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1973Ci-dessous nous donnons une traduction adaptée d’un article paru le 20 avril 2015 dans EUObserver, sous les plumes de Paul De Clerck, de Friends of the Earth Europe, de Lora Verheecke, de Corporate Europe Observatory et de Max Bank, de LobbyControl. Il s’agit de l’examen et de l’interprétation d’une nouvelle proposition de la Commission Européenne, pour l’établissement d’un organisme commun USA-UE de “Coopération de Régulation”, au sein du TTIP (le traité transatlantique de libre-échange) en cours de négociation. Ce texte nous a paru intéressant, non seulement parce qu’il confirme tout le mal, – en pire, en bien pire, – que l’on pouvait craindre du TTIP, mais aussi parce qu’il met en évidence combien les mesures envisagées conduiraient implicitement à pénaliser à peu près tous les acteurs, – sauf le corporate power en principe... Mais pourtant ! D’une manière telle que le corporate power lui-même pourrait être frappé, parce que lorsque l’on crée un tel imbroglio, un labyrinthe de cette sorte, en diluant tout autorité, en supprimant toute souveraineté, on évolue vers une sorte de “loi de la jungle” sans la moindre efficacité pour la jungle elle-même, vers une sorte de paralysie gargantuesque, titanesque, vers une paralysie du désordre lui-même que constituent le corporate power et son obsession paranoïaque de la dérégulation... Kafka et ses angoisses s’y seraient certes reconnus, mais comme des amateurs encore bien modestes !
Ce qui nous frappe, en effet, c’est que le TTIP est en général présenté en Europe, par ses opposants, comme une entreprise d’investissement total de l’Europe par les USA, – et tant mieux cette présentation qui a d’ailleurs une partie de la vérité du TTIP, puisque voilà la discorde installée au cœur du bloc BAO, dans tous les cas dans les groupes “dissidents“, mais s’élargissant de plus en plus à des ONG générales, à des groupes de consommateurs, etc. Pourtant, cette présentation, cette narrative si vous voulez, n’est pas la bonne à notre sens, ou dans tous les cas certainement insuffisante parce que trop restrictive, et manquant des dimensions importantes et admirables dans leur potentiel déstabilisateur (et nécessairement antiSystème)... Conservons-là et activons-là, cette opposition politique antiaméricaine initiale, elle ne peut avoir que des avantages puisque semeuse de discorde, mais ayons bien à l’esprit qu’il ne s’agit pas vraiment de cela, ou pas seulement de cela puisqu’il s’agit de bien plus que cela :
• A la dimension transatlantique s’ajoute une dimension structurelle interne (dimension “structurelle de déstructuration”, oups !) qui concerne aussi bien les USA que l’UE, puisque les 50 États de l’Union ont des législations différentes pour ce qui concerne les pratiques du commerce et assimilés, aussi bien que les 28 États-membres de l’UE. Le TTIP provoque autant de troubles aux USA qu’en Europe et le Congrès est un obstacle de taille, bien que ses leaders aient accepté de mettre l’adoption de la formule Fast-Track Authority au calendrier des deux Chambres. Il doit provoquer autant de troubles au sein de ses initiateurs mêmes, au sein du gouvernement US comme au sein de l’UE elle-même, qui sont des législateurs boulimiques et qui se trouveront tout autant confrontés à des obstacles et à des barrières, et au poids sans fond de la fraction de leurs propres bureaucraties acharnées à mettre au point ce monstre.
• La dimension politique de l’antiaméricanisme qui était au départ le caractère de l’opposition en Europe au TTIP est en train de s’élargir à divers milieux associatifs, aux associations de consommateurs, etc., en prenant une autre allure qui pourrait se nommer anti-bureaucratisme (et qui n’en serait que plus antiSystème). Dans ce cas, ce qui est en cause, ce n’est plus tant le fond des diverses dispositions, avec leurs intentions politiques supposées, que la forme des processus, l’emprisonnement des processus bureaucratiques, de la paperasserie électronique, des litiges sans fin, des évaluations, etc., tout cela au prix d’un viol permanent des souverainetés qui affecterait pareillement les USA et l’UE, et les composants de ces deux parties (les États de l’Union et les États-membres).
