Le Système face à la presse antiSystème

Bloc-Notes

   Forum

Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.

   Imprimer

 1139

Le Système face à la presse antiSystème

Nous avons été alertés par un article de Infowars.com en pleine jubilation, ce 28 juillet 2013. Signé Adan Salazar et Alex Jones (et suivi d’une chronique TV de Jones le soir du même jour), la nouvelle exploite une conférence de George Little, assistant du secrétaire à la défense pour affaires publiques (ou relations publiques). (La communication de Little, retransmise par le réseau American Forces Press Service [AFPS], est du 25 juillet 2013.)

Little est donc aussi bien le porte-parole du Pentagone que son directeur de la communication. Il fait un bilan de la situation de communication du Pentagone et offre des perspectives. Surtout, – et c’est ce que soulignent justement Salazar-Jones, – il jette un cri d’alarme, il panique, devant l’incursion des “nouveaux médias”, ou médias alternatifs, tout ce qui est en-dehors de la presse-Système et se trouve assimilable plus ou moins à une “presse antiSystème” (voir plus bas). C’est une indication incontestable que cette presse antiSystème est en train, d’une part de réaliser un travail d’information remarquable et incontrôlable par le Pentagone, d’autre part de gagner grâce à cela une influence considérable avec des effets dommageables pour le Pentagone (dito, le Système). Selon AFPS :

«Little pointed out that the widespread embedding of reporters in Iraq and Afghanistan forged close bonds between military members and the Fourth Estate. As deployments wind down and the services return to a more garrison-centered public affairs environment, he said, “we must look for new ways to enhance these bonds.”

»Little said new approaches should include engaging more with nontraditional journalists such as bloggers and tweeters, who sometimes break news but also may report gossip and rumor. “We must be constantly listening for new voices on defense issues,” he said, “and develop those relationships as well. … We must engage with anyone and everyone who is interested in what the department is doing. … In order to effectively communicate our message, we must be communicating across all platforms, new and old. By creating richer, more interesting content, we can create a deeper connection with the American public, and nourish the growing news appetite, on our terms.”»

Little prend alors une orientation inattendue mais finalement sans surprise en fonction du constat qu'il fait. Il conseille aux forces armées, aux officiers de relations publics, aux chefs militaires qui ont des contacts extérieurs de devenir des professionnels de la communication et d’entretenir des contacts de confiance avec la presse, – et notamment, et essentiellement, avec la presse alternative, la “nouvelle presse” que le Pentagone semble particulièrement anxieux de rassembler de son côté, – y compris par le moyen de la vérité qui serait bien entendu aménagée pour correspondre à la substance même du Pentagone et à la sauvegarde les intérêts... «Little said commanders must be open and honest with the media. The department can’t hide bad news stories, he noted. “When bad things happen, the American people should hear it from us, not as a scoop on the Drudge Report,” he said. This requires all commanders to be open and honest with the press and to rely on their public affairs officer’s strategic advice in developing communication strategies, Little said...»

• Alex Jones a sauté sur l’occasion, et notamment sur la mention de Drudge Report par Little, comme référence d’un média “alternatif” qui diffuse souvent des informations exclusives sur le département de la défense, et met souvent celui-ci en mauvaise posture. Pour Jones, cela signifie que le gouvernement (le Pentagone) a reconnu la puissance de la presse alternative et qu’il va tout faire pour la subvertir comme il est arrivé à le faire pour la presse-Système.

«In essence, this is a signal of defeat to the power that is independent media, and shows just how large of an effect it is having. Alex Jones lends his analysis: “Just as the term ‘Google’ became synonymous with ‘search engine,’ DrudgeReport.com has become the catchword for all independent forms of journalism alive on the web today.” Jones believes Drudge’s mention in the DoD speech is a testament to how legit and credible Drudge really is. This is the reason why the news aggregator has so frequently been the target of naysayer critics ranging from exiting-DHS secretary Janet Napolitano to White House Press Secretary Jay Carney to White House Senior Advisor Dan Pfeiffer, who said that Drudge’s stories actively “hurt” the White House’s message “on a daily basis.”

»On one hand, the government has revealed it is not invincible to the onslaught of curious, honest and hard-working journalists eager to obtain and report the truth. It shows just how vulnerable the man behind the curtain really is; in all his power, he’s upset over the few forms of media he can’t control. With Drudge continually pouring out their contradictions, the federal government is finding it harder to keep their stories straight and consistently gets caught off-guard.

»On the other hand, the DoD’s announcement that it will become more “engaged” with journalists is even more unsettling in light of the fact that just two weeks ago the CIA was given a green light to flood America with even more government propaganda. The fact that they’re openly announcing their intent to infiltrate the media means they’re ready to move forward with plans to squelch the First Amendment. This is the opening salvo public announcement of open war on the power of the press.

