Le Times, Israël, l’Arabie et l’Iran

Bloc-Notes

   Forum

Il y a 4 commentaires associés à cet article. Vous pouvez les consulter et réagir à votre tour.

   Imprimer

 407

En quelques heures, un tour de passe-passe, ou une passe d’armes c’est selon, que nous tentons d’éclaircir plus bas, dans notre commentaire. Le Times de Londres publiait le 12 juin 2010 un article sensationnel où il était annoncé que l’Arabie Saoudite avait donné à Israël l’autorisation d’utiliser son espace aérien pour un raid éventuel contre l’Iran. La “révélation” était faite dans un style sérieux surtout remarquable par l’importance de l’article, par ailleurs, pourtant, comme une chose qui va de soi entre gens qui savent ce dont ils parlent, — dito, que l’Iran est évidemment le pays qui menace le reste du monde de l’apocalypse. L’“alliance” Israël-Arabie, comme dit l’une des “sources”, coule de source, – «We all know that»… Eh bien non, il n'est peut-être pas sûr que tout le monde “sache cela” et, surtout, que “cela” soit si évident.

«In the week that the UN Security Council imposed a new round of sanctions on Tehran, defence sources in the Gulf say that Riyadh has agreed to allow Israel to use a narrow corridor of its airspace in the north of the country to shorten the distance for a bombing run on Iran. To ensure the Israeli bombers pass unmolested, Riyadh has carried out tests to make certain its own jets are not scrambled and missile defence systems not activated. Once the Israelis are through, the kingdom’s air defences will return to full alert.

»“The Saudis have given their permission for the Israelis to pass over and they will look the other way,” said a US defence source in the area. “They have already done tests to make sure their own jets aren’t scrambled and no one gets shot down. This has all been done with the agreement of the [US] State Department.”

»Sources in Saudi Arabia say it is common knowledge within defence circles in the kingdom that an arrangement is in place if Israel decides to launch the raid. Despite the tension between the two governments, they share a mutual loathing of the regime in Tehran and a common fear of Iran’s nuclear ambitions. “We all know this. We will let them [the Israelis] through and see nothing,” said one.»

Quelques heures après cette publication sur le site du Times, donc avec une rapidité qui montre la sensibilité de l’affaire, un démenti était apporté par les Saoudiens. Haaretz, relayant le journal en langue arabe de Londres Asharq al-Awsat, publiait les termes de ce démenti sous forme d’une intervention d’une persdonnalité saoudienne (également le 12 juin 2010).

«Saudi Arabia would not allow Israeli bombers to pass through its airspace en route to a possible strike of Iran's nuclear facilities, a member of the Saudi royal family said Saturday, denying an earlier Times of London report. […]

«Prince Mohammed bin Nawaf, the Saudi envoy to the U.K. speaking to the London-based Arab daily Asharq al-Awsat, denied that report, saying such a move “would be against the policy adopted and followed by the Kingdom.”

»According to Asharq al-Awsat report, bin Nawaf reiterated the Saudi Arabia's rejection of any violation of its territories or airspace, adding that it would be “illogical to allow the Israeli occupying force, with whom Saudi Arabia has no relations whatsoever, to use its land and airspace.”»

Notre commentaire

@PAYANT Ce n’est pas la première fois qu’on annonce que l’Arabie laisserait passer l’aviation israélienne attaquant l’Iran, si le cas se présentait, mais cela, jusqu’ici, avait été fait avec discrétion, et n’avait amené aucun démenti structuré et catégorique, et encore moins, bien entendu, la moindre confirmation officielle. On était au stade de la “rumeur” qui ne présente pas un cas particulièrement important du point de vue de la communication par rapport à la diplomatie. La chose est écrite discrètement et n’engage rien ni personne. Le cas est ici notablement différent, toujours du point de vue de la communication qui joue un rôle substantiel dans la politique au Moyen-Orient.

