Le triomphe virtualiste de GW dans les rues vidées par la vigilance policière

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Le triomphe virtualiste de GW dans les rues vidées par la vigilance policière


18 novembre 2003 — Le fait le plus extraordinaire dans la visite de GW Bush en Angleterre se trouve dans la transformation d’un non-événement politique en une apparence d’événement politique fondamental sans que rien du contenu de l’événement lui-même n’ait changé, simplement par la pression générée par cet événement, par la perception ainsi suscitée.

Cette rencontre fut décidée en septembre 2002. Elle devait être une simple mais glorieuse promenade de victoire pour les deux chefs de gouvernement victorieux en Irak, — puisque, déjà en septembre 2002, l’essentiel était programmé à cet égard, notamment le défilé de la victoire. Aucun point politique fondamental n’était évidemment prévu en septembre 2002, et rien n’est venu modifier cette perspective : il n’existe aucun point fondamental de discussion entre Britanniques et Américains dans ce qui est dit et qui est discuté ouvertement entre eux, qui, nécessite aujourd’hui une réunion à ce niveau. Cette rencontre a été considérée par certains comme une simple séance de photographie, — certains avec dérision, certains avec rage, certains encore en acceptant cette vision générale mais en protestant contre elle (voir “All this just for a photograph with the Queen?”, question de Mark Steyn dans le Daily Telegraph)

Aujourd’hui, l’événement est devenu dramatique par le biais de l’argumentation diverse qui entoure la visite, — démarche fondamentalement virtualiste. On en appelle aux special relationships, qui pour les réaffirmer comme si elles étaient fondamentalement menacées, qui pour les dénoncer comme une infamie trop longtemps acceptée. Le pauvre Tony Blair s’est obligé à ressortir ses trémolos sur la guerre contre la terreur, pour affirmer, sur ce ton churchillien qui semble désormais un peu usé : « Now is not the time to waver but see it through. [...] Britain should stand firm with the United States of America in defeating terrorism wherever it is and delivering us safely from what I genuinely believe is the security threat of the 21st century. » Il faut du souffle pour dire cela après avoir fabriqué de toutes pièces, en Irak même, le nouveau centre international du champ d’essai de tous les terrorismes possibles et imaginables.

On passe sur les effarantes mesures de sécurité prises par les Américains, d’une façon souvent horripilante pour les Britanniques, et par ces mêmes Britanniques, parce qu’il faut tout de même paraître croire aussi bien à l’existence du président américain, à l’existence des liens d’amitié entre les deux pays, à l’existence d’une menace terroriste épouvantable. Tout cela alimente pour le compte les rumeurs de montage, de fabrication provocatrice d’un complot terroriste. Londres vit au rythme d’une quasi-crise de nerfs, avec 16.000 policiers mobilisés pour protéger un président américain qui vient « just for a photograph with the Queen ».

Les sondages rendent bien compte de la confusion régnant aujourd’hui au Royaume-Uni devant cette visite qui à la fois déclenche toutes les colères pour dénoncer GW et mobilise toutes les énergies pour applaudir malgré tout à l’amitié avec l’Amérique. On a donc réuni des résultats à la fois contradictoires et similaires, dont les interprétations de réponses assez proches sont aux antipodes pour proposer des conclusions radicalement différentes. Le Guardian offre son propre sondage qu’il présente sous le titre extrêmement encourageant de « Protests begin but majority backs Bush visit as support for war surges ». Le site WorldNet Daily reprend un sondage Sunday Times/AFP et le présente sous ce titre sans espoir de : « 1 in 3 Brits call Bush “stupid” — Poll: Majority consider U.S. leader threat to world peace » (Voir ces deux textes restitués sur notre site dans la rubrique Nos Choix Commentés.)

Qui a raison, qui a tort ? Nous nous trouvons dans une grande entreprise de sauvegarde d’une politique anglo-saxonne complètement virtualiste, dont il faut continuer de faire la promotion malgré les chocs impitoyables de la réalité. Cette visite, sur le fond, n’a pas le moindre sens ni le moindre intérêt. Elle sert à illustrer le désarroi des puissances soi-disant dominantes, dont la politique n’a plus que de lointaines et épisodiques proximités avec la réalité. La politique, aujourd’hui, semble être réduite au charcutage sans fin d’une image offerte comme seul témoignage de la substance des choses... « Just for a photograph with the Queen », certes mais ce sera une photo brouillée, floue, confuse et incompréhensible. Le désordre bushiste paradant en triomphe, dans les rues de Londres vidées par la présence policière, comme dans un film d’Antonioni ou dans une toile de Dali.