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9 mars 2003 — Nous nous référons à un texte d’analyse du commentateur US William Saletan. C’est une critique mesurée, qu’on peut qualifier d’intelligente, de la position des adversaires de la guerre au Conseil de Sécurité. (C’est-à-dire, une critique qui ne se limite pas à l’invective, à l’insulte, à la grossièreté du mensonge historique et généralement anti-français.)
Quelques paragraphes suffisent à mesurer l’argument.
« ...In Friday's council debate, [ France, Germany, and their allies on the U.N. Security Council] made two arguments against a U.S. invasion of Iraq. First, they said it was unnecessary because Iraq has begun to comply with U.N. inspections. Second, they warned that an attack on Iraq without U.N. approval would ruin the credibility of the United Nations, on which the security of every nation, including ours, depends.
» Are inspections more effective than force? Is the United Nations a better guarantor of U.S. security than American power is? Both questions are fraudulent. Inspections depend on force, and the United Nations depends on the United States. The French and Germans are telling us not to mess with the status quo, when the status quo is us.
» In his speech to the council, French Foreign Minister Dominique de Villepin compared the efficacy of war to that of inspections. ''Why smash the instruments that have just proven their effectiveness?'' he asked. ''Why should we wish to proceed by force at any price when we can succeed peacefully?'' He continued:
» The adoption of Resolution 1441, the assumption of converging positions by the vast majority of the world's nations, diplomatic action by the Organization of African Unity, the League of Arab States, the Organization of the Islamic Conference, and the Non-aligned Movement—all of these common efforts are bearing fruit. The American and British military presence in the region lends support to our collective resolve.
» Lends support? Saddam Hussein doesn't care what the United Nations or the League of Arab States says. He has ignored their words for years. The only reason he's crushing his own missiles today is to stave off invasion by the troops poised on his borders.
» In a press conference after the debate, de Villepin asked, ''When the inspectors are telling us that active cooperation is seen on the ground, how can we at the same time say … that we should prepare [for] war? There is a strong contradiction, and we don't accept this contradiction.'' But coupling the current inspection regime with preparations for war isn't a contradiction. It's a tautology. Our war preparations are the reason Saddam is cooperating with the inspectors. »
Nous y sommes, nous atteignons l’essence du débat. Saletan a raison, le ministre français est en pleine tautologie. Mais William Saletan, lui, comme tous les argumentateurs allant dans son sens, est en plein sophisme. Dans la hiérarchie des tromperies de la raison déguisées en bon sens, le sophisme trône largement au-dessus de la tautologie et, dans le cas qui nous occupe, la tautologie n’est que la conséquence du sophisme.
Il y a deux sophismes dans l’argument de Saletan. Le premier est implicite au cas qu’il expose. Prenons-le au pied de la lettre, acceptant sa proposition : effectivement, c’est la pression des forces militaires US (et UK, tiens, on les oublie, ceux-là) qui forcerait Saddam à désarmer. « The only reason he's crushing his own missiles today is to stave off invasion by the troops poised on his borders », écrit Saletan. Sans aucun doute, — alors, si cette pression marche si bien, pourquoi partir en guerre ? Pas de réponse. Ah si, celle du vice-ministre russe des affaires étrangères Youri Fedotov, qui nous la sert avec un humour qui, à la réflexion, est profond et dévastateur. « The United States insists that Iraq should not just destroy separate bombs, shells or missiles, but that it should cooperate with the United Nations with enthusiasm. Apparently, this will not be simple to do. » Il est vrai que les choses eussent été plus claires pour les uns et les autres si les USA avaient pu faire inscrire dans la 1441 que l’Irak devait coopérer avec enthousiasme, avec amour pour l’Amérique, avec le sourire, et en sifflotant America the Beautiful. Richard Perle eût peut-être été séduit, et le Dieu de GW satisfait.
La pureté de cette crise se trouve dans la profonde et infinie vacuité des arguments qui continuent à être donnés pour couvrir d’une feuille de vigne postmoderne cette formidable pulsion américaine (de GW) pour la guerre. C’est là que nous retrouvons notre démonstration anti-sophistique, que nous parvenons au deuxième sophisme de Saletan. Le plus grave certes.
Saletan, nous le supposons, est un homme informé. Il sait donc parfaitement que le cas fondamental n’est pas celui du désarmement de l’Irak. Il sait, il doit savoir, — ou bien, il n’entend rien à cette crise, — que le seul problème fondamental qui se pose au reste du monde aujourd’hui est ce formidable désir américain de faire la guerre, à n’importe quel prix. Il sait pertinemment, — ou bien il usurpe le titre de journaliste et de commentateur, — que les Français tentent de bloquer l’affaire irakienne, non pas principalement pour la question irakienne mais principalement pour tenter de bloquer la machine folle US. Tout le monde le sait, y compris les Britanniques, qui ont présenté à plusieurs reprises, et jusque officiellement, leur engagement pro-US comme une tactique, un moyen de tenter de freiner, voire de tenter de bloquer les Américains. Le sentiment de cette nécessité de tenter de bloquer l’Amérique existait avec la force où on le décrit, notamment chez les Allemands, les Britanniques et les Français, dès novembre 2001.
Dans le même ordre de la logique, l’utilisation de l’ONU par les Français a pour but de sauvegarder l’ONU, en refusant, s’ils parviennent à empêcher le vote d’une résolution-amen, la perversion irréversible de l’ONU dans la sanctification d’une agression délibérée. (Cette cause vaut bien quelques tautologies, comme “Paris vaut bien une messe”.) C’est pour la cause, dans le cas très possible où elle voterait une résolution-amen, que l’ONU perdrait ce que nombre de commentateurs qui s’affirment réalistes nomment “crédibilité”. Le Pape ne perd pas sa “crédibilité” (voir les foules qu’il réunit, au contraire de GW) parce qu’il interdit l’avortement et que l’avortement se fait à qui mieux-mieux ; il sauve les principes de l’Église en ne les compromettant pas. L’ONU refusant de dire amen à l’attaque américaine, sauverait les principes du droit international. Sophisme ultime : croire que la force bafouant le droit détruit les fondements du droit ; elle bafoue le droit, c’est tout, et elle pourrait bien le payer un jour ; les fondements du droit, eux, restent inviolés parce qu’ils ne se sont pas inclinés. C’est de cette façon que l’esprit l’emporte sur la matière. Aujourd’hui, l’esprit américaniste n’est que sophisme, c’est-à-dire qu’il n’est que matière saupoudrée d’un peu de morale ad hoc, comme les coalitions du même nom.