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192916 avril 2014 – A la fin de l’interview qu’il donne à Russia Today le 14 avril 2014, l’historien de l’université d’Oxford Mark Almond fait quelques remarques sur la situation de la communication, au sens le plus large possible du terme, en Ukraine. Nous avons déjà cité Almond à propos de l’Ukraine le 21 février 2014 : il a une connaissance importante des pays comme la Géorgie et l’Ukraine, où il a servi d’observateur pour les élections. Engagé dans les mouvements humanitaires depuis les années 1980, il s’est opposé de plus en plus aux incursions occidentales à-la-Soros (et à-la-Nuland) dans l’ancien espace du monde communiste en Europe ; c’est donc à la fois un œil expérimenté et critique, mais pas nécessairement un esprit opposé aux entreprises de démocratisation dans ces pays, ni particulièrement prompt à découvrir des entreprises de subversion complotiste dans les actes des pays du bloc BAO. Ce qu’il décrit dans l’extrait que nous proposons de son interview à RT doit être entendue pour l’Ukraine certes, mais comme une situation symbolique désormais de l’ensemble du monde.
Russia Today: «From the beginning of the popular uprising in the east people there have been saying they fear the neo-Nazis – and Kiev and Western states have been saying there is no threat from extremists. Will they be able to ignore these concerns now?»
Mark Almond: «If even a week ago the new regime in Kiev had said: ‘Why don’t we hold a referendum simultaneously with the presidential election that’s scheduled for May 21. Why don’t we offer a pallet of reforms.’ Maybe they could’ve calmed the fears. But what they’ve tended to say: ‘We’re listening to you, but anybody, who you chose as your spokesman is a Russian agent, an agent of foreign power, an imperialist threat.’ So, there isn’t really any dialogue.
»And we saw that on Friday when Yatsenyuk, the interim prime minister, came to Donetsk. He basically spoke to a haul of his own supporters and local oligarchs, rather than trying to address the local people – at least, those people, who are demonstrating against his government. And I think this is the great problem. It’s a dialogue of the deaf, at best.»
Russia Today: «How much attention will these events get in the Western media?»
Mark Almond: «Well, what is, I think, quite striking is that there are several journalists from Western media outlets in Slavyansk and they all contradict the official line from Kiev. They say there isn’t an actual operation in town. There’s some kind of a disturbance; there’s been some kind of shooting on the edge of the town. But nothing that one could call a serious military or commando operation.
»And even journalists, who in the past have been rather sympathetic to their point of view, having to say that they don’t find information they’re getting from the official sources in Kiev matching what they are themselves seeing in Slavyansk and other parts of south-east Ukraine.»
Russia Today: «John Kerry has – in a phone conversation with Foreign Minister Lavrov – once again pointed the finger at Russia. How long is this blame game likely to go on?»
Mark Almond: «Well, I think it’s quite blame game. One problem for the Americans is that they’re really boxing in the dark. They didn’t expect what would happen in Crimea to happen. They don’t really know what’s happening in south-east Ukraine. They don’t really know what’s happening in Russia itself.
»In a sense, they’re now steering up a great deal of anxiety partly is a sense to cover themselves from some worst case scenario, from that point of view. I think the danger from the point of view of NATO and the Americans is really… They seem to be facing a kind of intelligence ‘black hole’ for the last few months over Ukraine and over what’s happening there. And I think this is really something that bewildering them. Leading to more shrill response because they don’t really feel able to judge the events clearly and to know what’s going to happen next.»
Ce “trou noir” que décrit Almond, c’est le “trou noir” de la connaissance de ce que nous nommons “la vérité de la situation”, aussi bien par désintérêt pour cette situation que par auto-désinformation à cet égard, et même par désenchantement vis-à-vis de la notion même de vérité que nous-mêmes avons si souvent maltraitée, manipulée, trompée et tronquée... Ce “trou noir” du renseignement est donc également un “trou noir” de la connaissance, et, au-delà, un “trou noir” de la perception, et même, encore au-delà, un “trou noir” de l’esprit placé devant la catastrophe qui emporte le monde que notre “contre-civilisation” prétendait dompter et transmuter complètement à son image. Nous avons ouvert une boite de Pandore dont nous ignorons le contenu, dont nous devinons qu’il est effrayant, noir comme de l’encre, emporté par des forces qui désormais nous dépassent absolument, nous emportent, des forces au-dessus de nous et lancées dans un affrontement titanesque relevant de la métaphysique de l’histoire.
