allons utiliser. Nous voulons dire par là que ce n’est pas le texte lui-même qui est le porteur, sinon le créateur de cette “prise de conscience” ; les textes de ce caractère auquel nous nous référons ont leurs qualités diverses qui leur sont propres, et qui les justifient par eux-mêmes ; certains sont brillants, d’autres très bien structurés et informés, mais ils ne sont pas les acteurs centraux du processus dont nous parlons. En effet, nous parlons d’abord, ici, d’un processus mental qui, grâce à un texte que vous lisez et qui illustre à sa manière et de façon convaincante ou brillante une situation, conduit votre esprit à appréhender brusquement cette situation dans son essence même. La lecture a joué son rôle de détonateur de la démarche intellectuelle, en ceci qu’elle conduit l’esprit à solliciter sa propre expérience, à s’ouvrir à l’intuition, à travailler sous la conduite de sa raison comme outil de rationalisation et de communication du constat bientôt réalisé.

Ce rapide aperçu d’une méthodologie complexe et intellectuellement très diverse et très ouverte introduit notre démarche centrale : à partir de ces trois situations brusquement saisies dans leur essence, il s’agit de tirer une analyse générale d’un phénomène qui ne l’est pas moins. La particularité de ces trois situations se trouve dans leur exceptionnalité par rapport aux normes rationnelles des relations internationales autant que des normes historiques habituellement observées à l’intérieur du Système, – disons, pour substantiver et symboliser à la fois notre propos en nous référant au Glossaire.dde sur la métahistoire (voir le 25 juin 2014) : l’exceptionnalité de ces situations par rapport à l’“histoire-tout-court” qui représente pour nous, dans notre constat de la situation générale, l’historiographie pseudo-scientifique restituant une narrative rassurante et apaisante, capable de camoufler et d’habiller de vêtements décents l’avancement de la surpuissance du Système issu du déchaînement de la Matière. En quelque sorte, le Système lui-même serait conduit de plus en plus à laisser se faire, dans le chef des psychologies épuisées de nombre de ses acteurs-Système ou figurants-Système, des extractions de la fiction narrative qu’il soutient, – l’histoire-tout-court, – tant cette fiction ne suffit plus à arrêter la marée des événements conduits par la métahistoire...

Mais nous anticipons sur notre analyse. Passons immédiatement à la description que nous jugeons démonstrative de trois événements en cours, au sein des deux centres de crise majeurs (l’Ukraine et l’Irak) qui constituent aujourd’hui le moteur de la crise générale du Système. Encore une fois et d’une façon générale, nous citons des textes nullement pour prendre position par rapport à eux, mais parce qu’ils décrivent d’une façon précise et claire, ou d’une façon éclairante par sa profondeur pour l’un d’entre eux, trois événements ressortant de l’exceptionnalité dont nous parlons.

• D’abord un texte de WSWS.org portant sur la situation intérieure de l’Ukraine, du point de vue d’une part de l’organisation et de l’action des groupes extrémistes, ultra-nationalistes et clairement à tendance nazie, du point de vue d’autre part de l’action des oligarques en tant que forces autonomes à l’intérieur de l’ensemble ukrainien (Kiev), et précisément d’un de ces oligarques, Igor Kolomoïski, nommé gouverneur de la province de Dnepopetrovsk et qui a fait de cette ville le centre opérationnel de la répression dans l’Est du pays. Les extraits ci-dessous sont du texte de WSWS.org, de Clara Weiss, le 28 juin 2014.

«...The [Azov] battalion clearly enjoys the support of Washington and the regime. A YouTube video from Radio Free Europe, which is financed by the US Congress, shows Azov militiamen at a shooting practice. The pro-government Ukrainian media reports positively about the paramilitary groups and celebrates them as “Heroes of Ukraine.” Members of the battalion take every opportunity to declare that they do not view their opponents as people and seek to “destroy” them.

