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13 mars 2007 — Tony Blair, le glorieux ancien qui prépare sa retraite, fait face à ce que nos amis commentateurs nomment “un vote crucial”. Le sujet est nucléaire, et plus précisément il se nomme Trident : faut-il soutenir les projets du gouvernement de remplacer les missiles SLBM (missiles nucléaires stratégiques embarqués à bord de sous-marins) Trident, qui forment l’essentiel de la force de frappe nucléaire (britannique, selon l’appréciation officielle)? “Vote crucial” demain.
La révolte gronde, dit-on, et telle que la rapporte la presse britannique. The Independent nous dit aujourd’hui que la panique parcourt les rangs des stratèges de la dignité travailliste, d’avoir éventuellement à s’appuyer sur les conservateurs pour gagner leur vote demain.
«Government whips have mobilised to stop more Labour MPs joining the revolt against the replacement of the £65bn Trident missile system — after the Deputy Leader of the Commons announced yesterday he was quitting in protest.
»Nigel Griffiths, a long-term ally of Gordon Brown, said he was resigning “with a heavy heart but a clear conscience”. Meanwhile, whips were urgently calling in Labour MPs and warning them not to allow Tony Blair to be humiliated by having to depend on the Tories to win a vote tomorrow.
»One senior minister said: “We don't want to go into the next election with the Tories saying that we owe our security to them.”
»But the rebellion was growing last night after former health secretary Frank Dobson and former transport minister Gavin Strang tabled an amendment saying they believe the case for replacing Trident “is not yet proven and remains unconvinced of the need for an early decision”. Organisers claimed last night that Charles Clarke, the former home secretary, could become the most senior Labour rebel.»
Là-dessus, on ajoutera le fait que l’affaire Trident est également en train de devenir une “cause célèbre” (expression souvent employée par les Britanniques en français dans le texte), — une sorte d’affaire Dreyfus pour des célébrités britanniques non politiques : «A group of celebrities will lobby MPs to hold firm in the vote tomorrow. They include the singer Annie Lennox, fashion designer Vivienne Westwood, Sir Richard Jolly, the former assistant secretary general of the UN, and Bianca Jagger.»
Enfin, triste cerise sur le gâteau, il y a la précision que tout ce brouhaha a été lancé par Tony Blair lui-même, ego te absolvo. Il s’agit de son besoin absolument vital d’un legs (souligné en gras by ourselves) qu’il laisserait aux générations futures pour que subsiste, vivace, la mémoire de sa dignité et de son honneur : «David Cameron, the Tory leader, has ordered his MPs to vote for the Trident replacement but some Tories accused Tony Blair of rushing the decision to complete his legacy. Many MPs who support nuclear weapons are opposed to Trident on the grounds of its cost and argue that it is outdated by the end of the Cold War.»
Effectivement, précise The Financial Times, les travaillistes pourraient bien connaître cette humiliation suprême, — autant pour le legs de TB, — de devoir s’appuyer sur les conservateurs : «Senior Labour figures predicted that about 80 of the party's MPs were likely to rebel in tomorrow's vote, leaving the government dependent on support from David Cameron's Conservative party to steer the proposals through the Commons.»
On pourrait se demander pourquoi mais on aurait tort : le Trident et la force nucléaire restent le dernier complexe béant de Tony Blair. Le Labour vieille formule avait refusé le Trident première génération dans les années 1980 et s’était battu ferme contre Thatcher. C’était une survivance du côté pacifiste des travaillistes traditionnels. Sans doute est-ce ce que Tony Blair ne supporte pas : devoir encore porter le fardeau d’une survivance d’une tradition, — et encore plus, une tradition de gauche, — et encore plus, une tradition de pacifisme ! Pour Blair, c’est l’“horreur stratégique et morale” absolue. D’où son sentiment d’“humiliation”, non pas de risquer de perdre le vote mais de devoir éventuellement faire appel aux conservateurs. (Il l’a déjà fait précédemment, sans état d’âme ; cette fois, l’état de l’âme est là, ce qui montre que la chose est grave de voir son parti ne pas suivre aveuglément ses consignes.)
L’explication perso est toute simple. Tony Blair a montré qu’il était un homme, un vrai, un guerrier, avec des “cojones”. Avoir à supporter le spectacle de ces poules mouillées travaillistes et, pour s’en sortir, faire appel aux conservateurs, voilà l’humiliation.