En un sens, c’est in fine à cette référence du “trou noir” du monde que se réfère sans qu’il l’exprime nécessairement dans ces termes Patrick Buchanan lorsqu’il écrit un texte sur “la fin des idéologies” (sur Antiwar.com, le 15 avril 2014). Lui qui enrage d’habitude contre les interventionnistes, contre le peu de cas qui est fait de l’isolationnisme qu’il chérit, voilà qu’il constate que cet “isolationnisme” s’installe, et même s’est installé de facto, – mais plutôt par fatigue, par cet abandon de soi-même, que même les habituelles manigances des neocons ne parviennent plus à vraiment secouer ... Buchanan constate, sans rire mais aussi sans s’en réjouir vraiment, ce qui est nouveau pour lui, que personne ne semble intéressé à renverser la perception que les USA sont en retraite («to alter the perception that America is in retreat.»), – alors qu’une telle attitude devrait rejoindre son sentiment d’isolationniste. Mais lui-même, il sent bien que cet “isolationnisme”-là est celui du réflexe primaire devant la catastrophe qui monte, cette sorte de réflexe qui est aussi la démonstration que le grand dessein glorieux de l’Amérique, même conçu historiquement pour elle-même séparée du reste comme les Pères Fondateurs recommandaient qu’il soit, est aussi la victime tragique de cet affreux “trou noir” du monde qui, par définition, n’épargne personne.
«On our TV talk shows and op-ed pages, and in our think tanks here, there is rising alarm over events abroad. And President Obama is widely blamed for the perceived decline in worldwide respect for the United States. Yet, still, one hears no clamor from Middle America for “Action This Day!” to alter the perception that America is in retreat.
»If a single sentence could express the seeming indifference of the silent majority of Americans to what is going on abroad, it might be the simple question: “Why is this our problem?” If a Russian or Ukrainian flag flies over Simferopol, why should that be of such concern to us that we send U.S. warships, guns or troops? If Japan and China fight over islets 10,000 miles away, islets that few Americans can find on a map, why should we get into it?
»And, truth be told, the answers of our elites are unconvincing.»
La situation en Ukraine qui est aujourd’hui le chaudron central de cette catastrophe diabolique ne dément pas ce sentiment de désarroi devant le “trou noir” du monde. L’offensive lancée par le pouvoir de Kiev hier l’a été sous la pression de la rue, à Kiev même, où dans la soirée du jour précédent (lundi) une manifestation agressive de Maidan, ou de Pravy Sektor selon les interprétations, menaçaient le pouvoir lui-même, désorienté par sa complète illégitimité, s’il n’agissait pas contre les russophones de l’Est du pays. Iulia Timochenko était si effrayée par cette menace qu’elle annonçait une prise de pouvoir par Pravy Sektor si rien n’était fait. L’offensive est donc moins le fruit des conseils de John Brennan, – même s’il a apporté sa contribution dont on peut imaginer la sagesse et le goût des nuances, – que des craintes paniquardes du pouvoir de Kiev : la force est employée à cause d'une faiblesse et d'un désarroi extrêmes. Là aussi, la perte de contrôle se confirme, et rien ne dit, vraiment rien, que les résultats opérationnels permettront d'y voir plus clair et encore moins de retrouver le “contrôle perdu”
On peut citer deux exemples de commentaires et d’appréciations qui permettent de mieux apprécier la forme que prend cette “offensive anti-terroriste”, telle qu’elle est qualifiée par Kiev. On comprend par ailleurs le risque ainsi ouvert, avec la possibilité désormais concrète d’événements nouveaux et graves, comme une possible intervention ponctuelle russe pour dégager les anti-maidan et leur permettre de mieux s’organiser, – une opération russe, si l’on veut, pour remettre en place le désordre, “en bon ordre” si l’on veut...
• De Vineyard of the Saker, trois précisions intéressantes sur les premiers constats opérationnels de l’“offensive antiterroriste”, sous le titre «Ukrainian civil war day 1», le 15 avril 2014. On y retrouve les conditions de confusion et de désordre ...
