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885La situation en Pologne est caractérisée par le “flou” politique, avec d’étonnantes situations intimes qui accentuent la chose. (Sauriez-vous reconnaître entre le président de la république polonaise nouvellement élu et le président du parti conservateur nouvellement au pouvoir? Ils sont frères jumeaux. Imaginez les situations possibles…) La Pologne a viré à droite, dans un sens populiste qui préoccupe considérablement Le Monde, qui attendait visiblement qu’elle virât à droite dans un sens libéral qui aurait comblé sa vertu. Dans son édito du 11 novembre, notre-“journal de référence” évoque des précédents fâcheux, qui firent trembler le monde ces dernières années et dont le souvenir nous fait trembler encore (le parti de Haïder au pouvoir en Autriche en 1999, les séditieux à notre-ordre humaniste d’Umberto Bossi, au pouvoir avec Berlusconi en 2001). Alors, notre-“journal de référence” tonne (édito du 11 novembre).
« [Le Premier ministre polonais] Marcinkiewicz établit une équivalence entre une intégration dans l'Union européenne qui apporte à la Pologne une garantie pour son développement et une alliance avec les Etats-Unis, dans le cadre de l'OTAN, qui lui procure une garantie de sécurité. Mais il n'en serait pas moins utile de rappeler aux Polonais que, en entrant dans l'Union, ils n'ont pas seulement adhéré à une zone d'échanges et de développement économiques mais aussi, et surtout, à une communauté de valeurs. Particulièrement symbolique est la question de la peine de mort, à laquelle la droite polonaise se déclare favorable alors que la Charte des droits fondamentaux, qui est la bible de l'Union européenne, la condamne fermement. »
Le paragraphe est une belle pièce de l’ordre de la dialectique du courage intellectuel. On croit que ce qui va faire bondir le “journal de référence”, c’est l’affirmation du Premier ministre que c’est l’OTAN, chose de Washington, qui va procurer « une garantie de sécurité » à la Pologne, pays de l’UE. On se juge renforcé dans cette attente lorsque, poursuivant directement sur cette affirmation infâme avec un “mais” qui est d’habitude une locution d’enchaînement du raisonnement plutôt que de changement de sujet, l’édito “de référence” rappelle que l’Europe n’est pas seulement « une zone d'échanges et de développement économiques ». Il fait durer le suspens avec un « mais aussi, et surtout… une communauté de valeurs » qui nous fait croire que cette allégeance à Washington va être dénoncée sans ambages, avec une allusion venimeuse aux camps de la CIA. Il nous surprend complètement avec la chute du paragraphe, lorsque, s’expliquant, il menace la Pologne des foudres européennes si la peine de mort est rétablie. (En passant, nous apprenons que nous avons une “Bible” en Europe, que c’est la “Charte des droits fondamentaux”. Il s’agit donc d’aller à messe le dimanche.)
En rugby, on appelle cela un contre-pied. Il en dit long sur le sens tactique du jeu de nos vertueux “esprits de référence”, — notamment le choix des adversaires sur lesquels on peut taper et de ceux qu’il vaut mieux éviter.
Mis en ligne le 13 novembre 2005 à 06H07