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3824On aurait du voter aujourd’hui au Parlement Européen (PE) sur le traité de libre-échange transatlantique, le monstrueux et kafkaïesque TTIP. Le vote n’était pas vital, mais il devait constituer un bon signal de soutien de la base parlementaire au grandiose projet transatlantique, – car il était entendu, dans l’esprit des divers leaders européens de ces diverses technostructures que ce vote serait évidemment positif, et d’une façon incontestable, enthousiaste, pleine d’allant et d’ardeur. C’est justement parce qu’il menaçait de ne pas l’être du tout, ni incontestable ni enthousiaste et privé d’allant et d’ardeur, que ce vote a été repoussé.
Officiellement, il s’agit d’une argumentation technique, – qui, d’ailleurs, indique indirectement la difficulté de l’enjeu. Il y avait plus de 200 amendements au texte proposé et le président du PE, l’Allemand Martin Schulze, a donc fait reporter ce vote sine die. (II l'a fait en consultation directe avec Merkel, qui dirige l'engagement allemand et européen dans le TTIP. A nouveau, après d'autres affaires, la dynamique d'engagement européen dans le TTIP est l'oeuvre des Allemands.)
La décision de report a été accueillie par des commentaires acerbes et critiques tandis qu’enflent les bruits de désaccords et d’opposition grandissante à un alignement sur le TTIP dans divers partis. RT donne ce 10 juin 2015 un résumé des diverses circonstances qui ont fait repousser le vote du PE sur le TTIP...
«Le scrutin plénier sur le traité de libre-échange transatlantique (TTIP) a été reporté par le président du parlement européen mardi soir. Le vote sur les négociations n’aura pas lieu “face au fait que plus de 200 amendements et demandes de votes séparés ou par division qui ont été présentées”, a annoncé le président du Parlement européen Martin Schulz. Le scrutin de mercredi devait donner le feu vert à la position de l’UE aux négociations sur le traité de libre-échange avec les Etats-Unis, a rapporté le site Politico. Malgré le fait qu’une résolution du Parlement en soutien à la Commission européenne dans les pourparlers n’est pas indispensable à ce stade, elle est considérée comme importante pour le succès du projet. [...]
»Un grand nombre de commentateurs politiques réagissent à la décision en déclarant que “l’establishment du Parlement Européen est pris de panique” sur la résolution du TTIP. Le vote révèler[ait] “les divisions flagrantes au sein de larges groupes sur les négociations controversées entre l’UE et les Etats-Unis”, a dit le porte-parole des Verts/Alliance libre européenne Yannick Jadot, ajoutant que le report de la délibération était un moyen d’“empêcher ces divisions de ressortir au grand jour”. Considérant la montée présumée des désaccords sur le projet comme “un volte-face majeur” par rapport au dernier vote au sujet de l’accord il y a deux ans, Yannick Jadot a dit que le report “prouve que la pression citoyenne accrue observée dernièrement est en train de porter ses fruits”. Il a ajouté que son parti continuerait à partager ses préoccupations au sujet du TTIP. [...]
»Le grand nombre de modifications “reflètent juste à quel point ce traité de libre-échange néfaste est devenu controversé et contesté”, a dit le directeur de Global Justice Now Nick Dearden mardi. “Les membres du Parlement européen sont au courant que la majorité des Européens ne veut pas de l’établissement de tribunaux d’arbitrage secrets”, a-t-il dit.
»En mai, Alfred de Zayas, haut fonctionnaire de l’ONU et défenseur des droits de l’homme, a appelé à arrêter les négociations entre l’Europe et les Etats-Unis, exprimant crainte que le système judiciaire privé envisagé par les négociateurs pour régler les litiges liés à l’application du traité contourne le système européen de protection des droits de l’homme. La confédération syndicale britannique GMB a aussi mis en garde le public contre l’accord, prévenant que le Royaume-Uni pourrait être inondé de produits chimiques nuisibles actuellement interdits si la résolution sur le TTIP au parlement était adoptée.»