« In a rather bizarre incident, some Ukrainian officers were told that 30 armed terrorists had seized an airport near Kramatorsk. They landed there supported by APCs and helicopters only to find out that only civilians were present. Rumors say that “several” to “eleven” civilians were killed in that operation. The amazing thing is that the officers really seemed to believe that they would be fighting some kind of military force. When they realize that this was not the case, most of the forces were evacuated and only a smaller force was left at the airport. It is currently surrounded by civilians who are blocking all exists. • Same thing happened to the recon battalion of the 24th Airborne Division which was sent in to locate “terrorists”. When the saw that only civilians were present they refused to continue their mission, turned around and left. • A convoy of Right Sector militants disguised as pro-Russian forces (they were wearing Saint George ribbons) were stop and searched by civilians. Soon, after some brutal interrogations the truth became obvious, the trucks full of weapons confiscated and the drivers beat up...»
On ajoutera pour faire bonne mesure dans la description du désordre le premier écho précis de l’“offensive antiterroriste” d’une désertion importante : le passage du côté des insurgés de 6 véhicules blindés de transport de troupes de l’armée ukrainienne, selon Novosti le 16 avril 2014 ; puis le même type d'événement élargi, montrant, vidéos à l'appui, des fraternisations entre troupes ukrainiennes et populations russophones, dans Russia Today le 16 avril 2014... Il est difficile de trouver meilleures images du désordre ukrainien que ces scènes d'“invasion” et de fraternisation.
• Un reportage de Luke Harding à Yenakiyevo, ville natale de Ianoukovitch, dans le Guardian du 15 avril 2014. Le reportage est intéressant parce que Harding est notoirement et violemment antirusse (voir le 4 février 2014), représentant la faction interventionniste radicale au sein du quotidien. L’intérêt est dans ce que Harding, agissant dans ce cas en reporteur et enquêteur, donne une image montrant la force et la spontanéité du mouvement pro-russe et réduisant ainsi d’autant la narrative sur l’organisation de la révolte par les Russes eux-mêmes. Harding mentionne ces hypothèses sur le machiavélisme russe sans insister ni même sembler leur accorder un très grand crédit, comme anecdotiquement. (C’est l’illustration de la remarque de Almond : «And even journalists, who in the past have been rather sympathetic to their point of view, having to say that they don’t find information they’re getting from the official sources in Kiev matching what they are themselves seeing in Slavyansk and other parts of south-east Ukraine.»)
«The politicians in Kiev are acutely aware that deploying the army on a large scale could lead to casualties among the local population. Many in Yenakiyevo and elsewhere support the anti-Kiev uprising. Any military intervention in turn could trigger a furious reaction from Moscow and possibly a full-blown invasion. Russia's president, Vladimir Putin, has said Ukraine is now on the brink of civil war.
»“We're like a family where the husband and wife quarrel all the time. It's better for them to split up, to divorce,” Litvinenko said. “We could be Russia or we could be separate. The most important thing is that we are separate from the rest of Ukraine.” Litvinenko said her mother was looking after her five-year-old son Ivan. How long would she do shifts in the kitchen? “Until we get victory,” she said.
»Anti-government protesters now occupy municipal buildings and police stations in a string of eastern cities. The west says that behind the scenes Russia has co-ordinated these actions. The problem for Kiev's beleaguered government is how to wrest the buildings back without endangering the civilians now occupying them. There is no easy answer.
»In Yenakiyevo, the birthplace of Ukraine's fugitive president Viktor Yanukovych, local police have sided with the protesters. They have even lent them flak-jackets. On Tuesday the mayor chatted calmly with activists outside his occupied building. A banner read: “No to Nato.” Residents stuffed donations into a large plastic bottle. The black-blue-red flag of the Donetsk republic flew from the roof.»
