Le Temps suspendu

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Le Temps suspendu

21 serptembre 2022 (14H45) – Il est arrivé à plus d’une reprise que l’on évoque sur ce site l’idée générale exposée par Justin Raimondo le 10 septembre 2011, selon laquelle l’attaque du 11-septembre, 10 ans plus tôt, avait fait « un trou dans le continuum Espace-Temps » par lequel ce qu’il nommait ‘Bizarro world’ (en référence à une expression employée par les ‘comics’ américains, notamment dans le registre de la ‘fantasy’) avait commencé à pénétrer dans notre univers. Cela donnait à peu près ceci :

« ‘Bizarro World’, – vous vous souvenez de votre jeunesse passée à lire des bandes dessinées, où il y avait, – où il y a, – un univers alternatif dans lequel les lois de la raison et de la logique sont renversées : l'eau coule en amont, la droite a tort, la gauche a raison, et le FBI, au lieu de protéger la sécurité nationale, est déterminé à la violer.

"Cela est parfaitement une ‘Bizarro-perception’ : dans notre univers, nous n’y sommes normalement pas soumis. Cependant, comme je l’ai déjà noté à plusieurs, la force terrifiante des explosions qui ont fait s’effondrer le World Trade Center a ouvert un trou dans le continuum Espace-Temps, de sorte que le ‘Bizarro World’ a “pénétré” dans notre propre univers, et s'en empare peu à peu. »

Cette idée doit été élargie pour échapper au seul événement du 11-septembre, et pour caractériser une succession d’événements survenus depuis, qui apparaissent chaque fois, notamment dans le formidable tintamarre de la communication, comme à nouveau une pénétration dans notre univers de quelque chose d’extérieur, par ce « trou dans le continuum Espace-Temps ». Ainsi en a-t-il été de certains événements comme nous les avons subis, dans la surprise, le désordre, la terreur, l’ivresse, le chaos : aussi bien et entre autres événements, la fuite de Snowden, le coup d’État de Kiev de février 2014 enclenchant un univers d’une folie déterministe-narrativiste qui a totalement infecté notre perception, l’intervention russe en Syrie, l’élection de Trump, les ‘Gilets-Jaunes’,  l’incendie de Notre-Dame, le “Covid19-nous sommes en guerre”, l’attaque russe du 24 février.

Il ne s’agit pas, chaque fois, de reprendre tout à zéro pour à nouveau l’usage du « trou dans le continuum Espace-Temps », mais bien d’un empilement d’incursions par ce moyen. Chaque fois, si nous avons bien entendu des explications rationnelles par ailleurs, conformistes ou complotistes qu’importe, il y a absolument une part d’inattendu et d’inexplicable. De là ma conviction souvent répété qu’on se trouvait là devant des événements “du-dehors”, répondant à des forces inconnues et supérieures à nous. Les hommes y tiennent leur rôles, ce qui suffit à certains pour tout expliquer, mais je les apprécie pour mon compte comme des figurants, des acteurs au mieux, suivant une trame qui vient d’“en-dehors” d’eux.

On comprend que je n’hésite pas une seconde à placer dans cette “catégorie” ce qui se passe depuis hier dans le cadre d’‘Uktisis’ (référendums dans les territoires du Donbass, rattachement annoncé à la Fédération de Russie, discours de Poutine annonçant une mobilisation partielle [300 000 réservistes sur les 25 millions mobilisables], – et les innombrables réactions dans tous les sens, où il est impossible de distinguer un sens général pour l’instant). On voit que je me contente de m’arrêter à l’exceptionnalité de l’événement et nullement à ses conséquences possibles, – par exemple, mais exemple présent dans bien des esprits, la perspective d’une Troisième Guerre Mondiale, comme le laisse entendre le président serbe Aleksandar Vuciv :

« ... Et maintenant, la question est de savoir où se situe la limite, et si après un certain temps, – peut-être un mois ou deux, même, – nous allons entrer dans un grand conflit mondial jamais vu depuis la Seconde Guerre mondiale. »

... Ou bien encore, ce constat évident et sans appel de Larry Johnson :

« Nous sommes en train de franchir un seuil qui pourrait dégénérer en troisième guerre mondiale. Je suis certain que Vladimir Poutine ne bluffe pas ni ne manœuvre. Il n'est pas Joe Biden. Il ne tient pas de propos inconsidérés et ne profère pas de menaces en l'air. Du point de vue russe, l'existence même de la Russie est en jeu. »

Il doit être bien compris que je suis complètement et plus que jamais en accord avec toutes les conceptions et convictions qui ont guidé depuis l’origine, — j’insiste bien là-dessus : “depuis l’origine”, – le travail de ce site. En conséquence de quoi, je me refuse, non pas tant à faire une prévision, – ce refus va de soi, – mais au-delà, je me refuse à considérer les seuls éléments “terrestres“ de la situation pour quelque attitude que ce soit, – refuser de faire toute prévision, ou au contraire s’y risquer. Je pense que personne, absolument personne et en aucune façon, n’aurait pu non seulement prévoir, mais seulement imaginer, le 11 septembre 2001 alors que s’ouvrait le très-grand « trou dans le continuum Espace-Temps », que nous nous trouverions où nous sommes aujourd’hui ; c’est-à-dire hystériquement et quasiment sans y prendre garde sur la voie d’un risque extrêmement sérieux de conflit nucléaire au milieu d’une économie en cours d’effondrement, et que l’on pourrait croire que ce serait du seul fait de la politique des hommes, – de cette sorte d’hommes qui, aujourd’hui, ne savent plus ce qu’est la politique (ni les armes nucléaires, d’ailleurs..).