• Le Times de Londres a fait un article conséquent sur la nouvelle, avec toutes les “garanties” de sérieux, ou d’apparence de sérieux qu’une construction virtualiste permet. Cet article n’a pas été retiré après le démenti saoudien, ce qui montre l’importance que lui accorde le Times. (Quant à la réalité de la chose, ce n’est vraiment pas le débat, – nous sommes entre gens sérieux…) Ce type de “canard” bien fricassé est la spécialité des désinformateurs type-neocon avec les relais de la presse Murdoch, tout cela conduisant effectivement au Times. Les liens avec Israël de tout ce monde-là ne sont plus à démontrer, tout juste à mentionner pour rappel.

• Le démenti saoudien est net, sans bavures, aussi rapide qu’un missile sol-air russe S-300 dont les Saoudiens sont en train d’être discrètement équipés… (Ce qui fait dire joliment à un expert militaire européen que les Saoudiens pourraient avoir les S-300 russes tant craints par les Israéliens et que les Iraniens n’auraient sans doute pas, pour servir de “dissuasion” contre une attaque israélienne.) Ce type de démenti saoudien est très inhabituel, car les Saoudiens ont toujours fait de la prudence et du profil bas le style favori de leur diplomatie.

De toutes ces données rapidement rassemblées, nous pourrions effectivement présenter quelques éléments de réflexion. Ils ont tous à voir avec les récents événements (l’affaire de la “flottille” de Gaza, la rôle de la Turquie, la conférence sur le traité de non-prolifération [NPT], l’accord Iran-Brésil-Turquie, les sanctions de l’ONU, etc.)

• Le premier point à noter est que la querelle d’Israël avec la Turquie pose un réel problème stratégique à Israël. En cas d’attaque en profondeur (éventuellement contre l’Iran), Israël a toujours compté sur l’espace aérien turc. Il n’en est bien entendu plus question. La nouvelle du Times, évidemment d’obédience israélienne, constitue une tentative très publicitaire, et cela très rapidement après l’affaire de la “flottille de la liberté” et la tension avec la Turquie, d’affirmation selon laquelle Israël dispose d’un substitut stratégique très coopératif, l’Arabie. Le message vaut également pour l’Iran, sinon principalement pour l’Iran. Mais que vaut le message ?, peut-on désormais se demander...

• La réaction saoudienne traduit un état d’esprit nouveau chez les Saoudiens. Des sources européennes nous rapportent, à partir de constats des diplomates européens en poste à Riyad, des observations extrêmement critiques des Saoudiens à l’encontre de la politique US, jusqu’à des interventions publiques de dirigeants de très haut niveau qui ne se dissimulent plus guère, «ce qui est complètement inhabituel par rapport aux habitudes saoudiennes». Les Saoudiens critiquent notamment avec la plus extrême fermeté l’attitude US qui a consisté, d’une part à signer le document final de la conférence du traité de non-prolifération nucléaire demandant l’établissement d’une zone dénucléarisée au Moyen-Orient, et d'autre part, deux jours plus tard, par la bouche même d’Hillary Clinton, de critiquer très vivement ce document. Cette contradiction publique US sur un sujet qui tient particulièrement à cœur aux Saoudiens, pour des raisons essentiellement d’opportunité électorale (geste à l’égard du lobby pro-israélien AIPAC et des fortunes juives US pour le soutien des candidats démocrates pour les élections de novembre prochain), a été particulièrement ressentie et critiquée en Arabie Saoudite, en même temps qu’une démonstration de l’extraordinaire inconsistance de la politique US. La question que se posent les Saoudiens est de savoir s’il existe encore une politique extérieure US sérieuse. Les Iraniens ont bien compris la situation, notamment l’évolution saoudienne, et la déclaration hier du président iranien Ahmadinejad selon laquelle Israël et les USA tentent d’opposer l’Arabie Saoudite et l’Iran est directement liée à cet échange entre le “canard” du Times et le démenti saoudien.

• La conclusion de tout cela est que, désormais, l’attitude de l’Arabie Saoudite dans les grandes questions en évolution rapide au Moyen-Orient, devient un facteur important. Et il va clairement contre le jeu US avec ses liens avec Israël.


Mis en ligne le 14 juin 20210 à 06H02

Donations

Nous avons récolté 1240 € sur 3000 €

faites un don