»According to accounts in the press, the battalion is financed by the oligarch Ihor Kolomoyskyi. With a total worth of $3 billion, Kolomoyskyi was the third richest man in Ukraine in 2012, according to Forbes. The Russian newspaper Correspondent estimates his worth at $6.2 billion. He is a co-owner of Private Bank, the largest bank in Ukraine. He is also one of the biggest operators in the Ukrainian oil, mining and air transport industries. At the beginning of March, Kolomoyskyi was named governor of the eastern Ukrainian state of Dnepopetrovsk.

»Kolomoyskyi has politically and financially supported the pro-Western opposition for many years. He was one of the main financiers of the UDAR Party of boxer Vitali Klitschko. Previously, Kolomoyskyi was one of the most important oligarchs behind the opposition politician Yulia Tymoshenko. He also purportedly financed the head of Svoboda, Oleh Tyahnybok, who has, however, denied this in the Ukrainian press. According to accounts in the Frankfurter Rundschau and the Kiev Post, Kolomoyskyi is behind the “Dnepr” and “Donbass” battalions, which spread terror in eastern Ukraine. These units recruit mainly from fascist organizations and former soldiers.

»Dnepopetrovsk has been transformed under Kolomoyskyi into an organizational center of paramilitary forces used by the Kiev regime to combat opposition in the eastern part of the country. The news agency Reuters reports that at the end of May, Kolomoyskyi used several dozen millions of US dollars to prevent the region from falling into the hands of separatists. With this money, a “National Defense Unit” was built comprising 15,000 men. These included 2,000 battle-ready soldiers divided into four battalions.

»Igor Beresa, commander of the National Defense Unit, told Reuters that the battalions are accepting formal orders from the Ukrainian army and security forces, although the battalions receive an income twice as high and are better equipped. Kolomoyskyi’s second-in-command, Boris Filatov, explained to Reuters: “We are doing all this in agreement with the central government. We coordinate and cooperate with Kiev. They accept that we are influential as a consolidating factor in the east.” The Right Sector, which is also active as an independent formation in armed confrontations, shifted its headquarters to Dniepopetrovsk at the end of April. At the time, its leader, Dmitro Yarosh, boasted in an interview with Spiegel Online, “Our battalions are part of the new territorial defense. We have good relations with everybody, apart from the police.”»

Ce texte, écrit sans fioritures, sans laisser percer les sentiments, à partir de sources honorables et équilibrées, restitue une image saisissante de la vérité d’une situation en plein cœur de l’Europe, considérée de facto comme légale et souveraine par l’UE (encore plus depuis qu’un accord de coopération a été signé avec l’Ukraine), et bien entendu par les USA. On précisera ce que tout le monde devrait savoir, que ces milices et groupes armés sont, pour nombre d’entre eux, de tendance nazie (et nullement néo-nazie, la référence directe à l’Allemagne hitlérienne étant faite), que Igor Kolomoïski qui les finance et les influence à sa guise est juif, avec la double nationalité ukrainienne et israélienne (Wikipédia signale à propos de Kolomoïski qu’il est «[r]ussophobe et antisémite convaincu en dépit de sa filiation»). Israël Shamir, commentateur russo-israélien d’une redoutable ambiguïté, écrit dans son article (traduction française de Maria Poumier) « Le triangle fatidique: la Russie, l'Ukraine et les juifs», le 20 juin 2014 :

«Ils savent quand il faut feindre l'indignation et quand il convient de se taire.[...] Les US veulent décider seuls qui est antisémite et qui ne l'est pas, comme Hermann Goering voulait décider qui était juif et qui ne l'était pas, dans la Luftwaffe.»

• L’article cité nous offre une description convenable d’une extraordinaire escapade hors des exigences de la réalité-Système, des narrative impératives, voire de la métaphysique-simulacre du Système (voir le 10 octobre 2011). Il faut un instant se défaire de nos habitudes de tout lire et de tout voir, d’identifier leurs distorsions sans nombre des réalités, de se déplacer dans la facticité de l’univers du Système, pour retrouver une appréciation générale qui permet de juger combien cette situation ukrainienne représente de désordre extraordinaire et de libertés insultantes prises par rapport aux normes du Système. Il s’agit d’une formidable déviation hors de l’histoire-tout-court à laquelle le Système prétend réduire notre destin. C’est cette occurrence qui nous paraît fondamentale, parce qu’il nous semble qu’il devrait être, et qu’il était effectivement impensable et indicible que l’on puisse, de l’intérieur du Système, s’aventurer dans de tels chemins de traverse qui relèvent de l’hérésie, de l’apostasie pure et simple. Mais non, la chose se fait sans vraiment inquiéter ceux qui devraient l’être avant tous les autres, – les directions politiques du Système elles-mêmes...