Ce qui nous importe après cette partie qui prétend être un exposé de quelques faits exemplaires de la situation générale que nous voulons exposer (le “trou noir” du monde), c’est de proposer une démarche du jugement du type unitaire et universel à la fois. Dans ce cadre, la crise ukrainienne n’est pas considérée per se, avec toutes ses manigances et dans son désordre immense, mais comme le révélateur, peut-être ultime, de notre crise générale à cause de multiples raisons déjà exposées (voir notamment le 24 mars 2014 et le 14 avril 2014) qui en font une crise multiforme touchant les principaux domaines des relations internationales chaotiques que nous connaissons. Notre idée est que l’effet et les conséquences des événements nous montrent chez tous les acteurs de ces drames, y compris ceux qui sont en toute bonne foi antiSystème mais entendent savoir où les mène leur combat et quand se manifestera son issue, un désarroi profond, la réalisation pour certains d’être complètement désorientés ou simplement aveuglés, c’est-à-dire avec le sentiment conscient ou inconscient de se trouver dans un monde que l’on ne comprend plus et que l’on ne contrôle plus.
(... Et cela parce que nos temps de la modernité n’ont évidemment pas la sagesse des Anciens, puisqu’ils en sont la trahison achevée. Privé de cette sagesse par des événements qu’il faut considérer dans leur dynamique cyclique comme nous tentons de le faire dans La Grâce de l’Histoire, l’on fait souvent le jugement diffus plus qu’argumenté que nous ne comprenons plus le monde parce que nous ne le contrôlons plus. Les Anciens, eux, ont bien souvent montré qu’ils comprenaient le monde sans prétendre jamais le contrôler, et qu’ils le comprenaient selon leur mesure de sagesse qui bannissait l’hybris, ou démesure, comme la pire des choses engendrées par l’esprit humain, avec justement le désir de contrôler le monde. Au contraire, l’esprit du temps, ou l’esprit de la modernité, ne comprend plus le monde parce qu’il a voulu le contrôler et qu’il a cru qu’il le contrôlait comme s’il était “sa chose”, alors qu’il s’avère que c’était le leurre suprême de son hybris, cadeau offert à l’esprit de la modernité par le “déchaînement de la Matière” et l’“idéal de puissance” qui s’en est suivi.)
Il existe ainsi, très perceptible, une intense fatigue de la psychologie, somme toute assez naturelle devant le poids de cette incompréhension, sous la pression du désarroi qui s’ensuit, et qui ne fait qu’enchaîner sur une pente d’épuisement. Cette fatigue de la psychologie, qui vient de loin selon notre conception de la métahistoire de la modernité (voir le 14 juillet 2010 ou le 28 novembre 2013 sur le persiflage), a atteint aujourd’hui cette zone d’épuisement qui entraîne l’incapacité du jugement répondant à l’état de l’esprit coupé de toute perception répondant à la vérité de la situation (avec le remplacement de cette vérité par les narrative diverses qu’on connaît, comme ultime et dérisoire rampart). Cet épuisement, cela se voit, cela se sent, même s’ils n’en sont pas conscients (et surtout parce qu’ils n’en sont pas conscients, d’ailleurs), chez les dirigeants du bloc BAO. Même les Russes qui sont les moins touchés par ce venin de la modernité, montrent, par des réactions vis-à-vis de leurs “partenaires” occidentaux, cette même fatigue. (Mais au moins, ils ont, eux, une cause identifiable justifiant cet état, dans le comportement erratique et quasi-incompréhensible pour eux de ces mêmes “partenaires” qui favorisent la déstructuration et la dissolution des espaces communs des relations internationales, dans ce qui semble être un nihilisme incompréhensible entraînant un désordre incontrôlable et qui débouche sur une sorte de néantisation, – ou entropisation de la formule dd&e.) Il n’empêche, ils ont montré à plus d’une reprise, les Russes (voir Lavrov, le 6 février 2012, le 26 juillet 2012, le 27 août 2013), qu’ils mesuraient bien l’état du monde et la profondeur du “trou noir” que le désordre suscité par la bloc BAO a creusé dans la structuration de la politique générale, dans sa perception, voire dans les conditions mêmes de l’espace-temps de cette époque dont la rapidité d’évolution, avec les surprises que les événements nous réservent, déforment toutes les références habituelles et nous laissent sans la moindre capacité d’anticiper.
