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40725 mars 2008 — Pourquoi mettre Sarkozy et Berlusconi en parallèle? Nullement pour des raisons politiques qui supposeraient une substance de la même sorte comme tant de commentateurs un peu pressés sont tentés de le faire, pour la simple raisons qu’on ne peut définir ces deux dirigeants exemplaires du courant postmoderne par une substance politique, même commune, dont ils sont dépourvus. Leur nature a horreur de la substance, par conséquent de la substance politique. Nous les mettons en parallèle et en équivalence mais pour des causes paradoxales qui n’ont rien à voir avec la soi-disant “orientation politique”.
Dans deux articles publiés ce même jour, les deux hommes sont présentés, dans des situations différentes, avec leurs destins politiques (cette fois, le qualificatif est justifié puisqu’il s’applique à “destins”) liés à des causes différentes mais qui ont comme point commun d’être dans leur rapport avec les deux hommes complètement accessoires et paradoxales par rapport à ce qui est la substance d’un destin politique. Il faut aussitôt préciser avec force qu’il s’agit bien du rapport qui est accessoire et paradoxal, et non les causes elles-mêmes, qui sont au contraire indirectement ou directement très substantielles, et par conséquent tragiques.
• Pour Sarkozy, il s’agit d’un commentaire du Guardian, choisi évidemment comme significatif d’une énorme polémique qui a fait s’effondrer ce président dans les sondages avec une maestria jamais vue dans l’histoire de la statistique politique. L’article de ce jour fait des gorges chaudes du principal souci de Sarko arrivant à Londres : comment se tenir, comment s’habiller, Ray Ban ou pas ?Rolex ou pas ?
«A solitary light is likely to burn deep into the early hours of tomorrow morning in a room at the Elysée palace while its occupant paces back and forth among the fine furniture, brow furrowed and a film of sweat on his palms.
»Yes, the financial markets are in a mess and yes, maybe France's Afghanistan troop deployment could be increased. But Nicolas Sarkozy's biggest worry on the eve of his first state visit to England may well be a little more humdrum: what on earth am I going to wear?
»Perhaps he will sneak another glance at the Rolexes that sit in a sad pile on the bedside table. Perhaps he will again ask a glaring Carla why he's allowed to take only two pairs of Ray-Bans with him. Perhaps not. Although the French president will be embarking on the briefest of tours – he will be in the country for less than 48 hours - his trip, his clothes, his language and his conduct will all be subjected to fierce scrutiny on the other side of la Manche.
»And while the French press will focus on Sarkozy's behaviour when he meets Gordon Brown and the Queen, the British tabloids (and maybe the odd broadsheet) will busy themselves trying to pass off their quiet drools over his third wife, former supermodel and singer Carla Bruni-Sarkozy, as news.
»Despite its brevity, Sarkozy's visit is hugely important both at home and abroad. Since his election last May, France has begun to discern a decidedly vulgar streak in its “bling-bling président”, who has broken with French political tradition by keeping his private life public and building bridges with the US and Britain.»
• Berlusconi, lui, a le vent en poupe pour peut-être gagner les élections la semaine prochaine. Une des raisons de l’éventuelle fortune politique de ce personnage absolument sans aucune substance politique, c’est, selon les politilogues, l’effrayant pessimisme qui a frappé la jeuesse italienne. Il s’ensuit qu’elle est prête à soutenir Berlusconi plutôt que de voter à gauche, comme elle fait habituellement; cela implique évidemment que ce pesssimisme ne peut être qualifié que de “nihilisme”. L’incomparable optimiste “bling-bling” de l’ancien et peut-être futur nouveau Premier ministre italien pourrait donc trouver son apothéose temporaire grâce au pessimisme-nihilisme triomphant. Il y a de la logique autant que de l’ironie macabre dans cette épouvantable perspective.
C’est The Independent qui, aujourd’hui, fait un rapport sur cette situation étrange.
«The youth of Italy are increasingly gloomy about the future, according to a newspaper poll, and their despondency is helping Silvio Berlusconi consolidate his grip on the general election, due in less than three weeks.
»The election slogan of the People of Freedom, the media magnate's coalition, is “Rise Again, Italy!”, but a poll published by La Repubblica newspaper over the weekend indicates that it is dismal expectations rather than optimistic hopes that are driving voters under 30 into his camp.