• Encore n’a-t-on rien vu de ce qui nous crève les yeux. Cet exemple ukrainien de Kolomoïski, de ses nazis & Cie, ressuscitant dans un cadre digne des pires blockbuster hollywoodiens une circonstance effectivement impensable et indicible au sein même d’une entreprise (la nouvelle Ukraine) présentée comme exemplaire de l’avancement de l’idéal hyperlibéral et démocratique du Système, cet exemple est spectaculaire. Il n’est pourtant pas celui qui va le plus au fond des choses, largement surpassé dans le champ du risque et de la menace imposés à soi-même, par le comportement de la direction US vis-à-vis de la Russie. Là-dessus, il n’est guère besoin de documentation, tant abondent les documents publics et officiels à cet égard. Pour simplement rappeler de quoi est fait notre sujet, on citera simplement les premières lignes d’un autre article, non moins sérieux et parfaitement documenté, de WSWS.org, sur la visite récente de John Kerry à Paris, de sa courte déclaration publique, qui laisse sur place même le bellicisme français que nous nous sommes habitués à voir résolument en première ligne... (Article de Bill Van Auken, WSWS.org, le 27 juin 2014.)

«Speaking in Paris Thursday, US Secretary of State John Kerry issued a fresh ultimatum to the government of Russia, warning that it had to demonstrate “within hours” that it is acting to end the revolt in eastern Ukraine against the Western-installed government in Kiev or face the consequences. “We are in full agreement that it is critical for Russia to show in the next hours, literally, that they are moving to help disarm the separatists,” Kerry said. He added that “the European Community will be meeting on their component of the sanctions. We all agree that they need to be ready.” Kerry’s warning came in the context of a NATO foreign minister’s meeting that wrapped up in Brussels Thursday and a European Union summit scheduled for today in the Belgian city and World War I battle site of Ypres.

»The US Secretary of State delivered his remarks alongside French Foreign Minister Laurent Fabius, who was clearly acting on a somewhat different agenda, not to mention timetable. Fabius spoke of a “de-escalation” in Ukraine and of commitments that Russian President Vladimir Putin had made the day before in a four-way telephone conference that included German Chancellor Angela Merkel, French President Francois Hollande and Ukraine’s President Petro Poroshenko. France, he said, hoped that Russia’s promises would be fulfilled “in the coming days.”

»While Washington is manifestly seeking to ratchet up the confrontation with Russia, the Western European powers are showing somewhat less enthusiasm for such an escalation. Meanwhile, it is far from clear that there has been any “de-escalation” of the situation on the ground in Ukraine, which is turning into a major humanitarian crisis, largely ignored by Western governments and media.»

Ce que nous voulons mettre en évidence, dans ce qui paraît être une sorte de routine “au-jour-le-jour”, de la part du secrétaire d’État, c’est qu’il y a un acte diplomatique extraordinaire et insensé dans le fait de parler de la sorte à la Russie, dans les circonstances qu’on sait, pour une crise qui se déroule sur la frontière russe. Nous croyons que le caractère extraordinaire de cette démarche considérée comme du business as usual, devrait conduire à un jugement particulièrement stupéfait sur la situation ainsi établie par l’une des deux superpuissances nucléaires (c’est-à-dire ayant une capacité stratégique globale de frappe d’anéantissement) parlant de la sorte à son vis-à-vis. Kerry égrène les ultimatums, en jours, voire en heures comme dans le cas mis en évidence ici, à partir d’une situation rocambolesque de déni de toute déviation de la narrative développée par Washington. (On peut voir, par exemple, comme un des éléments de cette extraordinaire opération de déni la porte-parole adjointe du département d’État, Marie Harff, rejeter avec une extraordinaire légèreté, le 28 juin 2014, l’évaluation de 110 000 réfugiés ukrainiens en Russie établie par l’Agence des Nations-Unies chargée de cette question, – d’une seule affirmation, répétée plusieurs fois à l’insistance du correspondant d’AP accrédité au département d’État : «Nous n’avons aucune preuve, aucun élément crédible de ce qui est avancé...», – donc, “nous passons outre... Une autre question ?”)

