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27 septembre 2004 — Aux Etats-Unis, dans le cirque général qui sert d’arène politique, on peut continuer à dire que la guerre était une bonne chose et qu’il faut continuer à la soutenir. En Europe, où le ridicule ne tue peut-être plus mais blesse sérieusement jusqu’aux handicaps les plus graves, il est devenu difficile de soutenir que ce fut une grande vertu de soutenir cette guerre. La même chose peut être avancée, aujourd’hui, au Royaume-Uni, des “relations spéciales” avec les Etats-Unis, où seul un allumé comme Tony Blair peut clamer sa satisfaction d’avoir transformé le fameux adage, — Niall Ferguson dixit, et férocement, — le fameux adage “right or wrong, my country” en “right or wrong, my ally”.
Niall Ferguson, justement…
• Dans un article tonitruant, qui fait la couverture de l’imprévisible Spectator (“imprévisible” parce que cet hebdomadaire appartenant à Conrad Black, un tycoon pro-américain notoire, proche des néo-conservateurs, se permet de telles attaques), l’historien britannique attaque à boulets rouges les special relationships. Il s’agit d’une condamnation explicite d’une politique, d’une stratégie, d’une conception du monde que suit le Royaume-Uni depuis 1941. Ferguson en fait moins un argument émotionnel qu’une évidence de l’évolution des deux “partenaires” : simplement dit, les différences entre les Britanniques et les Américains sont trop grandes pour que ces relations se poursuivent, alors que la proximité entre le Royaume-Uni et l’Europe est aujourd’hui irrésistible. D’une façon générale, cette prise de position confirme l’évolution de l’historien, par rapport à ses positions avant la guerre et pendant son déclenchement : il est passé d’une position “néo-impérialiste” épousant complètement la cause d’une Amérique impériale établissant sa puissance grâce à la guerre en Irak, à une position de compromis réaliste de rapprochement avec l’Europe. (On a déjà vu certains aspects de l’évolution de Niall Ferguson durant ces derniers dix-huit mois, le 17 janvier 2004 dans notre rubrique “Notes de lecture”.)
« Donald Rumsfeld once said that Americans don’t ‘do’ empire, rather as Alastair Campbell once said that Downing Street didn’t ‘do’ God. Yet Mr Bush’s tacit imperialism — so much more resolute than that of his predecessor — has found its staunchest support in Mr Blair’s private faith. On they march, these two Christian soldiers, each with a Bible in one hand and a bazooka in the other.
» The trouble is that while a majority of Americans are receptive to what might be called a faith-based foreign policy, very few Britons are. The Americans are still a deeply Christian people. The British ceased to be some time ago. Consider the following results from a recent BBC/ICM poll. Over half of Americans agree with the statement ‘My God is the only true god’ compared with fewer than a third of Britons. An even higher proportion of Americans (53 per cent) regularly attend an organised religious service, compared with barely a fifth of Britons. Two thirds of Americans pray regularly; just 28 per cent of Britons do. More than 70 per cent of Americans agree with the statement ‘I would die for my God or beliefs’; fewer than a fifth of Britons do.
» This is just part of a fundamental divergence in popular culture which increasingly makes a nonsense of the special relationship. Combining as it does religious fundamentalism, economic individualism and red-blooded patriotism, the American conservatism so vividly described by John Micklethwait and Adrian Wooldridge in their book The Right Nation simply has no counterpart in this country. British Tories are a beleaguered minority, vainly trying to preserve a few picturesque pastimes and landscapes from the depredations of New Labour’s corrupt and cynical party apparat.
» The decline of Christianity not only helps to explain the crisis of conservatism in Britain. It also forms part of the wider process of covert Europeanisation. Many of us still fondly imagine that we have more in common with ‘our American cousins’ than with our Continental neighbours. It may have been true once (though I find it hard to say exactly when). But it is certainly not true now. Travel to the United States and then to the other European Union states, and you will see: the typical British family looks much more like the typical German family than the typical American family. We eat Italian food. We watch Spanish soccer. We drive German cars. We work Belgian hours. And we buy second homes in France. Above all, we bow before central government as only true Europeans can.
» And perhaps nothing illustrates more clearly how very European we are becoming than our attitudes to the United States. Asked in a recent poll to choose between the two candidates for the presidency, 47 per cent of us favoured John Kerry, compared with just 16 per cent who backed George Bush — at a time when Bush was more than 10 per cent ahead in the American polls. On the legitimacy of the Iraq war, too, the British public is now closer to Continental opinion than to American.