»Mr Berlusconi has maintained a steady lead of seven per cent or more over his centre-left rival, the outgoing Mayor of Rome Walter Veltroni, the head of his new Democratic Party.
»Mr Berlusconi stormed to victory in 2001 with the promise of doing for Italy what he had already done for himself, ushering in a new economic miracle like that which transformed the country in the 1950s and 1960s, when he was making his way as a brash property developer. But his five years in power, the first full term in Italy's post-war history, failed to bring the vaunted revolution. The inconsequential wrangling that marked Romano Prodi's 20 months in power after this only deepened the nation's mood of dismay. And now the man they call “il Cavalieri” (“the Knight”) seems set to reap the reward.
»Two years ago, 43 per cent of Italians aged 18 to 29 sounded out by the DemosΠ polling company agreed that the social position of the young was likely to deteriorate. Today that figure has jumped to 58 per cent. The average response of all polled from 18 upwards was even starker, with 63 per cent saying things were getting worse, compared with 49 per cent in 2006.
»The result, according to the pollster Ilvo Diamanti, has been an important shift in voting tendencies. “In the Nineties the youth vote shifted decisively to the left,” he wrote. “Today, on the eve of the election, we are seeing a substantial realignment.” And that's to the advantage of Mr Berlusconi's People of Freedom.»
Reprenons cette idée que nous exprimions plus haut: “il s’agit bien du rapport qui est accessoire et paradoxal, et non les causes elles-mêmes, qui sont au contraire indirectement ou directement très substantielles, et par conséquent tragiques.” Effectivement, la volonté de voir un président avoir une représentation, un comportement et une apparence qui soient à la hauteur de sa fonction ou le constat du pessimisme quasi-nihiliste de la jeunesse d’un pays comme l’Italie ne sont pas des faits accessoires; quant à juger qu’ils sont paradoxaux, on dirait plutôt le contraire tant ils s’inscrivent dans la logique d’une civilisation en voie d’effondrement, d’abord par sa substance morale et son rapport au réel.
Il se déduit de ces remarques que les éléments les plus déstabilisants pour ces rapports décrits comme accessoires et paradoxaux se trouvent du côté des hommes politiques eux-mêmes. Ce qui est en cause est leur complète inconscience de la réalité, plutôt que leur mépris pour celle-ci. Il serait erroné à notre sens de se lancer dans l’habituelle quête au machiavélisme de personnages qui ont largement montré qu’ils n’avaient pas la dimension intellectuelle pour cette sorte d’entreprise. Au contraire, cette sorte d’hommes politiques, qui s’inscrit dans une “tradition” (mot étrange dans ce cas...) postmoderniste, asseoit son action sur une conviction sans faille qui implique une absence de machiavélisme. Sa force se trouve dans sa capacité d’action forcenée, dans le fait même de l’action; et cette force se nourrit à une conviction intellectuelle primaire qui fait écarter le doute, l’interrogation, la spéculation. En général, ces hommes politiques sont heureux comme seul peut l’être l’homme qui ne doute pas parce qu’il ne s’interroge pas. Leur conviction se résume à la croyance sans faille de la réalité virtualiste qui est fabriquée pour justifier leurs prétentions.
Sarkozy a donc accepté la “narrative” selon laquelle il est l’homme des réformes, et il a commencé par le plus évident: réformer l’apparat de sa fonction en adaptant la fonction à lui; “adapter la fonction à lui”, l’homme des réformes, c’est évidemment réformer la fonction; c’est-à-dire, vu ce qu’on sait de l’homme, la “banaliser”, et nécessairement d’une manière clinquante, voyante, joliment dite “bling-bling”. Il n’a pu concevoir l’idée qu’il existe des choses perçues comme transcendantales, donc qui échappent par leur nature au champ de la réforme.
Berlusconi, l’homme de fortune, devant qui tout obstacle légal ou d’une dignité semblable doit s’effacer sans qu’il faille en concevoir le moindre doute ni le moindre remords, a bâti sa fortune politique sur un optimisme rocambolesque dans une époque de complète tragédie, et dans une Italie qui s’abîme dans l’indignité d’une soumission extraordinaire aux influences extérieures (US). Cet homme s’apprête à recevoir les votes du désespoir devenu ainsi nihilisme, et il n’en est certainement pas troublé mais au contraire conforté dans sa béatitude. Là aussi, il y a la logique du simplisme d’une époque qui ne peut plus rien concevoir hors du conformisme de l’idéologie dominante.