• Un point extrêmement important, dans cette affaire, est la pression publique, dite “citoyenne” qui s’exprime par d’innombrables réseaux sociaux et une initiative pétitionnaire majeure au niveau européen. Sur le site européen dit “Stop-TTIP”, la pétition européenne affiche le nombre de 2.146.731 signatures, ce 10 juin 2015 à 12H00 (2.155.935 signatures ce 10 juin 2015 à 14H30). La démarche répondant aux critères officiels d’une “Initiative Citoyenne Européenne” (ICE, incluse dans le traité de Lisbonne), qui visait au départ un million de signatures (chiffre officiel pour qu’une ICE soit prise en considération par l’UE) pour octobre 2015, vient donc de dépasser les deux millions et affiche un but de 2.500.000 signatures pour octobre 2015. Ce chiffre pourrait bien être largement dépassé si l’on se réfère au rythme de signatures, en constante accélération, et ces indications chiffrées indiquant la formation d’une dynamique d’opposition au projet TTIP d’une considérable puissance... La carte montrant la situation de cette ICE sur le site nous donne les informations de la situation, qui a déjà dépassé tous les critères officiels (y compris les données chiffrées du texte lui-même, qui n’ont pas été corrigées avec le dépassement des deux millions de signatures) :
«Pour qu’une initiative citoyenne européenne (ICE) réussisse, elle doit recueillir au moins 1 million de signatures de citoyens de l’UE avec la contrainte supplémentaire d’un minimum de signatures dans 7 États membres au moins (ce minimum est le “quorum”, quorum qui est défini par pays en fonction du nombre de ses ressortissants). Cet objectif a déjà été atteint mais nous continuons de collecter les signatures pour démontrer la force de l’opposition citoyenne au GMT (TTIP) et à l’AECG (CETA). Cette carte montre le nombre de signatures par pays et le pourcentage du quorum atteints, au moment présent. Plus la couleur d’un pays est foncée, plus haut est son pourcentage : les pays en bleu foncé ont atteint ou dépassé leur quorum ; pour tous ces pays, il reste néanmoins important de continuer la collecte des signatures pour atteindre l’objectif des 2 millions...»
• Le point tout à fait remarquable de cette ICE, c’est qu’elle n’est pas autorisée, et donc baptisée “Initiative Citoyenne Européenne auto-gérée”. (L’ICE, pour être prise en compte, doit être autorisée par la Commission Européenne, et à ce moment démarrer pour réunir le million de voix nécessaires et ainsi prise en considération et examinée par la Commission.) Les initiateurs de cette ICE (ICEag, pour être précis) s’expliquent de ce caractère très particulier, qui rend encore plus explosifs les résultats formidables obtenus par l'initiative. On lit notamment dans le texte “A propos de la campagne de l’IEC” du site Stop-TTIP :
«Au printemps 2014, l’alliance allemande anti-TTIP appelée “TTIP Unfairhandelbar” a proposé de commencer une IEC contre TTIPet CETA et à discuter de cette stratégie avec des partenaires européens. Le comité citoyen, composé de sept individus de différents États membres de l’Union européenne a été formé, (voir des infos sur les membres ici) a préparé le texte d’ICE. Le 15 juillet 2014, nous avons demandé l’enregistrement de notre ICE “STOP TTIP” auprès de la Commission européenne. Au cours de l’été, plus de 200 organisations à travers l´Europe ont exprimé leur soutien pour la campagne. Nous avons préparé un outil de collecte de signature en ligne et des formulaires de signature en papier.
»Cependant un fait inattendu est arrivé : la Commission européenne a rejeté l’enregistrement de notre ICE! Dans une tentative évidente de nous tenir au silence, celle-ci a donné des explications légales très brèves et contradictoires afin de justifier ce rejet (voir le communiqué de presse). Nous avons réagi de deux façons : premièrement, nous faisons appel de la décision de la Commission auprès de la Cour de justice européenne. Deuxièmement, nous effectuons l’Initiative européenne citoyenne sans permission de Barroso ou de Juncker. Nous appelons ceci une Initiative européenne citoyenne en mode auto-géré (sECI en anglais, sEBI en allemand) car nous suivons en grande partie les règles d’une ICE officielle mais nous l’effectuons sans approbation officielle. C’est notre droit démocratique en tant que citoyens européens de poser des questions sur des sujets qui nous affectent : TTIP et CETA vont en effet bouleverser notre société.»