» All this suggests that Tony Blair’s devout Atlanticism may actually represent the special relationship’s last gasp. For a strategic partnership needs more to sustain it than an affinity between the principals and the self-interest of a few professional elites. It requires a congruence of national interests. It also needs some convergence of popular attitudes. By both those criteria, the Anglo-American alliance is surely living on borrowed time.
» The Iraq war may not have destroyed Mr Bush and Mr Blair. But it has surely laid bare the asymmetry of the relationship between Washington and London. If the special relationship were a transatlantic flight, they would be in the cockpit. We would be the sleeping passengers. It is surely time to get our foreign policy up off the flatbed. »
• Le cas de Dominique Moisi, atlantiste français notoire, concerne spécifiquement la guerre d’Irak. L’article est court, sans considérations inutiles, et vient bien entendu contredire tout ce que l’auteur écrivit au temps de l’avant-guerre, du déclenchement de la guerre et de ce qui suivit immédiatement. Il s’agit d’une reconnaissance complète de l’erreur qu’a constitué le soutien en son temps de la guerre contre l’Irak. Venant d’un commentateur longtemps fidèle à toutes les causes transatlantiques d’inspiration américaine, l’évolution est significative de l’humeur du temps.
« Today, when the situation on the ground can only go from bad to worse and no positive scenario can be envisaged (the maintenance or the withdrawal of American troops in Iraq being equally recipes for disaster) I regret my support for the war.
» The Iraq war has rendered the fundamental challenge we are facing today - fighting international terrorism — more and not less difficult. How can we efficiently fight the fundamentalists without alienating the majority of the Arab-Islamic world and without violating our core values?
» The costs of the failure are already immense, and not only in Iraq and the Middle East. The escalation of anti-Americanism in the world; the encouragement for leaders such as Vladimir Putin to follow the U.S. model; the neglect of Iran's nuclear ambitions — these and other indirect consequences of the American adventure in Iraq are far more catastrophic than the worst-case scenario envisioned by the American administration after the fall of Saddam. »
Dans les deux cas, il s’agit de changements de position particulièrement remarquables, de la part de personnalités connues pour leurs positions marquées, — “néo-impérialiste” pro-américain pour Ferguson, atlantiste pro-américain pour Moisi. Il s’agit surtout de changements de position particulièrement exemplaires d’un fort courant qui s’est établi avec l’aggravation de la situation en Irak et la mise en évidence de la fausseté des divers arguments présentés pour le déclenchement de la guerre.
Il faut comparer ce courant révisionniste avec des courants précédents du même type. Le plus significatif à cet égard est celui qui s’était établi durant la Guerre froide, chez les intellectuels pro-communistes du temps du stalinisme devenant peu à peu critiques et/ou anticommunistes à mesure que les réalités de la dictature stalinienne devenaient de plus en plus visibles et insupportables. Il y a des différences essentielles avec ce courant, qui marquent l’originalité du mouvement révisionniste actuel.
• D’une part la rapidité du processus. Autant l’affirmation de puissance des Etats-Unis en 2001-2003 avait apporté à cette puissance un courant important de soutien chez des intellectuels de tous horizons (comme sont Ferguson et Moisi, qui appartiennent à des courants de pensée différents, — la droite impérialiste chez Ferguson, le centre libéral pour Moisi), autant les problèmes rencontrés en Irak ont aussitôt déclenché un mouvement de révision d’une très grande importance. Cette rapidité correspond effectivement à la rapidité de l’évolution de la situation, avec ses principaux aspects largement exagérés par les méthodes virtualistes de transformation de l’information. Comme toujours, on retrouve un effet-boomerang : autant ces méthodes virtualistes suscitent des adhésions très fortes et très rapides lorsqu’elles sont manipulées dans le sens favorable à l’artisan-virtualiste, autant elles conduisent à des révisions très rapides et massives lorsque l’affirmation virtualiste est confrontée à la réalité.
• D’autre part, l’identification très stricte de la révision d’opinion à un pays (les États-Unis). Ferguson n’abandonne pas les thèses néo-impérialistes, ni Moisi les thèses libérales et éventuellement atlantistes ; c’est le comportement américain et son apport pour l’Europe (le Royaume-Uni dans le cas de Ferguson) qui sont dénoncés. Le révisionnisme concerne beaucoup plus l’américanisme et les États-Unis qu’une idéologie en général.
• Il y a un aspect pratique immédiat, essentiellement dans le cas de Ferguson. Son opposition au comportement américain, à l’incapacité américaine d’être un empire, implique une proposition à effets immédiats d’un changement radical de politique de la part du Royaume-Uni. C’est un aspect très original du courant révisionniste actuel.