Il y a 6 commentaires associés à cet article. Vous pouvez les consulter et réagir à votre tour.
1765Merci de prendre des nouvelles, puisqu’en effet toute la flotte des F-22 de l’USAF continue à être interdite de vol (depuis le 3 mai). Le cas constitue désormais un record de durée dans l’histoire militaire des Etats-Unis, pour l’interdiction de vol d’un type d’appareil, et encore bien plus significatif, d’un appareil reconnu d’une importance stratégique essentielle dans le dispositif de sécurité nationale des forces armées. La durée de l’interdiction de toute la flotte de F-22 dépasse désormais le fameux incident des années 1957-1958 affectant le bombardier B-47 StratoJet à capacités nucléaires, du SAC. (Une faiblesse structurelle très grave à l’emplanture de l’aile fut découverte sur l’avion, ce qui conduisit à l’interdiction de vol de toute la flotte de ce bombardier durant un peu plus de deux mois, – jusqu’à l’identification et l’évaluation du problème, puis la possibilité admise pour le reste de la flotte de voler en attendant les modification apportées à mesure sur un groupe après l’autre ; ces modifications faites, les B-47 rénovés retrouvaient le service opérationnel tandis que d’autres étaient immobilisés à leur tour.)
Le F-22 est toujours cloué au sol et c’est comme si une situation quasiment structurelle s’installait. L’USAF est extraordinairement discrète sur la question, – son aspect technique et les dispositions chronologiques (possibilité de reprise des vols). Deux nouvelles valent d’être citées concernant ce cas extraordinaire, qui a autant une valeur circonstancielle qu’une valeur conjoncturelle, concernant les capacités réelles et possibles des avions aux technologies très avancées, et entièrement structurés par le contrôle électronique et informatique ; et même, qui a une valeur exemplaire pour quelques questions fondamentales concernant l’usage des technologies.
• La première nouvelle vient de Bill Sweetman, sur le site AviationWeek.com, le 18 juillet 2011. Sweetman examine la question de la “panne” (système à oxygène pour le pilote, ou Obogs pour onboard oxygen-generation system) qui aurait été identifiée ; pour aussitôt observer que la “panne” n’a en fait pas été “clairement identifiée” («The U.S. Air Force’s F-22 fighter remains subject to the longest full-force grounding of any combat aircraft in recent history, with no cause firmly identified»). C’est cette “panne” qui aurait été la cause de la perte d’un F-22 et de son pilote le 16 novembre 2010 en Alaska, – quoique l’USAF reste particulièrement discrète sur ce cas («The response to the question, “Has a cause been positively identified?” is, “The investigation is still ongoing”»). Sweetman a trouvé quelques indications assez imprécises et incertaines sur ce que pourrait être la “panne” («According to a source familiar with some aspects of the investigation, Honeywell participants in the investigation believe the problem does not lie with the Obogs alone…»). Sweetman note que, comme on le sait, cette panne se retrouve sur d’autres avions en service, mais il semble ajouter qu’elle est plus grave pour le F-22 (et pour le F-35, by the way, – lorsqu’elle interviendra ?), – et cela, pour une cause assez étrange… : «A complicating factor, one observer suggests, could be the fact that the F-22 (and F-35) Obogs are “relatively simple” systems…» Suivent de longues explications concernant le F/A-18C/D Super Hornet, qui utilise le système Obogs, qui connaît également des problèmes, mais qui n’a, lui, jamais été interdit de vol.
• Un article de Hugh Lessig, du Daily Press, en Virginie, daté du 19 juillet 2011 ; il s’agit d’un reportage sur la base de Langley (Virginie), qui abrite le 1st Tactical Fighter Group, qui devient un centre d’accueil pour pilotes de F-22 désœuvrés, venus de diverses unités et diverses bases. Il s’est organisé à Langley une sorte de centre d’entretien théorique de vol, par le biais de simulateurs de vol, avec divers programmes d’entretien technique, psychologique et physique pour les pilotes (beaucoup de gym, pour la forme). Les mécaniciens sont également là, qui perfectionnent leur capacités d’entretien et de logistique. Il arrive qu’on fasse rouler des F-22, moteurs allumés, sur la piste (le pilote peut fermer les yeux et s’imaginer qu’il effectue une mission de combat). Nous avons subrepticement souligné de gras deux précisions dites accessoirement dans l’article, qui peuvent s’avérer précieuses.
«Raptor pilots at Langley are not exactly twiddling their thumbs waiting for the all-clear. They've ramped up training in a high-tech simulator and are spending more time in the classroom. Maintenance crews are handling more ambitious projects work they could never do during the normal flight cycle.
»And time in the gym? It's on the rise. Fighter pilots are not exactly low-energy individuals. “The guys are getting antsy,” said Lt. Col. Jason Hinds, director of operations for the 27th Fighter Squadron.
