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10 avril 2007 — Le Vatican commence-t-il à mesurer les risques de la politique anglo-saxonne actuelle ? C’est-à-dire qu’on peut explorer l’hypothèse que Benoît XVI pourrait renouer le fil coupé depuis la mort de Jean-Paul II, de l’intérêt actif (et très critique) jusqu’alors du Vatican pour la politique déstabilisatrice de l’Ouest.
Il apparaît que le Vatican a joué un rôle actif dans l’affaire des prisonniers britanniques relâchés par l’Iran. La crainte du Vatican était que ces prisonniers soient considérés comme un casus belli par les USA, et justifiant ainsi une attaque. Le Vatican a conseillé aux Iraniens de suivre une politique de conciliation.
La chose était signalée dès le 7 avril dans le Guardian :
«Another surprise intervention came from the Vatican. Hours before Wednesday's release, a letter from Pope Benedict was handed to Iran's supreme leader, Ayatollah Ali Khamenei. It said the Pope was confident that men of goodwill could find a solution. He asked the supreme leader to do what he could to ensure that the British sailors and marines were reunited with their families in time for Easter. It would, he said, be a significant religious gesture of goodwill from the Iranian people.
»What impact the Pope's message had is impossible to assess. But some of its language was reflected at the press conference at which the release of the 15 Britons was announced. President Mahmoud Ahmadinejad said the decision to “forgive” the sailors and marines had been taken “on the occasion of the birthday of the great prophet [Muhammad] ... and for the occasion of the passing of Christ”.»
On trouverait une confirmation de cette tournure nouvelle de l’Eglise dans les paroles extrêmement aimables pour l’Iran de l’évêque britannique Burns, qui est chargé dans la hiérarchie catholique des fidèles dans les armées britanniques. Burns a aussitôt été attaqué par les vigiles de service, que ce soit dans les relations publiques du gouvernement, de l’armée, que ce soit dans le Daily Telegraph et autres organes du même type. L’intérêt de cette intervention (doublée par celle d’un dignitaire anglican, évêque de Rochester) est qu’elle met en évidence la foi des Iraniens comme facteur décisif de la décision de relaxe, contredisant fortement les thèses anti-islamiques en vogue à l’Ouest, — et rapprochant ainsi l’analyse religieuse du fait politique.
«The Roman Catholic bishop who oversees the armed forces has provoked fury by praising the Iranian leadership for its “forgiveness” and “act of mercy” in freeing the 15 British sailors and marines last week.
»The Bishop of the Forces, the Rt Rev Tom Burns, said that the religious beliefs of the Iranians had played a large part in their decision to release the hostages after holding them for more than two weeks.
»His words were echoed by a leading Anglican figure, the Right Rev Michael Nazir-Ali, the Bishop of Rochester, who said Iran had acted within the “moral and spiritual tradition of their country” and contrasted this with Britain's “free-floating attitudes”.»
Ce qui est dit est dit et il y a sans doute une logique politique dans cette attitude de l’Eglise. Burns préfère féliciter l’Iran que le MoD pour avoir autorisé, très vite et dans le bon sens (celui de la version “calvaire iranien”), ses marins libérés à passer des contrats avec des groupes de presse, cela avant de capituler fort honteusement.
Ces signes venus du Vatican et de la hiérarchie catholique sont d’autant plus à remarquer si l’on apprécie l’homélie pascale de Benoît XVI dans un sens politique. Ce n’est pas vraiment le cas du Monde, pour lequel, certes, il s’agit d’une dénonciation convenue de la violence dans le monde. Le quotidien, qui ne voit pas de cas politique particulier dans la situation irakienne, débite cinq paragraphes sur le discours avant d’en venir à une allusion à ce passage parmi d’autres : le pape «s'est réjoui des “signes d'espérance” dans le dialogue entre Israël et l'Autorité palestinienne, mais a dénoncé la répétition des “massacres” en Irak où “rien de positif ne vient”…»
La presse US, comme par exemple CBS (AP), met au contraire ce passage en exergue et le présente implicitement comme une prise de position du Vatican, en titrant sur ce point («Pope: “Nothing Positive” From Iraq»): «In an Easter litany of the world's suffering, Pope Benedict XVI lamented that “nothing positive” is happening in Iraq and decried the unrest in Afghanistan and bloodshed in Africa and Asia.»
Ces appréciations d’un éventuel intérêt nouveau du Vatican de Benoît XVI pour la situation politique active ne font qu’explorer une hypothèse. Depuis l’élection du nouveau pape, en avril 2005, le Vatican a modifié son attitude. Il a rompu avec un certain activisme de la ligne politique de Jean-Paul II, — ligne souvent conduite contre le vœu de la bureaucratie du Vatican, très conservatrice dans le sens pro-occidentaliste du terme. Il s’est montré plus discret dans son attitude vis-à-vis de la grande crise systémique en cours, dont la situation irakienne est en quelque sorte un “porte-drapeau”.
Le nouveau pape s’est surtout consacré à une réaffirmation des dogmes et des conceptions de la foi catholique. On a bataillé autour de lui, à propos de points de dogme, d’appréciations de doctrine. Jean-Paul II était également un conservateur de la foi et de ses dogmes, comme Benoît XVI l’est évidemment, mais son activisme politique était évidemment la partie la plus créatrice et la plus originale de son pontificat. De fondamentalement anti-communiste à ses débuts, cet activisme s’était transformé jusqu’à se rapprocher d’un jugement tel que “fondamentalement anti-libéral” dans le sens politique et économiste (capitalisme) de l’expression. Jean-Paul II avait une voie politique “à-la-Soljenitsyne” (la religion, catholique ou orthodoxe, n’ayant dans ce cas que bien peu d’importance).
En d’autres mots, c’est dire que, jusqu’ici, Benoît XVI a plutôt été religieux que politique. Peut-être faut-il du temps pour découvrir que nous sommes dans une époque où la politique est devenue plus puissante dans ses effets que la religion, d’ailleurs en prétendant s’y intéresser, voire s’y abreuver dans ses ambitions. La politique déstructurante générale qui est suivie par le système occidentaliste et américaniste détruit impitoyablement toutes les structures de tradition existantes, dont certaines sont la substance même de ce que l’Eglise prétend défendre. Dans ce cas, le terme “conservateur” (et le terme “progressiste” par conséquent) n’a plus grand sens. La politique ultra-conservatrice des USA est, on le sait, très proche de ce que serait une politique trotskiste, comme les “néo-conservateurs” sont eux-mêmes très proches du trotskisme en réalité. S’occuper du dogme et de la défense de l’orthodoxie de la foi dans de telles circonstances revient à polémiquer sur le sexe des anges tandis que le monde s’écroule.
L’hypothèse que nous envisageons ici, à la lumière des faits détaillés plus haut, est de s’interroger sur ce point : Benoît XVI s’est-il aperçu que le monde s’effondre ?