Le triomphe “français” ressuscite la hargne anti-française

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Le choix de l’USAF pour son programme KC-45 en faveur de l’offre EADS/Northrop Grumman et la tempête politique et politicienne qu’il soulève ressuscitent aux USA une ferveur anti-française comme en d'autres temps restés fort suspects dans la Psyché américaniste. Le Figaro du 8 mars faisait un constat attristé, contrastant avec les ambitions de l’ère Sarkozy et les théories diverses des spécialistes parisiens de l’américanisme: «Cette affaire fait brusquement ressortir de vieux arguments anti-français que l'on n'avait pas entendus depuis l'invasion de l'Irak.»

Les Français ont beaucoup de travail à faire avant d’espérer comprendre la psychologie américaniste, notamment en échangeant un peu de leur intelligence qu’ils ont en grande quantité contre un peu de bon sens venu de l’observation candide des choses. Pour Washington, la victoire de l’équipe EADS (France-Allemagne-Italie-Espagne-UK), associée à Norhtrop Grumman (USA) se résume à une fourberie française réussie par l’intermédiaire d’un “idiot utile” (Northrop Grumman) pour capturer indûment, immoralement et illégalement (par rapport à la vision américaniste du monde) un marché qui devait rester aux USA. Loin d’établir de meilleures relations entre la France et les USA pour la coopération des armements, le marché, – s’il survit en l’état, ce qui est loin d’être évident, ce qui l’est de moins en moins chaque jour, – ce marché va conduire à un redoublement de méfiance agressive des USA à l’encontre de la France.

D’ores et déjà, on constate que Northrop Grumman, qui ne peut s’isoler complètement des forces politiques aux USA, tente désespérément d’ “américaniser” le marché. Son “press release” du 10 mars est une longue plaidoirie résumée par cette phrase en fin de communiqué, remarquable par la dénomination de l’avion (“Northrop Grumman KC-45A” et non “Northrop Grumman/EADS KC-45A”): « The Northrop Grumman KC-45A will include approximately 60 percent U.S. content. It is America's tanker.» Il n’est pas dit que l’alliance entre Northrop Grumman et EADS résiste à la tempête politique dont nous humons les premiers souffles, parce que les intérêts de Northrop Grumman sont évidemment de rester dans les meilleurs termes possibles avec le monde politique washingtonien et éventuellement avec le Pentagone (si le Pentagone évoluait vers une attitude où il tendrait à revenir sur l’engagement de l’USAF, si l’USAF elle-même jugeait de ses intérêts par rapport au Congrès d’évoluer elle aussi).

Dans le meilleur de cas (l’actuel vainqueur restant le bénéficiaire du contrat), tout sera fait pour transformer le KC-45 en un produit le plus “américanisé” possible. EADS aura gagné un beau contrat mais ne sera en aucun cas institué comme “fournisseur” du Pentagone. Industriellement, l’affaire aura été bonne, et technologiquement une belle démonstration pour l’Europe (la France). Mais politiquement, ce sera nécessairement une réaffirmation brutale du refus de l’ouverture loyale du marché de la défense US aux contractants non-US. (Seul BAE échappe à cette loi d’airain, et l’on sait pourquoi, et l’on sait pourquoi depuis longtemps.) Encore parlons-nous du “meilleur des cas”, qui comprendrait bien évidemment une forte probabilité que Northrop Grumman et EADS fassent une croix sur les autres contrats du programme (les 300-400 ravitailleurs à venir après les 179 du premier contrat).

Politiquement, il devient de plus en plus probable que le “triomphe” du KC-45 va se transformer en défaite politique majeure pour tout projet de “coopération transatlantique structurée” (si cette chose existe) où la France aurait une place importante. (Nous parlons encore moins d’“Europe” puisque, pour les Américains, EADS c’est la France; si cela ressort d’une obsession psychologique d’un côté, d’un autre côté ce n’est pas si mal vu.) L’affaire KC-45 servira sans doute, pour un temps avant que ne renaissent les illusions, à rappeler à tout le monde et aux rêveurs français des alentours de Sarkozy en premier, que la coopération transatlantique fonctionne lorsque l’Européen achète américain (cas du JSF), lorsque l’Européen l’est autant que Boeing, Lockheed Martin ou Northrop Grumman (cas de BAE), c’est-à-dire lorsque les USA pilotent la chose et qu’on se tient bien dans les rangs. Tous les autres cas sont classés sous la rubrique “fourberie française”. Ainsi fonctionnent-ils et ainsi soit-il.


Mis en ligne le 11 mars 2008 à 09H35