Le traité qui tombe à pic

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Le traité qui tombe à pic


22 janvier 2003 — Étrange anniversaire, le 40e de ce Traité de l’Élysée qui consacrait à la fois les ambitions franco-allemandes (européennes) de De Gaulle, et ses illusions allemandes (de Gaulle avait cru que Adenauer pourrait effectivement imposer une politique européenne de l’Allemagne) ; étrange anniversaire car, dès la signature du Traité, les uns et les autres, et de Gaulle encore plus que les autres, n’ignoraient pas que le Traité ne pourrait effectivement pas donner ce qu’on en attendait.

D’une certaine façon, le retournement des choses est stupéfiant.

Aujourd’hui, la France est engagée dans une partie avec l’Amérique qui risque de devenir d’une incroyable férocité. La surprise de cette fatalité diplomatique de l’affrontement transatlantique est que la France ait réussi, pour l’heure, à s’adjoindre le poids de l’Allemagne. La “réconciliation” franco-allemande (la nième du genre mais celle-là importe), célébrée à l’ombre du Traité de 1963 sollicité pour la cause, tombe à pic. Elle est pleine de sous-entendus, de non-dits, de pensées cachées, — mais qu’importe, car voilà l’essentiel  : au fond, elle reste débarrassée de toute illusion. C’est une sorte de donnant-donnant un peu cynique et, de toutes les façons, contraint.

• La France couvre la “dissidence” allemande (dissidence de l’alignement pro-US, s’entend, la plus grave de tous), — dissidence contrainte et forcée depuis l’élection in extremis de Schroëder, à l’été 2002.

<195 Schröder, obligé à l’intransigeance par son opinion publique, s’est trouvé conforté dans sa position radicale par une diplomatie US exigeant des gages allemands frisant l’humiliation pour une réconciliation qui passerait sur l’opposition allemande à la guerre. Au fond, il y a une union de ces deux extrêmes, l’opinion publique allemande et la diplomatie-matraque de GW, pour mettre Schröder “dans la boîte” et le coincer en position d‘opposition. Cette solitude du “mauvais élève de l’OTAN”, selon la terminologie de la propagande des chroniqueurs qui relaient les thèses de Washington, est brutalement dissipée, ou mieux, brutalement contrecarrée, par le rapprochement avec la France.

• Les Français ont tout intérêt à ce rapprochement. Les Allemands donnent du poids à leur diplomatie de voltigeur français et, surtout, un label européen bien utile dans ces temps de bataille onusienne.

• Le calendrier, sinon le Ciel, est avec eux : la France préside le Conseil de Sécurité en janvier, l’Allemagne en février.

• Dans l’association, c’est la France qui a le dessus, à cause de sa position nationale, aujourd’hui beaucoup plus forte que celle de l’Allemagne ; à cause de sa position dans le domaine de la sécurité et de l’indépendance, également supérieure à n’importe quelle autre en Europe ; enfin, à cause de sa position de membre permanent du Conseil à l’ONU. Par conséquent la politique qui se dégage de l’association est celle du volontarisme européen en faveur de l’autonomie politique.

La célébration du 40è anniversaire du Traité couronne tout cela en scellant solennellement l’alliance retrouvée, — dont tout le monde comprend qu’elle est de circonstance mais rien ne rapproche plus que des circonstances qui sont des intérêts communs. Les sondages verrouillent  : 83% des Français et 79% des Allemands contre la guerre dans tous les cas, 75% des Français pour l’emploi du veto par leur gouvernement pour bloquer une résolution bénissant une guerre US. Un score de boeuf, qui rend très difficile, pour chacun des partenaires, une retraite sous la contrainte qui semblerait une déroute.

D’autre part, cette alliance franco-allemande élargit dramatiquement le champ de l’action à l’ONU. Ce n’est plus comme des politiques nationales mais comme une quasi-“politique européenne” que seront perçues les politiques allemande et française. Le champ du débat ONU-Irak devient également européen, dans des conditions dramatiques : les Franco-Allemands développant une quasi-politique commune ; les Britanniques isolés et brusquement affolés à la perspective d’une guerre qui pourrait les isoler encore plus radicalement en Europe sans leur garantir ni un succès, ni un statut renforcée ailleurs, — perdants sur les deux tableaux. Les autres pays européens de moins en moins laissés libres de ne pas choisir ou de choisir par défaut, ou par alignement ; désormais placés devant une alternative précise, bien réelle, entre une politique d’alignement sur les USA et une politique quasiment européenne.

Inutile de se demander jusqu’où tout cela peut aller dans les positions actuelles, car nul ne peut prétendre maîtriser tous les facteurs en jeu dans cette partie pour rassembler une hypothèse de réponse cohérente à une telle question. On doit observer que plus le temps avance, plus les radicalisme antagonistes s’accentuent, plus il devient difficile de rompre les engagements nouveaux, plus la tension transatlantique se politise ...