L’exceptionnalité se trouve ici, justement, dans le développement d’une narrative qui, au prétexte d’appuyer la politique-Système, conduit à une situation extraordinairement dangereuse de potentialité d’affrontement dont la logique terminale peut être une guerre nucléaire. Une telle occurrence était simplement impensable durant la période qui a établi les relations les plus prudentes et les plus efficaces entre puissances nucléaires, durant la Guerre froide. Aucune circonstance, durant la Guerre froide, n’a vu de tels risques pris au niveau de la communication, même dans des circonstances bien plus pressantes (crise de Berlin en 1961, crise de Cuba en 1962). Ce qui représente une escapade extraordinaire par rapport aux correspondants diplomatiques et stratégiques, c’est bien le risque pris au niveau de la communication, alors que l’enjeu pourrait être réduit aisément au niveau opérationnel, par simple arrangement de compromis.

• Le troisième exemple représenté ici d’une escapade extraordinaire des réalités courantes qui devraient être maîtrisées par la politique-Système pour éviter tout risque inconsidéré, c’est la crise irakienne. Cette fois, il s’agit d’un exemple par inversion, par rapport à ce qui a précédé. Il ne s’agit plus d’une situation extraordinaire et rocambolesque, et très risquée, développée en bonne partie en connaissance de cause par des agents du Système, mais, tel que nous le prenons explicitement et dans ces limites, d’un événement issu du désordre du Système qui s’institue brusquement comme la possibilité d’une aventure extraordinaire hors-du-Système, sans que l’on sache l’orientation que prendra cette aventure et les effets qu’elle donnera. L’extraordinaire se trouve dans ce cas, dans le fait que le Système ait permis ce développement, puisque l’appréciation la plus pure et la plus puissante de l’aventure stratégique d’ISIS se trouve au niveau théologique. (Cet événement, comme on le voit [Russia Today, ce 29 juin 2014], est en pleine maturation.) Bien sûr, on trouve les habituels amas de complots divers, de représentation d’ISIS comme «a CIA asset”, etc., mais cela n’a guère de crédit ni de puissance, par comparaison avec l’évaluation qu’en donne l'institut Conflict Forum, dans les commentaires hebdomadaires que donne son directeur Alastair Crooke. (Nous avons déjà repris certains de ces Weekly Comment d'Alastair Crooke, par exemple le 19 août 2013.)

Cette évaluation commence avec le Weekly Comment du 21 juin 2014 et se poursuit surtout dans le Weekly Comment du 29 juin (mis en ligne sur le site, également repris sur Huffington Post, le 30 juin 2014). L’on y observe que la crise actuelle est véritablement explicable par une analyse théologique concernant les tourments de la religion musulmane, et c’est bien dans cette opportunité donnée à une analyse qui échappe évidemment au Système, qui se réfère à des notions et des analogies confrontant un aspect de la Tradition et l’époque-Système que nous vivons, que se trouvent l’exceptionnalité dont nous faisons état, et l’incontrôlabilité qui va avec. L’analyse grandit l’événement en lui restituant sa perspective historique qui n’est évidemment pas exempte d’éléments métahistoriques.

«Extraordinary times: Extraordinary events in Iraq (and in the Muslim World). The lightening seizure of “Sunni territory” spanning Syria and Iraq (but imagined as the realisation of a Sunni ‘belt’ extending across the region); with all its potent symbolism in the context of the early history of Islam; with its forging of a completely new ‘Sunni geography’; and with the cold ruthlessness of its military strategy, has dazzled and stimulated the ardour of young Sunni Muslims everywhere.