»“This is a completely cynical move by the Pentagon,” Alex says. “They’ve been engaged forever in domestic psy-op operations, but now that they’ve been blown wide open by alternative media we’re seeing the psy-op of cognitive infiltration.” “They say they’re going to reach out to the media (that means persuading members of the alternative media with money as well) basically setting up operations against it, but they’re announcing this is not an assault. ‘We’re your friends! We come in peace! We promise we’ll be truthful and we’re gonna communicate! Listen to us!’ It’s actually the opposite. This is the Pentagon, psy-warfare and cyber-security all declaring war on the First Amendment.” “The only huge website out there that you can call mainstream but also alternative that is really challenging the establishment is the Drudge Report, which should be considered a world treasure, along with all other alternative media. We shouldn’t be demoralized by this development, we should be excited, because this shows we’re having an effect in keeping freedom alive and spreading it worldwide.”»

La réaction de Jones est bien dans sa manière, agressive, avantageuse, truculente, à-la-retape, etc. La référence Infowars, tout comme celle de Drudge Report d’ailleurs, restent à considérer avec certaines réserves, tout en reconnaissant leurs qualités éparses et disséminées et, surtout, leur participation effective à la construction d’une force puissante, constituant techniquement et politiquement ce qu’on nomme “presse alternative”, qui occupe désormais une place prépondérante dans le système de la communication, certainement plus puissante et plus dangereuse que la presse-Système dans la perception qu’en ont les représentants du Système. En raison de cette perception, et malgré toutes les réserves qu’on peut émettre en fonction de la multitude d’orientations, de méthodes, de différences de qualité dans cette “presse alternative”, il nous semble qu’on peut dès lors qualifier cette force, selon l’ensemble des effets qu’elle obtient, de “presse antiSystème”. Pour l’ensemble de la presse antiSystème, c’est une avancée extraordinaire, dont il y a tout lieu de croire qu’elle sera poursuivie, essentiellement à cause de l’inefficacité et des erreurs colossales du Système en matière de communication.

Nous rappelons que l’intervention de Little concernant la faiblesse de communication du Système n’est pas la première dans le chef du Pentagone (les autres départements, notamment le département d’État, sont moins prompts à reconnaître leurs faiblesses, voire même à les identifier). Il y a quelques années, l’effort du Système (du Pentagone) était entièrement orienté sur la mission de “gagner les cœurs et les esprits” des populations des pays investis par ses forces militaires, notamment en Afghanistan et en Irak. Il le faisait avec l’aide agréée et reconnue de la presse-Système, répercutant ses initiatives et incursions diverses sur les terres indigènes comme autant d’exploits à la gloire de la civilisation, et en plus, pour assurer cette emprise, avec un réseau puissant de pénétration de cette même presse-Système, notamment à l’aide de milliers d’articles rédigés par les services du Pentagone et répandus dans cette même presse-Système comme provenant de “sources indépendantes”. Parfois, le Système devait s’arrêter, faire le constat des choses et reconnaître ses échecs et ses impuissances pour tenter de les rectifier, comme Little fait aujourd’hui à l’égard de la presse antiSystème. Nous avions publié à deux reprises, des interventions très significatives de groupes ou de dirigeants du Système actant l’échec que constituait l’action du gouvernement US dans ce domaine de la communication.

• Le 28 novembre 2004, il s’agissait de la divulgation d’un rapport de 111 pages du Defense Science Board écrit à la demande du secrétaire à la défense Donald Rumsfeld «pour donner une évaluation générale de la politique US dans la “guerre contre la Terreur”, particulièrement dans le domaine de la communication (Strategic Communication)». C’était Jim Lobe, de Antiwar.com, qui avait eu communication de ce document.

«Ce document est stupéfiant pour la manière dont il dresse un réquisitoire implacable des erreurs fondamentales, — diverses “strategic mistakes”,— sur tous les aspects de la “guerre contre la Terreur” que mène Washington. Il aurait été écrit par Noam Chomsky ou ce même Jim Lobe, ou encore par William S. Lind, qu’il paraîtrait complètement normal. Non, il s’agit d’un travail officiel qui place l’administration GW Bush et Washington en général devant ses extraordinaires erreurs. [...] La description que ce rapport donne également, dans sa première partie, du détail des dysfonctionnements, de la paralysie, des guerres internes, des erreurs, de la sclérose de la bureaucratie américaine dans cette “guerre” est également confondante. Le rapport va jusqu’à des analyses psychologiques américaines d’une finesse remarquable. Un exemple avec ce passage, dont on gardera les derniers mots comme un chef d’oeuvre d’observation : “Finally, Muslims see Americans as strangely narcissistic — namely, that the war is all about us. As the Muslims see it, everything about the war is — for Americans — really no more than an extension of American domestic politics and its great game. This perception is of course necessarily heightened by election-year atmospherics, but nonetheless sustains their impression that when Americans talk to Muslims they are really just talking to themselves.” »