Mais enfin, il apparaît, à mesure qu’avancent les choses et malgré l’opacité des négociations (ou à cause d’elle puisque cette opacité engendre la suspicion, elle-même alimentée par les fuites de plus en plus inévitables), il apparaît que le TTIP est un projet évidemment beaucoup plus vaste que les seuls enjeux politiques déjà déterminés. Il s’agit évidemment d’un projet du corporate power dans son ensemble, contre tout ce qui se met sur sa route, aux USA et en Europe, une sorte de Mad Max de la globalisation transatlantique ; mais aussi et enfin, last but not least, un projet qui, dans sa nécessaire opérationnalisation, sera accouché par une monstrueuse bureaucratie totalement idéologisée, créature sortie directement des entrailles absolument puantes du Système, et qui est persuadée (cette bureaucratie) qu’elle seule peut produire cette sorte de “Meilleur des Mondes” ; et voilà alors qu’elle pourrait bien mettre à bas, en fait de “Meilleur des Mondes”, un monstre de la taille d’un Gulliver déguisé en Frankenstein, qui conduirait à une paralysie dont même le corporate power aurait à pâtir ... Si vous voulez, une sorte de JSF du commerce/libre-échange, à l’échelle “globalisationniste” sinon cosmique, où l’on retrouverait la patte délicieuse de Jean-Claude Juncker, ex-fuhrer du vertueux Luxembourg, devenu l’un des rejetons fondateurs du monstre européen arrivé en gare terminus de la postmodernité.
Sapir parle d'hybris (celui de l'UE, di bloc BAO, du Système) et il a bien raison, mais cette hybris n’est même plus, dans le cas du TTIP, celui des conquêtes ou de l’hégémonie, mais d’une sorte de projet d’auto-transformation en une narrative de “Meilleur des Mondes bureaucratiques” où 99,9% du temps serait consacré à l’examen des choses appelées à régir la structure destinée à déstructurer le cadre du fonctionnement du “Meilleur des Mondes“ réduit au seul business. Si l’on veut, il s’agit d’établir parfaitement les bornes et les limites de ce qui doit évoluer sans bornes et sans limites, une régulation et une législation bureaucratique monstrueuse pour établir un univers sans régulation et sans législation. Il y a de la folie dans l’air autour du TTIP, quelque chose qui dépasse Kafka lui-même, pour prendre le chemin, par ses contradictions, – et notamment cette contradiction cardinale entre la liberté sacrée du libre-échange des idéologues et les tendances irrédentistes de contraintes du “monopolisme” du corporate power, – quelque chose qui ressemble à une marche suicidaire du Système ; exactement, pour garder l’analogie, comme le JSF entraîne par son poids et ses dépenses l’ensemble du Pentagone dans une sorte de trou noir d’impuissance et de paralysie... La bataille autour du TTIP n’est pas finie et l’on sera sans doute surpris de voir qui y participera, et dans quel ordre, et selon quelles alliances, et pour finir dans quel hôpital psychiatrique...
(Mais enfin, d’ici là, d’ici à ce qu’ils nous vomissent un TTIP couturé de tous les côtés, peut-être ou sans doute une Grèce ou l’autre aura-t-elle eu raison de l’Europe, de l’euro et de tout le saint-frusquin que le Système tente de nous faire prendre pour l’achèvement de la démocratie idéale.)
dedefensa.org
Après deux ans de négociations entre l’UE et les USA sur le Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP), vous vous attendriez à être bien avertis de toutes les dispositions controversées que contient le projet. Il n’en est rien, car le pire est encore à venir.
Alors que les négociateurs se retrouvent à New York ce lundi 20 avril pour de nouvelles conversations, une nouvelle version “fuitée” d’une proposition de la Commission Européenne pour un chapitre connu sous le nom de “Coopération de Régulation” (disons CR, pour la facilité du propos de cette adaptation, – NDLR) montre que l’accord devrait mettre en place des barrières quasiment infranchissables sur la voie de toutes les législations des pays et institutions concernés. Les corps législatifs de la Commission européenne et du gouvernement US, aussi bien que des 28 États-membres et des 50 États de l’Union, pourraient tous devenir l’objet d’entraves et d’obstacles bureaucratiques sans limites.
L’objectif de la CR est d’aligner les lois présentes et à venir de l’UE et des USA pour “réduire les charges inutiles, les duplications et les divergences des régulations et règles affectant le commerce et les investissements”. Si des efforts pour une telle CR paraissent logiques et justifiées à première vue, une lecture plus attentive des propositions conduisent à s’alarmer considérablement des procédures et de leurs conséquences.
