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3 mars 2004 — John Kerry dans un fauteuil. Depuis la deuxième ou troisième primaire, son triomphe paraît irrésistible. Hier, cela nous a été confirmé : son triomphe est irrésistible. Comme diraient nos habiles et avisés amis britanniques : so what ?
Avant la première de ces élections primaires, personne n’avançait le nom de Kerry, notamment parce qu’il avait voté pour la guerre en Irak ; à ce moment, tout le monde nommait Howard Dean, obscur gouverneur du Vermont propulsé au premier rang par un mouvement de la base démocrate s’exprimant sur Internet. Le renversement est complet et l’on comprend que, jamais, désignation aussi triomphale n’a été aussi complètement ambiguë que celle de Kerry. C’est une bien étrange situation, marquée hier par l’amère et inutile victoire de Howard Dean dans le Vermont.
La question, ambiguë elle aussi, est donc de savoir si, finalement, Howard Dean n’a pas tout de même gagné. Voyons cela.
L’hypothèse, extraordinaire celle-là, est qu’on pourrait assister à une évolution inverse à celle qui est de coutume dans une élection US : départ sur des positions tranchées, parfois extrêmes, pour rameuter l’électorat activiste ; puis, évolution vers le centre, pour, comme on dit dans ce langage subtil qu’est le langage électoral, “ratisser large”. Kerry se trouve peut-être devant la proposition inverse, qu’on a déjà vue esquissée avec la nécessité où il s’est trouvé de se radicaliser de plus en plus dans l’anti-Bush et dans l’opposition à la guerre au cours des primaires. Il est bien possible qu’il faille que Kerry poursuive cette évolution, démentant toutes les habitudes. Il est bien possible que Kerry, de plus en plus, doive convaincre les électeurs qu’il est fermement contre la guerre, malgré son vote, tandis que GW est enfermé dans la nécessité de soutenir “sa” guerre.
Pourquoi ? Parce qu’on ne cesse pas de parler de cette guerre, qui tourne au chaos sanglant ; parce que Bush est obligé de la soutenir, et qu’il va le faire en radicalisant complètement son discours virtualiste ; parce que, au dernier sondage, les Américains ne sont plus que 28% à soutenir sans réserve la décision de partir en guerre et que c’est là, chez les 72% restants, que Kerry va devoir aller pêcher son électorat, en paraissant beaucoup plus anti-guerre qu’il ne l’a été jusqu’ici. (Un exemple : Kerry veut le vote des Noirs. Mais, dans le décompte des sondages, ils sont 16% à “soutenir sans réserve la décision de partir en guerre”. Kerry n’a pas intérêt à dire que l’expédition irakienne n’est pas une mauvaise chose.)
Ou bien, — on ne parle pas de la guerre ? Ce serait une sacrée performance, — pour autant, il n’est certainement pas assuré qu’on en vienne à la modération. L’économie, la culture, la religion (Kerry est catholique et les attaques ne manqueront pas contre lui, à cause de cela), ce sont également des thèmes exacerbés et radicalisés. Enfin, inutile de compliquer cette chose simple : l’Amérique est radicalisée, divisée en deux blocs qui tendent de plus en plus à être extrémistes, exacerbée par une politique elle-même extrémiste. Comment avoir une élection sur des thèmes modérés dans un tel climat ?
Le paradoxe pourrait être donc que Kerry soit obligé de faire une campagne “à la Howard Dean”. Ce serait une sorte de victoire de “We, the people”, sans qu’on sache où cela nous mènerait. Eh oui, les temps sont incertains.