»The F-22 simulator at Langley has become a popular place – not just with Langley pilots, but throughout the Air Force. It is only one of two F-22 simulators in the service; the other is at Tyndall Air Force Base in Florida. Since the stand down, pilots from Hawaii, New Mexico and elsewhere have come to Langley to train, said Capt. Travis Passey, training flight commander in the Operational Support Squadron. This past week, pilots from Alaska were at the base. “For the next three months, we've got people booked to come here to operate in our simulators,” Passey said. […]
«“The risk isn't there,” said Lt. Col. Pete Fesler, commander of the 27th Fighter Squadron. “That risk equates to stress. You can't really hit the ground in a simulator. Obviously, you can in a real airplane, so you tend to take risks that are a little bit higher when you fly the simulator because there's no threat to you or the airplane.” But it does help, the pilots say, as does increased classroom time. Pilots are going through weapons and tactics briefings and receiving intelligence updates on relevant situations from around the world, said Hinds.
»“We're keeping our brains engaged with the ... numbers they have memorized,” Hinds said. “I guarantee you, these guys can tell you everything about the Raptor and everything about the primary-threat airplanes we fly against.”
»Langley also plans to ramp up activity on its flight line in the near future. They will prepare the Raptor as if to fly. Pilots will don their equipment. Traffic controllers and weather forecasters will do their jobs. Then the Raptor will taxi to the end of the runway and return. That doesn't sound like much, but that short trip will enable the pilots and maintenance crews to get a lot more data about the condition of the airplane, and fix potential problems. Fesler said Langley should emerge from the stand down – whenever that is – with a stronger maintenance capability. […]
»…And while they're anxious to return to the sky, the pilots will do it step by step, gradually increasing activity and the complexity of their missions. Residents of Hampton shouldn't expect crowded skies right away.»
La précision que le programme de simulateurs de vol est déjà “surbooké” pour les trois prochains mois, avec des pilotes de F-22 venus d’un peu partout, signifie-t-elle qu’on ne prévoit pas la reprise des vols avant trois mois au mieux ? L’idée n’est certainement pas démentie par la dernière phrase citée (“Les résidents de Hampton ne devraient pas attendre des cieux encombrés [de F-22] pour tout de suite”) ; alors que la phrase précédente, dans le paragraphe, laisse l'impression étrange de pilotes de F-22 qui devraient se préparer longuement avant de reprendre les vols, peu à peu, à partir du moment où l'interdiction de vol serait levée, – et cela, comme s’il s’agissait d’un tout nouvel avion alors qu’il est en service depuis 4 à 5 ans. Ce reportage épaissit le mystère plutôt qu’il ne l’éclaire, et donne l’impression qu’on s’installe pour longtemps dans une situation où les F-22 ne voleront pas.
Les précisions données par Sweetman ne sont pas plus rassurantes, avec toujours la même question de savoir pourquoi le F-22 est interdit de vol pour des problèmes qui existent pour d’autres modèles d’avion, qui, eux, n’ont jamais été interdits de vol. On ne peut s’empêcher d’évoquer l’hypothèse selon laquelle une panne donnée dans un type d’avion moins avancé, devient une panne insupportable pour le F-22, qui conduit à son interdiction de vol… Or, comme le système Obogs du type employé connaît des problèmes depuis l’origine, c’est-à-dire depuis au moins 2000 pour le Super Hornet, on voit sur quelle terra incognita l’on s’engage.
Le sort actuel du F-22, sans précédent dans l’histoire de l’aviation militaire, conduit à s’interroger sur l’“opérationnalité” fondamentale de cette classe d’appareils développés par les USA, où l’habillage électronique et informatique semble avoir franchi le pas d’un contrôle complet, qui commande à tous les caractères de l’avion, à l’avion lui-même. Il est ainsi possible qu’on se trouve au seuil d’une situation générale où l’utilisation des technologies, avec leur importance, leur place, leur situation dans la chaîne de contrôle, constitue potentiellement un obstacle insupportable dans la mesure où elle prive les utilisateurs (sapiens) de la maîtrise du système. (L’on sait, bien entendu, que ce ne sont pas les premiers problèmes “mystérieux” que rencontre le F-22 ; l’on sait que le F-35, logé à la même enseigne en pire, en a connu d’équivalents et il devrait en connaître de plus en plus.) Si l’on ajoute à cette possible perspective relevant du problème fondamental du blocage du progrès technologique par transformation substantielle de ce progrès, la crainte absolument panique de l’USAF de prendre le moindre risque, aboutissant à la possible perte de l’un ou l’autre appareil, on a une idée assez étonnante de la situation où se trouve aujourd’hui la flotte de l’avion de combat le plus avancé du monde. In illo tempore, les problèmes d’un système d’arme, type avion de combat avancé, se manifestaient lors des tests de mise au point, et l’entrée en service marquait le moment où ces problèmes avaient disparu, ou bien étaient maîtrisés et s’atténuaient rapidement jusqu’à disparaître (sauf accident exceptionnel et d’ailleurs précisément identifié et compréhensible, comme celui du B-47). Avec cette nouvelle génération de “monstres technologiques” fort proches de l’incontrôlabilité, il y a toujours les problèmes de mise au point, plus nombreux qu’à l’ordinaire, tandis que l’entrée en service signale l’apparition de nouveaux problèmes qui, eux, semblent proches d’être insolubles, – et même, peut-être, le sont. La “bête” a pris son sort en mains…
Mis en ligne le 20 juillet 2011 à 17H09
Forum — Charger les commentaires