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602811 novembre 2018 – Je sais au moins un lecteur, très actif sur notre Forum et d’une façon très souvent inventive et intrigante, et qui a plus d’une fois évoqué le Tome-III de La Grâce de l’Histoire, demandant si l’on y trouverait telle précision, telle évolution, telle réponse à une question évoquée par l’Auteur-PhG. Cela suppose qu’il y aura un Tome-III et je lui suis extrêmement reconnaissant de sembler n’en pas douter un instant car j’avoue platement, et avec une honte que certains pourraient juger “prométhéenne”, qu’il m’arrive de connaître, la triste et angoissante pesanteur de l’incertitude à cet égard, – oh certes dans des moments plus dépressifs que d’autre.
Une certitude, par contre, est bien celle de savoir que je ne sais pas grand’chose de ce que sera ou serait ce Tome-III, s’il se fait. Je ne manque ni de matériels ni d’idées qui prétendent répondre à un rangement et à une logique, mais pour l’instant dans un certain chaos qui ne cesse de discréditer rangement et logique ; ce n’est pas pour me décourager pour autant car je sais que si je fais ce Tome-III (la seule question essentielle), les choses trouveront leur ordre en suivant la plume, – laquelle, je le soupçonne, sait déjà... Quoi qu’il en soit, qu’on se rassure pour ceux qui s’inquièteraient, les choses sont déjà en route. C’est à ce propos que je mets en page ci-après un extrait de ce qui est déjà fait, pour prouver ma bonne foi en quelque sorte...
Les choses ont étrangement évolué, par rapport à ce que je prévoyais grosso modo, et sachant que mes prédictions ne sont que poudre d’escampette. (La plume, vous dis-je, guide la main et oriente l’esprit : au moment crucial il n’y a qu’à suivre, c’est elle qui décide.) Actuellement, il y a donc l’introduction, qu’on a déjà vue (et qui est et sera revue/relue), et la Première Partie qui est quasiment terminée et en relecture, intensive selon les jours, un peu moins selon les autres. Le curieux est que je voulais commencer sur le langage et que je me suis retrouvé avec un travail partant de la conclusion du Tome-II et la développant de façon considérable pour en faire cette Première Partie/Tome-III ; le texte est certainement trois fois plus long et le sujet, très fortement développé, portant sur la Nostalgie et l’Éternité. Je pense que le sujet du langage viendra en Deuxième Partie, selon l’humeur et les plans de la plume, puis d’autres questions gigantesques comme celle de la matière (en fait “matière-Matière”), etc. Tout cela, supputations, sujet à tous les changements et bouleversements possibles.
(Parce que je me méfie des échéances et des promesses de Gascon, – surtout si le “Gascon” a 75 ans, – j’ai décidé de faire des publications intermédiaires, Partie par Partie, à mesure de leur fabrication et de leur inauguration. L’ensemble Introduction/Première Partie sera donc éditée en tant que tel.)
Voilà... En attendant, il m’a paru de bonne guerre qu’un extrait de cette Première Partie/Tome-III, portant évidemment sur Verdun qui est partie prenante de ma nostalgie et de la Nostalgie, de mon éternité et de l’Éternité, doive trouver ici sa place, en conclusion de cette série d’articles sur la Grande Guerre. Lisez cette pièce en songeant qu’elle s’imbrique dans un propos général et ne se comprend complètement, si c'est le cas, qu’en fonction du contexte ; qu’elle est soumise à d’ultimes relectures comme le reste, etc., – bref, avec toutes les restrictions possibles et votre indulgence là-dessus. Eh bien, bonne lecture tout de même.
PhG
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La forêt de Verdun, rescapée et renaissance de l’Holocauste du monde que fut la Grande Guerre, est une circonstance unique de la nature du monde, comme l’est l’univers de cette bataille, ses tombes et ses restes moussus d’édifice de béton et de ferrailles, ces vallonnements de trous d’obus radoucis par le temps et adoucis par la tendre nature qui s’est mise sur eux comme on prend un enfant mort-né dans ses bras. Je me suis souvenu de cette circonstance qui m’avait poussé à écrire un texte sur ma dernière visite là-bas, qui en témoignât dans mon souvenir ; il m’est alors aussitôt apparu qu’il importait comme un devoir sacré et comme une dette d’honneur d’en rapporter ici un peu de sa substance, qui contient les dernières images que je connus du champ de la bataille, “dernières” pour ce moment où j’écris ces lignes, pour l’heure du souvenir de l’an 2018, – et cela, sans prise en compte de l’effet catastrophique que la “modernisation” effectuée par les zombies-Système pour le centenaire de la bataille en 2016 a infligé au site. Je dois et je me dois de rapporter ce que fut notre dernière visite à ce lieu habité de la Grande Nostalgie de l’Histoire qui me fit la grâce de me suggérer, comme on vous frôle, la voie qui importe pour l’entrée dans l’éternité.