Le climat au PE, concernant le TTIP, s’est brusquement dégradé. Le bureau des correspondants du New York Times à Strasbourg indiquait ce matin, «Notre sentiment est désormais que le Parlement Européen n’approuvera jamais le TTIP» («Our feeling is that the EP will never endorse the TTIP»). Bien entendu, cette situation se préparait souterrainement, depuis qu’il était apparu que l’opposition populaire au TTIP s’avère considérable, et il ne fait aucun doute que tous les partis jusqu’alors favorable au TTIP sont parcourus de très fortes tensions, de divisions et de défections sur ce sujet, tandis que les partis qui y sont opposés (en général les eurosceptiques, les partis extrémistes, les partis antiSystème, etc.) renforcent leurs positions et peuvent envisager une occasion inédite d’acquérir une légitimité inattendue dans le milieu (les institutions européennes) qui leur est le plus hostile. L’ensemble donne le spectacle de la possibilité d’une fronde majeure en train de se préparer, avec le curieux mélange d’un attelage mi-populaire, mi-institutionnel, et la colère populaire ayant pris une voie d’accès officielle mais dans un mode auto-géré qui fleure bon la révolte (l’ICEag) pour s’imposer à l’intérieur de l’institution européenne, par son maillon faible lorsqu’il s’agit de la pression populaire puisque c'est la représentation parlementaire.
Nous ne sommes pas encore en situation d’opposition frontale, voire d’échec du TTIP du côté européen, loin de là ; mais nous sommes clairement dans le cas de la création d’une confusion considérable devant une situation complètement inédite. Dans le sens de la dynamique actuelle, si le PE passe à l’opposition par l’habituel réflexe des élus devant la pression populaire qui a cette fois un mélange explosif de respect des règles et de fronde contre les capi-bureaucratiques types-Barroso et Juncker, on aura beaucoup mieux qu’une opposition au TTIP, voire qu’un échec du TTIP. On se trouvera dans le cas d'une institution européenne générale elle-même placée devant sa contradiction fondamentale, devant son imposture congénitale, entre sa constante affirmation démocratique et son constant fonctionnement antidémocratique.
Une telle “tempête citoyenne”, transnationale, impossible à diviser tant l’objectif et la cause de l’affrontement sont eux-mêmes transnationaux, représente une situation européenne inédite : une revole anti-institutionnelle, complètement européenne et non plus nationale(s), par les moyens institutionnels eux-mêmes. Il ne fait guère de doute, si cette dynamique de “tempête citoyenne” contribue, que cette opposition populaire au TTIP peut devenir à la fois l’aimant et le catalyseur de diverses autres colères populaires dans différents pays, voire également selon des courants européens généraux fédérateurs. Il s’agit d’un cas où l’on ne peut plus opposer les Allemands aux Grecs, les Français aux Allemands, etc., mais où la source de la dynamique elle-même est complètement unitaire, paradoxalement selon les vœux du législateur européen lui-même. Le traité de Lisbonne est, on le sait, une entreprise réussie de brigandage européen, par rapport aux consultations populaires qui l’avaient précédé (les référendums négatifs en France et en Hollande, sur la constitution européenne). La création de l’ICE, considérée à l’époque comme “très tendance”, dans le genre démocratique, était prévue pour ne jamais fonctionner vraiment ... Là, bigre, elle semble drôlement bien fonctionner, par la force des signatures sinon des baïonnettes !
... Bref, voilà un chantier antiSystème de plus qui s’est ouvert. Voilà le TTIP, énorme usine à gaz que nous avions déjà comparée au JSF, qui est en train d’apporter sa pierre, sa propre singularité, au modèle général de la lutte antiSystème qui passe par le désordre autodestructeur du Système. La chose se raffine de jour en jour.
Mis en ligne le 10 juin 2015 à 14H31
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