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3955Ainsi empruntons-nous cet exercice linguistique épique d’un humoriste-amateur jouant au philosophe parlant de la globalisation, et que nous avons plagié pour le titre : ...Et dans ce titre, “‘Rien’ signifie effectivement le néant, ou plutôt la néantisation du ‘Tout’, et ‘Tout’ signifiant ce qui apparaissait d’abord à notre perception trompée et faussée et qui s’est trouvé réduite à la catastrophe du ‘Rien’, et donc dévoilant la véritable non-essence du ‘Rien’ en le réduisant infiniment à un exercice de néantisation.” Tout cela, souffle court, pour introduire notre commentaire au texte de Karine Bechet-Golovko sur son site Russie Politics du 27 mars 2020.
(On a déjà cité ou repris Bechet-Kolovko à plusieurs reprises, comme on peut le voir par exemple le 6 février 2020, déjà à propos de la crise-Covid19. Française, avocate résidant à Moscou, certainement d’une tendance indépendante qui se fait antiSystème à diverses occasions, le plus souvent favorable à la Russie poutinienne mais ponctuellement critique de sa politique quand elle juge que cela s’impose...)
Ce texte que nous présentons est particulièrement exemplaire par le rythme implicite, peut être involontaire, qu’il nous propose, entre des remarques qui mettent en évidence la puissance triomphale de la globalisation dont la crise-Covid19 est l’affirmation, et la défaite catastrophique de la globalisation qu’implique ce triomphe de la crise-Covid19, tout simplement parce que cette crise sème le désordre, la désolation, une véritable pandémie d’angoisse cosmique et de fin de civilisation, finalement une sorte d’“emprisonnement dans l’impossibilité d’être” qui serait imposée à l’espèce humaine. Cette contradiction en soi, – dont le sujet ici est la globalisation, mais on y reconnaîtra le Système en fin de compte, – ne peut déboucher que sur un acte de rupture.
Il sera cette fois très difficile d’évacuer la nécessaire enquête, débouchant éventuellement sur le procès de la globalisation à la lumière de la crise Covid19, et aussi à la lumière qui va se faire de plus en plus exigeantes des crises dites-“collatérales” (finance, économie, société, psychologie, etc.) qui sont déjà en cours de démarrage et qui secouent le Système lui-même. Les pressions sont donc parallèles et complémentaires (la crise Covid19 relayée plus tard par les crises “collatérales”) en même temps qu’elles sont antagonistes (la crise Covid-19 empêchant de prendre toutes les mesures nécessaires pour ralentir, voire maîtriser les crises “collatérales” qui se nourrissent désormais de Covid-19). Plus encore, la violence tragique de Codiv-19, son caractère presque biblique dans la perception qu’on en a, avec la gigantesque communication en action, rendent sa négativité éventuellement mortifère pour le concept de globalisation encore plus forte et dévastatrice.
C’est cette contradiction qui est particulièrement importante et redoutable dans l’enchaînement des dynamiques crisiques à parti de Covid-19 comme détonateur. Il y a un dilemme crisique (un dilemme pour la crise du Système/pour le Système) à cause de l’enchaînement de crises antagonistes dans leur traitement. C’est un point que nous avons déjà soulevé, qui nous paraît absolument essentiel :
« [L]a cause de ce gigantesque épisode crisique ne répond pas aux normes du Système, même pour lutter contre lui, il n’entre pas dans son jeu, moins encore il n’y joue pas ; d’où cette impression d’une paralysie, d’une impasse. Vous ne pouvez éviter de lutter contre Covid-19, bien entendu, mais pour lutter contre lui, à l’heure de la globalisation et de la vitesse extrême de toutes les sortes d’actes et de pressions de la communication, il importe de prendre des mesures extrêmement contraignantes qui empêchent de lutter contre les effets destructeurs des autres crises, les crises dites-“[collatérales]”, [et même prendre des mesures qui aggravent ces crises dites-“collatérales” en contredisant directement et ontologiquement les principes sur lesquels s’appuie le Système, — donc des mesures] qui touchent le cœur du Système et le menacent. »
Cet ensemble de facteurs, qui entrent pareillement dans l’observation de la globalisation au moment où, comme l’observe Bechet-Kolovko, elle “triomphe” et elle se constitue en catastrophe en même temps, et dans les deux cas à la lumière de Covid-19, conduit en effet à un raisonnement du “Tout et Rien”, – ou “Tout devient Rien”, – où effectivement le “Tout” (la globalisation triomphante) devient en même temps qu’il triomphe, et parce qu’il triomphe, la catastrophe (la globalisation catastrophique) que l’on désigne par le “Rien” puisqu’elle se fait par un processus qu’on peut, qu’on doit juger être un processus de néantisation.