… Quelques années plus tôt, il se trouva évidemment qu’au début de ce mois-là, parce que c’était le mois de novembre et que novembre porte la lourde charge du souvenir de la Grande Guerre, nous fûmes quelques-uns à nous rendre une fois de plus à Verdun. C’était une visite qui mélangeait le souvenir commun et, je l’espère, dans tous les cas pour le souvenir de l’un qui était des nôtres lors de notre première fois à Verdun, l’initiation à une sacralité qui ne se découvre qu’à ceux qui ont appris à rechercher les dimensions cachées de l’univers. Il avait été prévu, l’année précédente, que nous nous y rendrions à la même époque de novembre 2011, pour saluer symboliquement, pour l’occasion du cinquième anniversaire, notre première visite ; le projet avait été contrarié, puis finalement, en septembre 2011, remis d’une année. Cette décision était tragiquement inspirée puisque la visite n’aurait pu avoir lieu dans tous les cas, pendant que l’un des nôtres, brutalement précipité en octobre dans la phase terminale d’une horrible maladie, s’éteignait très vite, en quelques semaines, pour nous quitter début décembre 2011. Ainsi la visite de novembre 2012 avait-elle une cause de plus, qui n’était pas des moindres, qui était de saluer une âme de plus, mise dans l’écrin tragique et apaisé du domaine de la bataille de Verdun. L’âme de notre ami traçait ainsi comme un lien entre notre petite équipée et le royaume des âmes perdues et retrouvées de la grande bataille que vous entendez murmurer et frémir lorsque vous allez à Verdun, qui chuchotent et qui bruissent comme le bois de l’étrave d’un navire caressant en les fendant avec la douceur d’une plume les flots nimbés de la lumière de toute éternité des étoiles ; vous savez, ces étoiles qui semblent ouvrir sur l’univers la voute de la nuit éclatante du monde…
Rassemblant tout cela à l’esprit, il me semble que c’est faire bon usage de ce passage, dans ce troisième Tome de La Grâce, que de rapporter les sentiments, les émotions et les réflexions qui ont marqué la chose, cette visite de novembre 2012. Il s’agit que nulle occasion ne vous échappe, où vous pourriez trouver une étincelle de plus, un diamant lumineux pour vous renforcer dans votre détermination de poursuivre cette quête d’éternité. Ainsi vais-je vous parler de ce que je sais et de ce que je ressentis, c’est-à-dire de ce que fut cette visite pour mon compte, sans que l’intervention n’engage en rien mes compagnons. (Peut-être même l’un ou l’autre sera-t-il surpris de telle ou impression, tel ou tel propos ; surpris peut-être, peiné je ne le crois pas…)
Voici ce qui s’est passé… Diverses circonstances, autant que mon goût, déjà naturellement disposé et grandissant irrésistiblement, pour le refus de tout contact avec la mécanisation diabolique de notre monde, c’est-à-dire avec les déplacements forcés et la mobilité forcenée des êtres enchaînés à la machine, dans des cadres dépendant effectivement d’un enfermement mécaniste du monde, dans cet épouvantable désordre de contraintes qui nous accable et que nous subissons, tout cela m’avait mis dans des dispositions agacées, sinon hostiles à ce voyage à Verdun, – bien que ce fût Verdun, c’est tout dire de mon humeur et des pressions qui s’exercent sur elle… La chose n’avait à voir qu’avec moi-même, entre un moi-même qui se rebellait contre cette sortie dans la mécanique monstrueuse de la mécanisation de ce monde qui broie l’esprit et brise l’âme de tant de chagrins, et l’autre moi-même qui désignait la reconnaissance et le salut au lieu sacré ; comme une sorte d’affrontement entre les deux êtres qu’on est, entre soi-même et le double de soi-même, sans qu’on sache dans telle ou telle circonstance quel “soi-même” n’est que le double de l’autre, pour se perdre dans une chimère d’un instant, comme si l’on se risquait à ébaucher un simulacre. Tous les “soi-même” que l’on déploie sont susceptibles de chuter et il faut savoir les retenir, et puis si, au contraire, le choix est bon, alors l’horizon s’illumine : il suffit de trancher... La chose fut tranchée, je crois, comme elle devait l’être.