»It has forced the admiration of many in Iraq and the Gulf States; yet it frightens too, the flesh creeps with the “march of the beheaders”. It is this heady, adrenalin-laden mix of fear, mingling with the euphoric sense that events somehow are mirroring the very laying down of the Islamic Empire, which is seeding fertile ground. Across the Middle East and Africa, agrarian distress and the Salafist firing-up of a Sunni self-perception of victimhood, usurpation and grievance are making for a wide vulnerability to this new collective fervour for Da’ish (ISIS). [...]

»In Iraq today, it is clear that ISIS sees the path toward consolidating the Islamic State to have already passed through the first stage (vexation operations, dispersing the enemy’s strength and over-extending its resources). Here again, the question arises, to which ‘enemy’ does ISIS refer? Well, ISIS does not say; but Gulf leaders make this abundantly clear when they tell westerners that if only Bashar Assad and Nouri al-Maliki were to be removed, all would be resolved, and peace would return to the Middle East (both of course bring perceived as obstacles to regional Sunni hegemony).

»So today, ISIS regards Iraq (and eastern Syria) to be in the second stage (the “Management of Savagery”) in the progress toward the consolidation of the Caliphate (the third stage). What does this mean; and what does it imply for the conduct of next period?

»The term ‘administration of savagery’ in fact refers to that hiatus which occurs between the waning of one power and the consolidation of power of another. What is being assumed here is that a certain chaos will pertain, and that the disputed territory will be ravaged by violence as power oscillates back and forth between the ‘old’ power and its incoming successor (the Islamic State).

»In this period, ISIS according to its literature, will have limited aims: achieving internal security and preserving it; fixing its frontiers; feeding the population; establishing Shariah and Islamic justice – and most importantly fixing the establishment of a ‘fighting society’, at all levels within the community. In this stage, security will require the elimination of spies and “deterring the hypocrites with proof and other means and forcing them to repress and conceal their hypocrisy, to hide their discouraged opinions, and to comply with those in authority, until their evil is put in check”. In short, we might expect that this will comprise ISIS’ aims for the coming period. In other words, that any move on Baghdad, which Da’ish insists will come, is unlikely to be imminent, but will have to await until the area already seized is ‘secured’, and its frontiers controlled...»

Escapade, – ou comment “s’échapper” ?

... En introduction à notre commentaire ci-dessous, nous proposons d’abord de baptiser cette sorte d’événements, que nous jugeons extraordinaires pour les raisons diverses que nous exposons, de l’expression d’“escapade incontrôlée”. (On aurait pu ajouter le qualificatif d’“exceptionnel” mais nous ne voulons pas trop charger l’expression et il nous semble que le caractère d’incontrôlabilité peut absorber celui d’exceptionnalité.) Le mot “escapade” signifie étymologiquement “s’échapper” : «Du vieil espagnol escapada, dérivé de escapar [“échapper”], du latin vulgaire excappre [“échapper”].» Ce sens profond nous convient parfaitement, pour la signification profonde de la chose, par rapport à l’état des psychologies. Dès lors, les “escapades incontrôlées” dans leur origine deviennent génériquement des “escapades incontrôlables”, acquérant une sorte d’autonomie, et l’on peut envisager qu’elle s’imposent au Système de cette façon ; nous les identifions effectivement comme des “escapades incontrôlables”, “nées du Système mais non désirées par lui dans cette intensité déstabilisatrice”, comme nous l’écrivons par ailleurs (dans le résumé de présentation, l’abstract de cet article).

Ce qu’il nous importe de montrer à ce point, après avoir développé et présenté ces trois exemples d’événements extraordinaires issus d’une façon ou d’une autre de l’activité du Système dans le chef de la politique-Système, c’est combien ces “événements extraordinaires” développent nécessairement une instabilité qui peut évidemment ébranler le Système, ou bien, encore plus, l’affoler absolument. Or, ces événements sont également machinés, comme l’on dirait d’un enchaînement mécanique, d’une façon complètement anarchique et incontrôlable par des acteurs du Système, directement ou indirectement. Ces événements constituent en quelque sorte des “escapades incontrôlables” de la ligne que devrait suivre la politique-Système alors qu’ils sont issus effectivement de l’activisme du Système. On voit combien, dans ces méandres et dans ces mélanges extraordinairement contradictoires, où seul prévaut le désordre, on retrouve la correspondance entre la dynamique de surpuissance et la dynamique de l’autodestruction. Les événements s’égrènent, à une vitesse extraordinaire qui marque l’accélération de l’histoire et la contraction du temps, selon une course qui ressemble à un parcours en hélice, où se croisent et s’entrecroisent la logique de la surpuissance et celle de l’autodestruction.