Certes, leurs destins sont pour l’instant différents, dans tous les cas pour les perspectives (pour Berlusconi éventuellement vainqueur). C’est sans doute là que la force des peuples entrent en jeu, entre une France décrite comme retardataire, dépassée, etc., et qui est en fait le seul pays de la civilisation occidentale à avoir maintenu comme un fait de nature, à côté de faiblesses courantes et bien d'époque, la seule puissance capable de repousser la subversion de cette époque, – cette légitimité que donne la souveraineté identitaire. Au contraire, l’Italie, ce grand et malheureux pays, se trouve dans un état épouvantable de corruption de sa substance même, après deux-tiers de siècle de servilité volontaire et d’abaissement psychologique de son élite politique devant la puissance dominante (inutile de la nommer, n’est-ce pas).
...Par conséquent, Sarkozy se trouve dans le plus complet désarroi, en tentant de s’aligner sur les consignes de la nation. La bataille entre l’homme des réformes et la nation est déjà engagée sur la voie de la capitulation du premier, et Sarkozy devra redoubler d’efforts (en ce cas, son goût de l’action le servira) dans son adaptation à la fonction, dans l’apparat puis dans la politique, pour retrouver la référence qui lui donne sa substance ontologique, – les sondages. (Ou bien, s’il ne s’adapte pas, il chutera.)
Berlusconi, lui, pourrait bien nous revenir, triomphant. Mais, là aussi, nous pourrions avoir des surprises. L’homme est d’un optimisme débordant parce qu’il est en substance un caméléon sans substance, avec une colonne vertébrale aussi ferme «qu’un éclair au chocolat» (description du président McKinley par son vice-président Theodore Roosevelt). Il s’annonce comme d’habitude avec un programme hyper-libéral inspiré des USA mais il pourrait s’apercevoir rapidement, s’il est élu, que l’hyper-libéralisme est passé de mode avec la crise financière et que les USA ne sont plus ce qu’ils étaient, à cause de la crise qui les abaisse gravement et conduit la Federal Reserve à pratiquer une politique interventionniste qui pourrait aboutir à des nationalisation de fait dans le secteur bancaire. L’expérience Prodi a montré que la “gauche” italienne était incapable de réagir contre le protectorat US et que, dans certains domaines stratégiques, elle pouvait se montrer “aussi pire” que la droite berlusconienne. L’“avantage” de Berlusconi est qu’avec une telle absence de scrupule et avec un tel simplisme de pensée qui définissent son caractère, il pourrait sans vraiment s’en aviser se tourner vers une autre politique, rien que pour rester optimiste dans les sondages. Le nihilisme de certains de ses électeurs aurait alors agi comme un instrument du destin.
Tous ces hommes politiques n’ont plus d’existence propre. Pour cette raison, ils sont mis à nu par des facteurs complètement accessoires de leur point de vue, et souvent d’une façon paradoxale. Le parcours de Sarkozy a jusqu’ici servi essentiellement à réaffirmer quelques vérités qu’on avait laissé s’empoussiérer et qu’il croyait pouvoir “réformer”; notamment la transcendance de la fonction présidentielle, pour la défense de laquelle il s’avère que la nation française est prête à monter sur les barricades des sondages. La fonction en sort grandie et il ne reste plus au petit président qu’à s’activer pour encore la mériter pour un petit bout de chemin, – sous peine d’élimination prématurée. Lorsqu’il y sera parvenu, il sera pleinement efficace.
Les jugements convenus et furieux de condamnation évidente et sans grande peine à l’encontre de ces hommes politiques n’ont aucun intérêt, enfantés par la hargne impuissante et la vertu sans conséquence. Puisqu’ils existent et qu’il n’y en a pas d’autres, l’essentiel est de jouer avec eux, c’est-à-dire de les manipuler par les moyens de la puissance postmoderne dont ils sont évidemment les marionnettes. Dans certains cas, la vox populi, fulgurante par sondages interposés, s’y entend à merveille. Il est entendu que ces étranges circonstances nous font répéter, comme un leit-motiv, que Joseph de Maistre avait décrit, au travers de ses réflexions mais sans y penser précisément, notre époque comme s’il y était.
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