• Le 20 février 2006, c’était Donald Rumsfeld lui-même qui prenait la parole. Cela se passait lors d’une conférence qu’il donnait devant le Council of Foreign Relations (CFR) de Washington, entre amis et compères par conséquent. Quelques mois avant sa démission, le secrétaire à la défense actait déjà l’échec de sa direction des affaires stratégiques et militaires, et nous suggérions (titre de l’article  : «Un nouveau 9/10 pour Rumsfeld?») que cette intervention constituait un pendant étrange à la première qu’il avait faite, le 10 septembre 2001, comme s’il actait deux échecs successifs. Le premier échec (9/10) était de lui-même face au Système après quelques mois de tentative de réforme du Pentagone, le second de lui-même incorporé dans le Système et reconnaissant l’échec du Système...

«Le plus extraordinaire est certainement la peinture d’une réalité (car tout cela est bel et bien réel) où la puissance moderniste, progressiste, reine de la communication et ainsi de suite, apparaît en pleine lumière pour ce qu’elle est, — un géant poussif, sclérosé et sans imagination, paralysé et archaïque. Ce n’est pas le fait de n’en rien savoir : depuis des années, des décennies, — oserons-nous ajouter : depuis la naissance de la République? — l’Amérique affirme l’importance de la communication comme une véritable “révolution permanente” et affirme d’un même souffle être la matrice, la porteuse et la dispensatrice de cette révolution. Le résultat, au bout des siècles, est significatif pour ceux qui savent voir.

»Face à cela, depuis 9/11, il y a un déluge de “communication” pour affirmer la vétusté d’esprit, l’archaïsme, l’inadaptation des islamistes, des musulmans, des “terroristes”, et du reste d’ailleurs, y compris la “old Europe”, — tous ces gens dépassés qui n’ont rien compris au credo du modernisme américaniste passant par la communication. Et voilà que Rumsfeld, dans un tour de passe-passe dont il a le secret, nous assène ces vérités qui sont l’exact contraire de ce qu’on nous répète. “And I suggest that some humility is in order...”»

L’imposture du Système est réellement sa marque de fabrique, avec la constance sinon la quasi-pérennité de son échec dans le domaine où il a toujours affirmé son triomphe inéluctable. Il semble effectivement incapable de bien “communiquer”, c’est-à-dire d’englober les personnes visées, hors de son propre univers justement, dans son propre univers de communication. Cet extrait du rapport de 2004 est étonnant, effectivement, de justesse d’identification du mal : «Finally, Muslims see Americans as strangely narcissistic — namely, that the war is all about us. As the Muslims see it, everything about the war is — for Americans — really no more than an extension of American domestic politics and its great game. This perception is of course necessarily heightened by election-year atmospherics, but nonetheless sustains their impression that when Americans talk to Muslims they are really just talking to themselves.”» L’intérêt de l’évolution de la situation, c’est bien qu’il semble de plus que ce que les musulmans pensaient des “Américains” à cette époque (et qu’ils pensent plus que jamais, certes), aujourd’hui les Américains (les citoyens des USA) le pensent de plus en plus du Système qui les dirige, à Washington, et des serviteurs de ce Système, puisqu’ils s’avèrent être de plus en plus attentifs à la presse antiSystème et de plus en plus influencés par elle. Il s’agit d’une heureuse évolution, qui identifie de plus en plus le Système en tant que lui-même, et tendant à le séparer des USA dans le chef de sa population de plus en plus hostile au Système, – les citoyens US devenant les “musulmans des USA”, dissidents de l’information officielle, sous surveillance constante (NSA et le reste), etc.

Comme effet principal pour notre compte, nous avons l’heureuse bonne nouvelle de voir notre domaine de l’internet conduit à une sorte d’intronisation. Effectivement, cela situe l’importance, en un sens, de l’intervention de Little. Désormais, pour le Pentagone, le domaine que nous désignons comme “presse antiSystème” est plus important du point de vue de l’information et de l’influence que la presse-Système. (Cela vaut pour les USA. Nous serions peut-être moins affirmatifs pour les pays européens mais la tendance va certainement dans ce sens à cause du discrédit extraordinaire que sa soumission au Système ne cesse d’alimenter dans le chef de la presse-Système. Ils n’ont donc de meilleurs ennemis qu’eux-mêmes, pratiquant avec zèle leur religion de la surpuissance accouchant de l’autodestruction.) Bienvenue dans l’univers de la dissidence...


Mis en ligne le 29 juillet 2013 à 05H24