Cette contradiction formidable a déjà souvent montré le bout de son nez mais toujours dans une mesure assez faible, et toujours elle a pu vaille que vaille être contenue par des mesures dilatoires, et surtout une communication à mesure. Cette fois, la pandémie Codiv-19 étant ce qu’elle est, ou dans tous les cas ce qu’elle paraît être en fonction des effets de pathologie et de morbidité importants avec le formidable effort de communication qui accompagne l’ensemble, avec sa durée et l’extrême difficulté qu’il y a à la maîtriser, notamment avec des mesures qui déclenchent et aggravent des crises objectivement antiSystème, avec enfin le désordre déstructurant et quasiment barbare discréditant tous les pouvoirs qui en résulte, les manœuvres pour sauvegarder la bonne réputation et la nécessités de la globalisation, de dilatoires deviennent dérisoires.
C’est pour cette raison que le texte de Bechet-Kolovko est bien exemplaire. Cette commentatrice n’est en général pas très optimiste, par rapport à la possibilité de résister au Système, et mieux encore de l’annihiler. Elle mentionne donc sans en rien dissimuler sa puissance qui est évidente avec ce cas paradoxal du Covid-19 ; mais en même temps, bien entendu, elle ne manque pas de faire alterner ce que ce “triomphe” de la globalisation a de catastrophique pour la globalisation.
Cette espèce de rythme contradictoire est aujourd’hui une forme de pensée qui nous est imposée, d’autant que les partisans de la globalisation continuent leurs manœuvres dilatoires-dérisoires (dilatoires mais de plus en plus dérisoires). La perception qui alimente notre pensée, donc notre jugement, ne doit en aucun cas perdre de vue que la situation ne peut être appréciée sur un seul domaine, sur une seule crise, sur un seul penchant (positif ou négatif). Tout doit être pris en compte, synthétisé et mesuré selon l’ensemble obtenu.
Ci-dessous, le texte de Karine Bechet-Golovko sur son site Russie Politics du 27 mars 2020. Le titre original est : « Billet du vendredi : Coronavirus, avènement et défaite du monde global »
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A première vue paradoxalement, même si à la réflexion il n'y a pas forcément paradoxe, le coronavirus est à la fois l'avènement et la défaite du monde global. Avènement, parce que, que ce soit avec enthousiasme ou avec réticence, les puissances se sont soumises, la plupart des pays ont introduit des mesures liberticides, les États ont suivi des impératifs extérieurs et abdiqué leur souveraineté. Défaite, car le monde global se présente comme une société carcérale, faible, chaotique et barbare. Mais il n'y a pas forcément paradoxe, car l'idéologie néolibérale, qui porte le monde global, est une déconstruction, elle n'est pas porteuse d'une vision positive, ni de l'homme qu'elle a réduit à l'individu, ni de l’État qu’elle combat. Mais elle tente de modifier le système de valeurs et les comportements sociaux, de modifier donc l'homme de l'intérieur. Ce qui en fait un totalitarisme. Et pose la question de la fin du libéralisme.
A plusieurs points de vue, le coronavirus est le visage du monde global.
Sa prolifération a été rendue possible par le culte du mouvement incessant, par cette manie des masses de passer le week-end à Venise, les vacances d'hiver pour les Chinois à Paris par exemple, quand les habitants des pays tempêrés ou froids cherchent le soleil et la chaleur. S'étalant sur une plage, marchant sur des montagnes ou dans des rues, agglutinés derrière des guides. Pour des vacances culturelles ou extrêmes. Pour vivre quelques jours des rêves de Photoshop. Échangeant leurs appartements à travers le monde, car ce monde est Un, il est donc le Tout. Devenu indifférencié. La circulation intempestive des individus... et des virus. En pleine spirale d'acculturation.
Son ancrage a été rendu possible par le monopole du discours médiatique, qui est largement répercuté et amplifié par les réseaux sociaux, caisse de résonance de la globalisation, où la plupart des gens réagissent. C'est-à-dire se placent sur le plan de l'instinct et du sentiment, ces points faibles par lesquels ils sont magnifiquement manipulables. Et il faut reconnaître que la communication de masse a été élevée au niveau de l'art.