Du séjour à Verdun, je ne dirai rien de linéaire selon la logique de l’observation, ni de vraiment littéraire comme le veut une démarche narrative de convention. Cette sorte de démarche n’a pas sa place pour cette sorte de séjour qui est toujours un mélange d’habitudes qui rassurent mais dont on attend peu, et de fulgurances qui, soudain, et l’on en mesure la sublimité plus tard, surviennent pour rompre le schéma convenu, pour vous enlever et vous élever, le temps d’un instant comme si l’instant pouvait être éternité, et faire par la grâce de cet instant-là l’ineffable grandeur de la chose.
Il s’agissait pourtant, pour moi, je m’en avise après coup, de quelque chose comme une mise en question qui avait une certaine gravité, et peut-être cela explique-t-il mieux encore mon conflit initial. Jusqu’alors, nos visites à Verdun contenaient, à côté de l’émotion très grande que nous eûmes la grâce de rencontrer, une dimension très contingente, avec des nécessités, – comment dirait-on : presque “opérationnelles”, c’est cela… Le projet du livre (Les Âmes de Verdun) et tout ce qui s’ensuivit formaient un cadre rassurant pour écarter les doutes qui vous assaillent parfois, à se demander si, en sacrifiant quelques instants de vie à une cause inexplorée et incertaine mais que l’on croit grandiose, l'on ne risque pas de se retrouver suspendu dans le vide de ce qui n’était finalement qu’une illusion. Pour mon compte, moi qui avais tant développé de visions et de perspectives à partir de Verdun, il y avait comme une crainte sourde qu’une sorte de “réalité apparente” du lieu, oubliant la vérité qu’il nous avait donnés par transcendance et intuition haute, me ramenât dans l’amertume des illusions perdues en instillant en moi ce doute inutilement pesant et retardataire. Je pense en effet que ces dons de la transcendance et de l’intuition haute ne sont jamais des choses assurées, qui vous reviennent nécessairement, comme on s’abonne, une fois qu’une rencontre a eu lieu où vous fûtes invités ; enfin, qu’il existe toujours disons des “rendez-vous manqués” parce que l’homme-sapiens ne peut prétendre en aucune certitude ni aucune garantie d’aucune sorte en ce qui le dépasse. Ainsi, au gré des souffles divers, se mélangent l’essentiel et le dérisoire, car cette sorte de crainte, même justifiée, n’en reste pas moins dérisoire…
Cette fois, qui était différente comme chaque occurrence l’est toujours, fit qu’en vérité et bien qu’on ne le réalisât pas aussitôt, Verdun qui nous était si connu, nous était également une terra incognita ; ce qui signifiait que l’ordre du monde que j’espérais tant était au rendez-vous comme s’il se fût agi d’une Vérité absolument nouvelle. Même ceux qui s’y étaient déjà rendus, et le sachant ou l’ignorant, y allaient à nouveau pour une initiation, je dirais une initiation toujours renouvelée…
(Dans cela, dans cette initiation renouvelée, tout compte fait des années plus tard, j’y vois un signe d’éternité. Transfiguré par cette idée venue de mon âme poétique, Verdun qui pouvait n’être qu’un souvenir retrouvé mais épars, nous revient éclatant de toute sa sublime lumière. Ainsi l’esprit avec son âme poétique reconnaît-il, comme des compagnes indicibles et sans égales, les âmes perdues et retrouvées de Verdun.)
Ici, enfin, je dois rompre le récit, le débarbouiller de ses incertitudes, de cette façon qu’a l’esprit, non pas tant de refuser l’obstacle mais de le discuter et de le discutailler, de le détailler, de le contester, de le mesurer, de le soupçonner, de le soupeser avec l’aide trompeuse du pour et du contre, le soutien simulacre de la logique… Je dois rompre car, enfin, il s’avère que la grande chose s’est accomplie, et cela passe tout, et cela intronise la gloire finalement redécouverte. La fusion magique du lieu et du monde, du souvenir et de l’émotion transcendée, de ce qui prétend rester dans la mémoire et de ce qui peut s’ouvrir et s’installer dans la tradition lorsque le temps a rendu son arrêt, – cette fusion s’est faite. L’Éternité est en place.