Ce petit a parte personnel, sur TB, n’a d’autre but que de nous mener au grand débat qu’on effleure ici. Car, enfin, l’enjeu du débat c’est le Trident et la force nucléaire, et l’on sait ce que cela veut dire au Royaume-Uni. Mais sait-on bien ce que cela veut dire?
On rappellera un petit texte, parmi d’autres, que nous mîmes en ligne, le 7 novembre 2005. Nos lecteurs reliront, s’ils en ont le goût, notre rapide commentaire d’introduction. Nous nous contentons de reproduire les quatre derniers paragraphes, eux-mêmes extraits d’un excellent texte de The Independent de ce même jour. Ils situent l’enjeu. Mais en fait d’enjeu, on dira qu’il se résume à cette interprétation que le fameux “wait and see” britannique s’applique aujourd’hui exclusivement à ceci : que vont faire les Américains, pour que nous puissions faire idem… le “then copy it” de la fin du texte vaut son pesant d’or.
«At least decisions will be made relatively publicly this time: Trident was commissioned in secret, as a replacement for Polaris. Two other factors have also changed since 1980. The British government, influenced by America, has dropped its long-held policy of never striking first. And the myth of Britain having an independent nuclear deterrent has been exposed.
»The myth was built on memories of Britain standing alone against the enemy in 1940. But that could only be repeated if the UK fell out with the USA — and if such a thing happened, America could shut down the British Trident force within 18 months, simply by refusing to co-operate.
»The blueprints, engines, fuel and guidance systems are American. Lockheed-Martin, a US corporation, is one of the three companies managing Aldermaston. Washington knows where that elusive British submarine on patrol today is hiding, and where it's going. The missiles can't be fired without information from American satellites.
»So MPs can rage all they like about not getting a vote, and the Prime Minister can warm his hands on Britain's apparent status as a nuclear power, but when it comes to replacing Trident, whatever the cost, one outcome is more likely than anything else: we will wait and see what America does. Then copy it.»
Par conséquent, les “cojones” du Premier ministre britannique ne concernent pas vraiment ce qu’on nomme l’indépendance nationale, ou bien la souveraineté, ou encore l’identité de la nation. Elles concernent la posture et rien que cela : “avoir l’air de” : il aimerait avoir l’air de celui qui a pérennisé une force nucléaire stratégique dont nul n’ignore qu’elle n’est qu’un “village Potemkine” de plus, — mais très coûteux celui-là. Débat clos, passons outre.
L’essentiel, pour nous, est ceci : faites une comparaison entre les Britanniques et la France, sur cette question du nucléaire. La comparaison est acceptable et de saison puisque, de l’autre côté de la Manche on est en campagne présidentielle et qu’on ressort les sujets importants de la naphtaline. Les constats sont les suivants :
• Garde à vous général en France. La force nucléaire est le fondement, non pas tant de la puissance de la France, mais plus simplement de sa nécessité en tant que nation, de son identité. Le résultat est qu’il ne vient à personne, à aucun candidat sérieux, à aucun parti, sérieux ou pas, l’idée même de contester la force nucléaire (y compris sa modernisation, son adaptation, etc.)
• Au Royaume-Uni, c’est le chaos, la contestation, la mauvaise humeur. Deux raisons principales. D’une part, des interrogations sur le rapport coût/nécessité du successeur du Trident par rapport à la situation opérationnelle ; d’autre part, l’évidence non dite mais dans tous les esprits que cette dissuasion ne représente rien de vital du point de vue britannique per se, puisque tout à cet égard, pour le Trident actuel et pour son successeur, dépend des Américains.
Démonstration rapidement faite : la valeur essentielle du nucléaire, sa contribution décisive à la puissance d’une nation, reposent sur sa contribution décisive à l’indépendance et à la souveraineté nationales. Selon la façon dont ce point est tranché, on trouve la réponse à la question de l’utilité opérationnelle fondamentale du nucléaire et sa participation, également fondamentale, à la sécurité de la nation. Si l’indépendance et la souveraineté nationales en sont la source, le nucléaire joue effectivement ce rôle dont l’importance est tout simplement impérative. Il est au-delà de toute contestation sérieuse. Dans le cas inverse, il est l’objet justifié de toutes les critiques, jusqu’aux plus banales et aux plus délétères. Le nucléaire est donc, dans le domaine de la sécurité nationale et de la politique active, quelque chose comme “peu de choses” s’il n’est soutenu par la souveraineté et s’il n’est un facteur dynamique de définition de l’identité nationale.