Qui aurait pu prévoir de tels prolongements, tant cela est tout simplement impossible en s’en tenant aux seuls actes humains, fussent-ils les plus pervers et les plus stupides du monde ? Non, il faut une “aide extérieure” à l’homme pour rassembler tant de perversité et de bêtise et les faire tenir ensemble, et qu’elles accouchent du monstre qu’est notre-monde...

(Regardez tous les événements, disons depuis 1945 ou depuis 1918, jusqu’au 11-septembre : ma conviction est que, s’il y a des surprises, des événements extraordinaires, etc., je crois pourtant qu’ils sont en accord avec ce que Raimondo nommait « les lois de la raison et de la logique », fussent-elles la logique de la perversité humaine où la raison-subvertie de l’homme pour se soumettre au Mal. Aucune intervention extérieure à l’homme n’est impérative dans ce déroulement. Ce n’est plus le cas depuis le 11-septembre.)

Bien entendu, j’ajouterais un autre facteur qui m’est extrêmement cher : l’importance absolument essentielle, au point qu’on la qualifierait d’indirectement métaphysique dans ses effets, de la puissance de la communication nécessairement considérée dans toutes ses facettes, et particulièrement dans son “effet-Janus”. Je ne parle pas ici du contenu informationnel directement considéré de la communication, mais bien du brouhaha, du tintamarre formidable de la communication avec ses effets sur la psychologie. Si vous suivez le travail standard d’un commentateur, vous entendez ce brouhaha-tintamarre allant dans tous les sens, vous n’entendez plus que cela et, bientôt, vous comprenez que le principal est l’effet de masse, bien plus que telle, ou telle, ou telle, ou telle information diffusée par la communication.

C’est à cela, à l’effet de masse qu’est soumise la psychologie, et croyez bien que vous n’en pouvez distinguer ni le sens, ni l’interprétation, ni les conséquences... C’est à ce point, dans de telles circonstances et dans une telle période, que, à mon sens, des forces extérieures (aux hommes) agissent, et elles savent bien dans quel sens elles agissent et veulent agir. En déduiriez-vous que je pense que l’homme “est agi” plus qu’il n’agit ? “Dans de telles circonstances et dans une telle période”, lorsque l’histoire se fait métahistoire, lorsque la tactique basse produite par l’histoire courante laisse la place à la haute stratégie qui est la production évidente de la métahistoire, vous n’auriez pas tort.

Ce n’est pas pour autant que je dénie que l’homme ait en lui un besoin de rencontrer une sorte de “gloire céleste”, comme il est dit dans cet extrait de ‘La Grâce de l’Histoire’. Par conséquent il lui sera beaucoup pardonné, et s’il montre ainsi beaucoup d’humilité c’est alors qu’on pourra dire qu’il est doté d’une très grande sagesse...

« Cela, nous offrant cette lumière si particulière [...] devient alors un choc d’une puissance inouïe qui doit rompre, mais aussi un choc qui ne se contenterait pas de tenter d’influer sur le déroulement normal de l’Histoire, qui aurait l’ambition de constituer une intrusion majeure en elle-même, dans cette Histoire et dans le destin de notre aventure, pour une subversion également majeure à son profit par un changement d’orientation significatif et impératif ; “a hole in the space-time continuum…” ; comme si la force ajoutée au choc entendait installer par la pression formidable qu’elle impos[e] aux conditions courantes, y compris ce que Raimondo nomme “le continuum espace-temps”, des conditions nouvelles pour imposer sa métaphysique, – la métaphysique de force, comme nous l’avons identifiée… […]

» Il y a peut-être eu le percement furieux d’un “trou” dans ce qu’il reste d’ordre du monde, dans le “continuum espace-temps”, mais c’est pour laisser s’y glisser bien autre chose que l’accomplissement du triomphe du Système, ou du “déchaînement de la Matière” ; ce qui jaillit par ce “trou”, au contraire, ce sont les conditions générales de la crise ultime et d’effondrement du Système. […]

» Nous nous rapprochons du moment décisif où la rupture nous détachera de cette entreprise terrestre qu’a été jusqu’ici notre récit, entreprise terrestre par laquelle nous cherchons, nous, à percer notre trou dans le “continuum histoire-temps”, pour nous détacher des dernières influences du “déchaînement de la Matière” et enfin espérer embrasser l’entièreté sublime de l’intuition haute. Nous marchons comme des gueux affamés, comme des guerriers las des batailles terrestres et assoiffés de gloire céleste, comme des sages épuisés par ce temps de l’ignominie et guidés par l’antique sagesse. Nous sommes transis d’angoisse mais n’avons peur de rien, portant notre destin comme une croix et portant cette croix comme s’il s’agissait d’une plume... »

En conséquence de quoi rien n’est dit ni écrit que nous sachions nécessairement lire et entendre. Nous n’avons pas la maîtrise du monde. “Dans de telles circonstances et dans une telle période”, nous ne pouvons qu’assurer notre veille vigilante et observer le terrible spectacle du monde.