Notre séjour eut donc lieu sans circonstances particulières, en reconnaissance de lieux déjà connus, en retrouvailles de moments préservés par le temps ; sans précipitation, sans exclamation, le cœur apaisé et l’esprit reconnu ; un peu selon les normes, selon nos habitudes… Et puis il y eut tel et tel moments, des fulgurances comme je disais plus haut, qui nous assurèrent que nous nous trouvions là où l’on nous attendait. Il y eut cet instant, lorsque nous nous retrouvâmes, sur les ouvrages et les tourelles des restes du Fort de Douaumont, dans l’atmosphère humide mais d’une clarté rare jusqu’à la translucidité, d’une journée battue par les grands vents et les averses pressées d’un novembre profond et gros d’une renaissance, devant le spectacle de l’espace en-dessous de nous, par où l’envahisseur a coutume de se précipiter ; puis, nous tournant sur notre Ouest, et soudain contemplant ces déchirures franches et apaisées dans les nuages furieux, pour laisser percer la plus tragique et grandiose, la plus flamboyante fin du jour sur la terre du champ de bataille de Verdun, solitaire, humide, abandonnée et pourtant fermement rassemblée, haletante, et comme redressée soudain d’une vie étourdissante de rythme sous ce dernier et superbe rayon du soleil, cet éclair de feu, cette flamme ultime qui ne faiblit jamais et qui se moque du vent tout en étant sa complice.
Le lendemain au soir, veille de notre départ, le brouillard se posa sur Verdun, comme une plume caressante, comme le frôlement d’un rêve chuchotant, comme le chant lointain et silencieux de l’âme poétique. Les quais de la Meuse étaient à la fois fantomatiques et féériques, le cours puissant du fleuve chuintant sans un bruit dans l’atmosphère suspendue. Le brouillard persista et, le lendemain d'après, saluant pour notre départ le grand champ de la bataille, nous le trouvâmes dans cet écrin du camaïeu des gris incertains, dans ce clair-obscur de la nature du monde et de l’automne de notre destin, à la fois silencieux, solennel, assuré du temps et de sa durée, devant le grand champ de ses tombes alignées, sous le regard énigmatique de la tour de l’Ossuaire dont on perdait les dédales dans ce même brouillard fermant ainsi le tableau dont il était le maître d’œuvre. Il me semble que l’instant convenait à la circonstance et que notre salut fut, à cet instant, parfaitement celui qui convenait. Le champ de la bataille nous parla de sa voix grave et chuchotant et il nous dit que nous reviendrions, au terme de longues batailles qui nous attendent encore, car l’on revient toujours dans l’éternité de Verdun.
Dans ce qu’il nous reste, de cette visite et de nous-mêmes, là se trouve l’essentiel pour ce propos. Je crois qu’une telle visite, dans de telles conditions, portait effectivement l’enjeu entre, d’une part, l’éphémère, même de la qualité la plus haute, qui fixe vos souvenirs en-dedans de vous-même, dans un passé qui n’est vôtre que dans une sorte de réduction progressive, même s’il est avantageux, jusqu’au risque de la dissolution ; et, d’autre part, la pérennité qui vous assure vous-même comme elle assure la destinée du monde, et vous assure du contraire, – que le passé du monde est bien le vôtre également, où vous avez votre place dans le chant collectif, grâce aux images fulgurantes qui enflamme votre âme poétique de l’enchantement de la Nostalgie. Nous sommes allés à Verdun et, là-bas, le champ de la bataille, et aussi les âmes qui s’y reposent, et en plus l’âme de notre ami disparu, nous ont chuchotés que le temps-courant pour devenir le Temps peut, non pas être vaincu comme s’il était un ennemi, ni être apprivoisé comme s’il était un sauvage, mais être honoré et convaincu de nous accueillir en son sein quand on le reconnaît comme le rythme qui compose la perspective d’une certaine éternité et de l’Éternité dans sa certitude. Désormais, Verdun est entré dans notre tradition, cette chose qui veut bien sembler être du passé pour satisfaire nos vanités présentes, parce qu’elle sait que le passé est une accolade fraternelle faite à l’Éternité, pour l’assurer de sa fidélité sans fin.
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