De tous les côtés, l’on perçoit, à moins de s’abîmer dans le réductionnisme tout aussi nihiliste des considérations tactiques au jour le jour, lorsque l’on prend un peu de champ ou bien de la hauteur (de la hauteur surtout), la puissance formidable de ce sentiment d’incompréhension qui accompagne les événements, et de l’incompréhension de la politique qui serait censée les déclencher. (Cette “incompréhension de la politique ... censée les déclencher” est naturelle, sinon évidente, puisque, en fait, rien ne déclenche les événements qui se déclenchent d’eux-mêmes, et qu’en vérité il doit s’en déduire qu’il n’y a pas de politique du point de vue humain de la chose, – ce qui se vérifie chaque jour dans les décisions et les comportements officiels). Il ne s’agit pas d’une perception paralysante, mais plutôt de la montée de la perception de notre paralysie face aux événements qui mènent eux-mêmes l’évolution de la métahistoire.
Toute avancée tentée pour éclairer le “trou noir du monde” par les moyens courants que recommande la raison subvertie par la modernité confronte en fait les exécutants de cette tentative à la vérité de la situation du monde, qui bouleverse toutes les données jusqu’alors tenues pour intangibles par eux pour réaliser cet éclairage sans pour autant leur apporter la sagesse d’en tirer les enseignements qui importent. (C’est le cas vu plus haut d’un Harding : l’“offensive contreterroriste” du pouvoir de Kiev en Ukraine peut être vue comme un élément de cette tentative d’éclairage du “trou noir du monde”, et de “reprise de contrôle” des événements du monde. Mais les facteurs objectifs qu’on entend utiliser pour cela s’avèrent, lorsqu’ils sont confrontés à la vérité de la situation, non seulement subjectifs, mais faussaires, trompeurs, eux-mêmes parties de ce qui ne cesse d’assombrir le “trou noir du monde”. Une fois fini son reportage qui nous fournit quelques vérités de la situation, Harding pose sa plume de reporteur ; demain, il prendra à nouveau sa plume de commentateur et, comme il est lui aussi touché par cette terrible fatigue de la psychologie, il écrira à nouveau dans le sens de la narrative du bloc BAO. Malgré qu’il ait éclairé fugitivement la chose, c’est-à-dire la dynamique des événements qui évoluent d’eux-mêmes, il s’enfoncera à nouveau dans les ténèbres du “trou noir” du monde.)
En développant cette analyse, on comprend combien nous nous trouvons loin des thèses habituelles, de la recherche des explications rationnelles, des grands desseins humains, des “Grands Jeux”, etc. Nous en sommes si loin parce que nous croyons que de telles spéculations et planifications ne peuvent plus exister en tant que causes fondamentales et même opérationnelles des événements qui s’enchaînent. Bien entendu, les commentateurs, analystes, polémistes, etc., sont prompts à donner une de ces explications lorsque l’événement a démarré, pour tenter de satisfaire cette même raison subvertie, qui demande, qui exige une explication où elle serait évidemment la maîtresse d’œuvre de toutes les choses qui secouent le monde. (En d’autres mots : “Ce qu’on ne peut étouffer, on l’embrasse”.) Mais c’est justement dans cette situation bloquée d’un esprit qui veut croire désespérément à l’omnipuissance de sa seule raison subvertie et ne trouve plus à raisonner que dans le vide que nous trouvons l’argument principal pour penser que la phase crisique actuelle s’approche de la séquence décisive de notre grande crise générale. Cette séquence décisive a en effet besoin, pour se manifester, de réduire à rien toutes les interférences humaines organisées sous l'influence du Système.
Cette conviction n’est absolument pas, ni une démonstration rationnelle ni le développement d’une prospective qui prétendrait offrir la clef de l’immense bouleversement qui nous secoue. C’est l’hypothèse fondamentale de tel esprit qui accepterait le fait de l’incontrôlabilité du monde et de ses événements, et pourtant de leur évolution si rapide (Eppur, si muove...), – et l’hypothèse tenue comme un fait d’intuition d’un sens plus haut qui habite cette évolution. C’est dire qu’il nous paraît essentiel, pour tenter de mieux appréhender ces événements qui ont acquis une autonomie complète, de tenter l’aventure intellectuelle qui ne serait pas moins qu’une sauvegarde de l’esprit dans les circonstances présentes, de rechercher dans d’autres domaines que ceux qu’autorise la raison enchaînée à la subversion de la modernité, les éléments d’une meilleure compréhension des bouleversements actuels.
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