C’est en cela que nous substantivons la contradiction interne fondamentale du Système, déjà exposée plus haut, dans la présentation des exemples choisis. D’une part, le Système a besoin de ce que nous nommons l’histoire-tout-court, c’est-à-dire l’histoire réduite à sa normalité, l’histoire en un sens sans passé ni futur, l’histoire réduite au big Now, ou “présent éternel” (voir le 29 janvier 2014), l’histoire rassurante et apaisante, qui réduit (“qui grandit” pensent certains) nos préoccupation à l’immédiateté conçue comme une mise en scène, – du “mariage pour tous” à la Coupe du Monde de football, au sacré de la religion réduite aux représentations postmodernes de l’“Art Contemporain” (AC) (1). D’autre part, le Système suggère, par l’activité de sa surpuissance qui est sa raison d’être, l’activation de forces qui conduisent à mettre en question la banalité de l’histoire-tout-court, à la faire exploser, à s’autoriser des “escapades incontrôlables” qui font tout basculer...

C’est dans cette contradiction entre une normalité forcée et une surpuissance conduisant aux “escapades incontrôlables” que s’immisce la métahistoire, comme un puissant levier s’incère dans une fissure pour l’agrandir en une béance catastrophique (pour le Système). Une autre image pourrait être celle de “trous” que les “escapades incontrôlables” percent dans le Système, par lesquelles s’engouffre effectivement la métahistoire grâce à la signification qu’elle donne au phénomène. Effectivement, les événements extraordinaires qui s’échappent ainsi du cadre convenu (l’histoire-tout-court) pour satisfaire aux effets des ambitions de la politique-Système, deviennent des instruments involontaires de l’activation de la métahistoire, et de sa pénétration directe dans l’histoire-tout-cour, pour la dynamiter, pour la dissoudre et la transmuter d’un même élan.

On voit bien que le secrétaire d’État Kerry balance un ultimatum à la Russie comme on prend son petit déjeuner, d’une façon qu’on dirait naturelle tant elle est robotisée, ou robotisée tant elle est naturelle. En fait et pour détendre l’atmosphère, cela vous étonnerait-il que l’on vous fasse l’hypothèse que Kerry égrène tout cela comme une corvée sans grand intérêt ? ... Puisque, grand amateur de football qu’il désigne de ce nom, – alors qu’il devrait dire soccer pour être bon américaniste (voir le site Washington Free Bacon, le 20 juin 2014), – il semblerait manifeste qu’il aurait préféré suivre la Coupe du Monde plutôt que de “balancer [des] ultimatum[s] à la Russie” : ainsi Kerry met-il l’“escapade incontrôlée” dans une perspective qui en fait une “escapade incontrôlable”. Ce qu’il réduit à un acte presque compulsif et presque inconscient, comme il sied à la référence de l’histoire-tout-court, est en vérité, nous voulons dire pour la vérité de la situation, un acte extraordinaire d’impudence et d’imprudence, qui dissimule à peine le risque de l’affrontement nucléaire.

Ceci, également : même si ISIS «is a CIA asset», – qui n’est pas «a CIA asset» à ce compte où la CIA est partout, y compris dedefensa.org ? – ISIS est également une folle “escapade incontrôlable“ qui ressuscite furieusement une théologie venue d’autres siècles, et ainsi l’histoire-tout-court est à nouveau rompue. Quant à la normalité des “hordes nazies” (comme on ne dit pas, pour une fois, dans les salons), sous le contrôle de l’étonnant oligarque Kolomoïski, ukraino-israélien, juif et semble-t-il antisémite, il est difficile d’y ajouter foi (nous parlons de la “normalité” de la chose). Là aussi, l’histoire-tout-court est rompu dans une “escapade incontrôlable” ; l’UE tenant dans son berceau un nouveau futur-État-membre qui ressuscite dans un désordre affolant pour sa propre idéologie (celle de l’UE) les pratiques des condottiere d’un niveau assez bas, ou bien encore des “seigneurs de la guerre” type-afghans...