La capitulation des puissances et des États a, pour sa part, été rendue possible par des décennies d'affaiblissement et de démantèlement. Après la Seconde Guerre mondiale, l’État, en tant que tel, est devenu l'incarnation du Mal et lui ont été accolés tous les qualificatifs à connotations négatives, tels que l'ordre, la règle, la force. Face à lui, le culte de l'individu, faisant passer la société du holisme à l'individualisme, s'est structuré autour de la société civile, sacralisée comme espace de réalisation des libertés. Les politiques publiques ont suivi le mouvement, sur la vague de la fausse rationalité du management, les services publics ont été déstructurés : car le privé fait a priori mieux que l'État, surtout lorsque des conditions défavorables sont mises en place pour les structures publiques. Après déstructuration, évidemment, l'État fonctionne mal, il perd donc de sa légitimité, il est affaibli et petit à petit intégré dans un maillage de structures supranationales, – régionales et internationales, qui, sans fondement démocratique, développent une supra-gouvernance. Ce mécanisme était parfaitement bien huilé et l'État même lui était nécessaire : ce qui était mal fait était de la responsabilité de cet État encombrant mais que l'on gardait par habitude, heureusement les organismes supranationaux étaient là pour compenser. L'image-type en Europe est la CEDH, présentée comme le seul lieu de justice indépendante, qui va apporter la Justice aux populations sous le joug de leur justice étatique. Ce mythe a été particulièrement développé dans l'espace post-soviétique, pour des raisons idéologiques évidentes. Le rapport récent démontrant les liens entre cette Cour “indépendante” et les ONG, principalement du réseau Soros, soulève de nombreuses questions (voir notre texte sur le dysfonctionnement des temples du monde globalisé).
Et le coronavirus est une démonstration formidable de tout cela. Les États ont suivi, certains en traînant la patte, d'autres en premiers de cordée, mais ils l’on fait. Évidemment sans aucune réévaluation des réformes néolibérales ayant conduit, notamment, à la désorganisation du système de santé. Ponctuellement, on peut refinancer, mais aucune réflexion systémique n’est admise. Le point culminant est le confinement de la population. Qui de toute manière est limité par l'impossibilité de confiner les SDF, qui se heurte aux masses de migrants, aux quartiers où la loi républicaine n'est même plus un vieux souvenir. L’on en arrive à l'Afrique du Sud, premier État africain à décider du confinement. Et comme tout nouveau converti, il veut être plus saint que le Pape. Même les chiens ne doivent pas être sortis. Pourtant, 20% de la population vit dans des bidonvilles.
Sauf, que certaines structures supra-étatiques sont inefficaces, comme l'UE. En revanche d'autres, comme l'OMS, ont pris du galon. L'on passe ici encore d’un cran : de la régionalisation à la globalisation. En ce sens, c'est la fin du rêve d'un monde multipolaire. Par manque de résistance politique.
Dans le même temps, le coronavirus est le signe de la défaite du monde global.
Certains des mythes globalistes viennent de tomber. Celui du citoyen du monde. Aux poubelles de l'histoire, il est rentré sur un territoire, restreint à son logis. Faisant chuter avec lui le culte du déplacement incessant, Je bouge donc je suis. Remplacé par Je me terre donc je vis. La liberté tant attendue, qui soi-disant n'était restreinte que parce que l’Ettat était fort, vient d'être sacrifié sur l'autel du dieu global. Il n’est ni le premier, ni le dernier des dieux, et finalement est aussi exigeant que ses prédécesseurs. Et comme eux, sa jeunesse a besoin de beaucoup de sang et de chair fraîche. Et comme les temps ont changé, l’armée est utilisée non pas pour combattre un ennemi extérieur, mais pour que les populations se sacrifient elles-mêmes, sacrifient leur liberté. A ce nouveau dieu. Sans demander la restauration de l’État. Et comment les grands mouvements de migrants vont-ils se poursuivre ? Où en sont-ils au fait ? Plus personne ne coule ? Il n'y a plus de conflit à fuir, de régime totalitaire et sanguinaire, qui poussent ces jeunes hommes forts sur les routes d'Europe ? L'on a même vu des phénomènes de réimmigration à partir de la France.