Pour parvenir à l’harmonisation désirée, la Commission propose de créer un organisme de CR, composé de fonctionnaires civils des deux côtés, qui auraient pour tâche d’apprécier dans quelle mesure les actes législatifs aussi bien de l’UE que des USA sont compatibles entre eux et avec les impératifs du commerce et des investissements. S’ils ne le sont pas, cet organisme aurait le pouvoir d’établir des barrières supplémentaires sur la voie des lois incriminées en proposant des mesures pour renforcer l’harmonisation ou réduire l’impact et les coûts sur les entreprises, – que les gouvernements seraient obligés de prendre en considération. Il pourrait, par exemple, proposer que des législations jointes USA-UE ou même internationales aient la prééminence.
Toutes ces mesures doivent avoir comme résultat inévitable d’affaiblir, de ralentir, voire de complétement stopper les processus de législation et les lois que produit ce processus. Pire encore, ces recommandations pourraient être faites à n’importe quel moment du processus législatif, donnant par conséquent l’opportunité constante d’affaiblir et de repousser le processus conduisant à l’adoption des lois, y compris à un moment où ces lois sont en train d’être examinées par les élus du peuple dans tel ou tel pays.
La CR demande aux législateurs de suivre des procédures qui conduiraient fort probablement à plusieurs années de retard pour les lois envisagées, et obligeraient les législateurs à accorder la plus sérieuse attention à toutes les contestations soulevées, jusqu’aux plus dérisoires et aux plus intrusives. Cela obligerait à créer une énorme bureaucratie de fonctionnaires civils, qui aurait pour tâche d’évaluer chaque loi nationale et chaque loi de l’UE pour voir dans quelle mesure elle s’accorderait aux lois similaires aux USA, et vice-versa. Ce processus conduirait à la production de nouvelles vagues de paperasseries bureaucratiques pour les gouvernements, et à de nouvelles dépenses pour les contribuables.
Tout cela aurait également un fort effet dissuasif auprès des législateurs de l’UE et des États-membres, de seulement tenter d’introduire de nouvelles lois pour protéger les intérêts du public. La conséquence la plus importante de la CR conduirait à un effet préventif négatif considérable. Si les législateurs savent qu’à chaque étape du processus menant à une loi leur travail peut être mis en question et examiné, ils seront beaucoup moins enclins à suivre dès le départ des références de nouveauté et des standards de grande qualité.
Les propositions actuelles de l’UE offrent au corporate power des opportunités particulièrement prometteuses d’affaiblir et de retarder les législations qu’il considère comme “anti-commerciales”, c’est-à-dire tout ce qui peut conduire à des coûts supplémentaires pour leurs compagnies. La proposition prescrit que l’UE doit inclure dans chacun des processus de régulation une consultation des actionnaires et qu’elle doit tenir compte des avis qui seront donnés. Cela donne aux groupes ainsi concernés des moyens très puissants de faire barrage à tout nouveau standard qui pourrait conduire à des coûts plus élevés.
Enfin, last but not least, la CR telle qu’elle est proposée pour le TTIP conduira à une érosion significative du processus démocratique de l’UE et des États-membres en permettant à un pays étranger d’examiner attentivement les propositions législatives et faire pression pour leur adoption avant même que les institutions démocratiques représentatives, tels que le Parlement Européen, les parlement nationaux et les États-membres, aient la possibilité de seulement les apprécier.
Tout cela donne d’énormes pouvoirs à des petits groupes d’individus qui ne sont comptables en aucune façon devant l’intérêt public européen, d’accorder la priorité aux préoccupations du commerce et de l’investissement par rapport à tout autre intérêt. La Coopération de Régulation est un système qui introduit volontairement des obstacles et des barrières pour la mise en place d’une véritable régulation. Cela devrait conduire sans aucun doute à des négociations sans fin, sans résultats, entre législateurs pour l’harmonisation de leurs lois. Ce labyrinthe de paperasserie pourrait créer effectivement un blocage complet de tout nouveau standard européen pour les domaines environnemental, social et de la santé au sein de l’Union Européenne.
Paul De Clerck, Lora Verheecke, Max Bank
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