Bien entendu, nous ne pouvons en rester à ce constat des ruptures de l’histoire-tout-court enregistrées comme on compostait un ticket de métro aux temps bénis du “poinçonneur des Lilas”. Il nous semble aller de soit que ces épisodes de contraction soudaine, ces événements énormes qui témoignent de la pénétration soudaine de la métahistoire dans l’histoire-tout-court alors qu’ils nous sont livrés sous une étrange enveloppe de banalisation, comme si un ultimatum à la Russie équivalait à un croissant dans son café et avait beaucoup moins d’importance qu’un tir au but de Benzéma, il nous semble évident que tout cela doit nécessairement faire peser un poids énorme sur les psychologies ; et nous parlons, prioritairement, des psychologies des employés-Système, d’une Marie Harff refusant avec une arrogance un peu hystérique les décomptes de l’ONU concernant les réfugiés fuyant en Russie leur Ukraine devenue massacreuse des siens, qu’elle accepterait d’une voix protectrice si ces mêmes décomptes concernaient le nombre de réfugiés syriens ayant fui la Syrie-d’Assad... D’ailleurs, on peut évidemment renverser le flux qu’on décrit ici, de la tension que les ruptures de l’histoire-tout-court pénétrée par la métahistoire font peser sur les psychologies : n’est-ce pas ce processus qui trouble si fortement les psychologies, à ce point que ces psychologies nous préparent déjà d’autres “escapades incontrôlables” à l’occasion desquelles la métahistoire pénétrera à nouveau l’histoire-tout-court ? Et les psychologies actuelles, celles des employés-Système soumises au Système, ne sont-elles pas conduites par une pulsion libératrice, parce qu’elles étouffent dans le Système dans sa phase actuelle décisive où la surpuissance est à son paroxysme, et déjà autodestruction, ces psychologies ne rêvent-elles pas secrètement de “s’échapper” de cette prison, cela conduisant à ces “escapades”, d’un mot dont le sens profond est effectivement “s’échapper” ?

Profitant du centenaire qu’on sait (voir le 2 janvier 2014), 2014 semble se dessiner comme une année rupturielle dans la course du Système. La situation actuelle ressemble donc à une roue devenue folle, qui tourne sur elle-même de plus en plus vite, en avançant de plus en plus vite, mélangeant effectivement effets de puissance et effets d’autodestruction selon ce mouvement de rotation qui empêche de regarder le passé immédiat et d’appréhender le futur immédiat pour séparer surpuissance d’autodestruction, multipliant ainsi les occasions de percées de la métahistoire dans l’histoire-tout-court ... Qui ne reconnaîtrait en effet, dans ce schéma, une allégorie de l’équation surpuissance-autodestruction ? La surpuissance maintient l’apparence de l’histoire-tout-court qui permet à la politique-Système de poursuivre sa course, les percées de la métahistoire criblent cette course de pesanteurs de plus en plus insupportables, illustrations du processus d’autodestruction, et la structure même du Système de trous par où elle-même (la métahistoire) s’engouffrerait... Alors se pose la question d’une autre rupture qui pourrait se constituer comme “finale”, de savoir dans quelle mesure l’une ou l’autre de ces “escapades incontrôlées” suppose un retour à la normalité, – c’est souvent le fait d’une “escapade“ qu’on en puisse revenir, – ou si, devenant effectivement “escapades incontrôlables”, elle implique au contraire une telle puissance qu’elle crée une situation complètement nouvelle d’où elle ne reviendra plus, posant ainsi un problème décisif, une interrogation ontologique, au Système.

Note

(1) Lire à ce propos le très-édifiant Sacré Art Contemporain, de Maude de Kerros, 2012, éditions Jean-Cyrille Godefroy.