Par ailleurs, les rares contenus de ce monde globaliste, par exemple la virtualisation, se heurtent aux difficultés de la vie réelle, même dans les pays où le numérique est un culte incontesté. Ainsi, en Russie, la tentative de numériser totalement l’enseignement et la recherche vient de s’écraser contre le mur de la réalité. L’enseignement à distance dans les facs s’est transformé par la mise en vacances des étudiants et des professeurs, qui après une première phase d'engouement (pour ceux qui croyaient enfin avoir accès à la technologie du futur, – tout est question de croyance) ont été fortement déçus et regrettaient un véritable enseignement. A l'école, la situation n'est pas meilleure. Au Conseil de la Fédération, l'on envisage le prolongement de la période scolaire après cette poussée globale, car, je cite : « Il y a forcément un moment où une communication directe est indispensable. Il est impossible de tout enseigner à distance. »
Pour autant, il n'est pas forcément paradoxal de considérer concomitantes l'avènement et la défaite du monde global avec le coronavirus.
Tout d'abord, parce que ce virus n'est qu'une phase de transition. Si l'on sait d’où l'on vient, l’on ne sait pas où l’on va. D’autant plus que la peur a fait abandonner aux populations les rênes du contrôle de la gouvernance et les pouvoirs nationaux, rendus à leur inexistence, suivent aveuglément les recommandations globalistes. Ils ne sont plus des espaces de décision, mais d'exécution. Plus ils sont faibles, et plus ils sont radicaux, sur le fond et sur la forme.
Nous assistons à une transformation de certaines valeurs. Ainsi, la liberté est le crime; la réclusion est la responsabilité ; etc. De la même manière, certains comportements sociaux doivent être modifiés. Dans nos sociétés, traditionnellement, les jeunes générations doivent prendre soin des générations plus anciennes, ce qui garantit le cycle de la vie et la transmission intergénérationnelle. A Moscou, le maire a mis les personnes de plus de 65 ans à domicile, demandant aux membres de leur famille de ne pas aller les voir, car ils pourraient les contaminer. Il vaut mieux garder le contact à distance, par téléphone ou par internet. A la place du contact humain et rassurant de ses proches, des siens, un service de bénévoles est prévu, qui peut les aider pour leurs courses, les médicaments, etc. Car il est bien connu que les volontaires, eux, ne sont pas porteurs de maladies. Ce sont des volontaires. A la différence des enfants et petits-enfants, qui sont extrêmement dangereux. Pour le modèle idéologique.
Mais surtout, parce que ce monde finalement n'a rien à proposer aux gens. La solitude pour une durée indéterminée. Des visites virtuelles de musées ? Regarder les spectacles à la maison ? Vous pensez réellement que des metteurs en scène vont créer des spectacles qui ne seront jamais joués devant des spectateurs ? Que de véritables acteurs de théâtre vont transformer leur art en préparation de séries pour la télé ou le net ? Vous pensez vraiment que de véritables écrivains n'ont pas envie de tenir leur livre dans leurs mains ? Comme toutes les idéologies, celle-ci est une négation de la nature humaine.
Finalement, combien de temps la police et l'armée vont-elles pouvoir contenir les populations ? La société globale n'est donc qu'un rêve carcéral pour la majorité. Dès que la population va relever la tête, l'on pourra toujours trouver un virus pour la confiner. Reste la question économique. C'est aussi la fin du libéralisme économique et à côté de ce qui se profile, la vision communiste était un doux rêve. Au moins, il voulait créer un homme meilleur, dégager des contingences du matérialisme pour l'élever spirituellement et culturellement. C'est pourquoi il y a eu l'enseignement de masse, l'industrialisation massive, ce qui obligeait l'Europe. Ce mouvement, qui a fait des puissances, une période qui est marquée par une création littéraire, cinématographique, musicale, bref artistique que les fadaises actuelles ne peuvent faire oublier. C'est la fin du libéralisme, comme le communisme a pris fin. Mais si l'on savait dans les années 90 que les pays de l'Est étaient pris en main par l'Occident dit libéral, l'on ne sait pas très bien ce qui s'est emparé de nos sociétés. Ce n'est pas la fin des idéologies, plutôt la fin de ce que l’on connaît.
Et l’avenir proche, avec ses crises sans fin, sa récession historique, ses crashs, son chaos, sa barbarie, est loin de l’image des lendemains qui chantent. C'est finalement à nous de décider si c’est la vision du monde que l’on soutient.
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