Le vent d’Est est un vent de panique

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Le vent d’Est est un vent de panique


1er mai 2005 — L’Europe est aux abois, — nous parlons ici de l’Europe des institutions, l’Europe bruxelloise. Une seule cause, aujourd’hui, qui a supplanté les référendums : la Chine. La mise en évidence, ces dernières semaines, du formidable problème que posent à l’Occident (l’UE mais aussi les USA) les exportations chinoises, libérées depuis le 1er janvier, a brutalement rendu dramatiques les relations avec cette puissance. La question des exportations ne supplante par la question de la levée de l’embargo des armements européens, elle s’y ajoute en lui donnant un tour beaucoup plus dramatique et une couleur très différente.

L’ancien Commissaire à la Concurrence de la Commission Prodi, Mario Monti, a eu beau jeu de rappeler ce que nul n’ignore, — que la Commission et l’Europe en général ont eu sept ans et plus pour se préparer à la ruée chinoise, — sept ans entre la signature des accords UE-Chine et le moment où ils prennent leurs effets, pour se préparer à cette invasion prévisible des importations chinoises, qui commence par le textile (on prévoit la perte d’un million d’emplois en Europe et hors d'Europe dans ce secteur). D’autre part, observe une source européenne, « une telle préparation, pour ce secteur des textiles puisque c’est de cela dont il est question pour l’instant mais aussi pour d'autres secteurs plus importants, impliquait une restructuration massive du dit secteur et des autres. C’est-à-dire qu’une intervention massive des gouvernements et des États était désirable sinon inévitable. Mais cet interventionnisme de la puissance publique est impensable puisqu’elle contredit complètement le dogme. Alors, que faire? On n’a rien fait. »

Les premières réactions lorsque l’événement est apparu dans son ampleur, avec l’effet médiatique, les interférences dans la campagne française du référendum, etc., ont été d’envisager de mettre en place des mesures d’urgence (ce qu’on nomme les “clauses de sauvegarde”), qui seraient des mesures protectionnistes. La même source continue ses commentaires: « C’est vraiment très difficilement envisageable. A cause de ce délai, justement, de la préparation qu’il impliquait pour nous et que nous n’avons pas faite, de telles mesures constitueraient une formidable perte de crédit international pour l’Europe. »

Le commissaire au commerce Peter Mandelson a réagi le 28 avril à ces pressions, à Bangkok où il se trouvait en visite. Il a signalé que l’application des “clauses de sauvegarde” aurait des effets négatifs sur les fabricants européens ayant délocalisé leur production en Chine, c’est-à-dire touchant également ceux-là qui demandent l’application de ces clauses. « Je dois me préoccuper de tous ces intérêts européens. Il faut regarder les deux côtés de la médaille, et j'espère que ceux qui débattent de cette question et qui représentent les intérêts industriels garderont à l'esprit qu'il y a plus d'un seul intérêt européen dans ce dossier. » Les proches de Peter Mandelson décrivent le Commissaire européen comme « véritablement crucifié » par les derniers événements: ce proche de Tony Blair, partisan farouche du libre échange, se bat depuis plusieurs mois (Boeing-Airbus, le textile chinois) sur un terrain où « il est obligé de jouer le rôle d’un champion du protectionnisme »

Bien entendu, le textile n’est qu’un début, — le domaine le plus rapidement adapté, le plus vite mis en évidence. Dans les autres domaines économiques, la Chine prépare son invasion des marchés occidentaux. « Dans nos conversations, dit encore notre source, les Chinois sont très polis, très compatissants. Ils nous disent simplement cette évidence: ils suivent à la lettre nos propres prescriptions économiques, ils s’inscrivent comme d’excellents élèves de la globalisation »

D’autre part, on doit rappeler que les conversations se poursuivent entre l’UE et l’Inde, pour opérer la même opération qu’avec la Chine: l’établissement de relations de libre échange. Ces derniers temps, pourtant, les experts européens ont commencé à s’inquiéter de chercher certaines dispositions qui pourraient adoucir le “choc”. « On commence à dire aux Indiens qu’il faudrait tout de même qu’ils se modèrent un peu dans leur investissement des marchés occidentaux… »

La presse rapporte les impatiences, voire les menaces des divers gouvernements, ceux de l’UE, celui des USA, à l’encontre des Chinois, — les Chinois ainsi mis en accusation, mais on ne sait précisément de quoi: d’avoir parfaitement appliqué la doctrine libérale (bas salaires, grosse production, super-exportation)? Les Chinois ont laissé entendre qu’ils pourraient éventuellement taxer leurs propres exportations. A cette mesure surréaliste pour l’orthodoxie libérale économiste, mais semble-t-il de bonne politique, s’ajoutent les propos du patron japonais de Toyota qui annonce que sa société choisirait de « laisser souffler les Américains ». Toyota craint que General Motors et quelques autres sociétés locales du même type aient de si graves ennuis qu’on puisse craindre un effondrement, à cause de leur mévente face aux voitures japonaises. (Ne parlons pas des futures voitures chinoises.) Toyota augmenterait donc le prix de ses voitures pour être moins concurrentiel et permettre à GM & compagnie de boucler leurs fins de mois. Les Japonais craignent une réaction violemment protectionniste aux USA, avec boycott de leurs produits, comme dans les années 1980.

Le spectacle globalisé est édifiant. Les théories de la globalisation parviennent, en démonstration en temps réel et en effets chaque jour mesurables, à exposer le spectre extrêmement large de leurs contradictions qui ont dès lors, elles-mêmes, une dimension globalisée. Tout le monde dépend de tout le monde, c’est-à-dire que tout le monde est prisonnier de tout le monde dans la spirale des contraintes et de la déstructuration générale. Il est devenu très risqué pour la pensée conformiste de nommer cela une “crise”, puisque c’est alors le constat que le système est une crise per se.

En attendant, deux constats qui concernent la globalisation, la démocratie, la Chine.

• Le triomphe économique actuel de la Chine montre que l’évolution économique de ce type, — utra-libéralisme, marché libre et libre échange — n’a nul besoin d’une démocratie politique, puisque la Chine, selon nos propres critères tirés de notre interventionnisme permanent dans les affaires d’autrui, n’est manifestement pas une démocratie.

• L’idée que la globalisation, l’ouverture de l’économie, la production et le libre échange, sont des facteurs apaisants qui écartent les risques de tension et de conflits, devient aujourd’hui de plus en plus risquée à soutenir. Si l’on ajoute à la situation actuelle avec les seules perspectives de tension qu’elle ménage, les perspectives au niveau de la consommation en pétrole en augmentation géométrique face à une production qui pourrait décroître à partir de 2007-2008, cette idée de l’apaisement des tensions et des conflits devient une plaisanterie sinistre.

A tout cela, on vous répond, marquant ainsi la fermeture de l’esprit occidental à toute pensée audacieuse: mais que peut-on faire d’autre?