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8 novembre 2007 — Sarko à Washington, on en parle? Et comment… Avant d’éventuellement aborder le voyage, ses pompes et ses circonstances, et ses résultats éventuellement, l’occasion est bonne de parler du personnage. Le président français se trouvait, à Washington, placé dans une situation où se manifestait le côté le plus étonnant, le plus polémique et le plus incertain de son personnage. “Sarko l’Américain, le voici”, – un peu comme John Black Jack Pershing ne prononça jamais la phrase fameuse, le «La Fayette, we are there», – dit par le colonel Stanton, un jour de juillet 1917, devant la tombe du marquis, en présence de Pershing qui jugea cette phrase “splendide”.
Sarko-Pershing fut donc au centre de nos préoccupations pendant ces deux rapides journées washingtoniennes. C’est l’occasion de nous pencher sur le cas psychologique de Notre-Président. Un livre nous en donne l’occasion.
L’opportunité est évidente et le moment ne pouvait être mieux choisi. Au moment où`Sarko fait sa représentation à Washington au milieu des pompes et des circonstances du système, avec La Fayette en sautoir, Jean-Philippe Immarigeon publie Sarko l’Américan (en vente à partir d’aujourd’hui) (*). Après son American Parano, qui passait puissamment en revue les complexités destructrices du système de l’américanisme, Immarigeon passe en revue ce penchant finalement remarquable et étrange du président français pour les USA: le pro-américanisme du président Nicolas Sarkozy.
Son pro-américanisme, – effectivement “remarquable et étrange”, – est à la fois le côté le plus intéressant comme une passion enfiévrée qui emporte le sentiment et le jugement, et le côté le plus déroutant comme une montagne accouchant d’une souris de Nicolas Sarkozy. Ce pro-américanisme est remarquablement primaire, inculte, complètement attaché aux seules apparences (les apparences de l’apparence puisque l’américanisme est lui-même fait d’une construction d’apparences). La pensée sarkozyste est à cet égard confondante par sa vacuité et son primarisme, – pour ne pas dire sa primarité pour user de termes savants et tenter de faire contraste. (De “primarisme” : «Caractère (d’une personne, d’une pensée) primaire» à “primarité” ; «Modalité du retentissement dans laquelle prédominent les réactions immédiates mais superficielles et éphémères»). Un “ado” du temps courant, format standard entre Coca light et Ecstasy, hors-banlieue pour ne pas choquer, ne ferait pas pire…
S’il faut tenter de définir ce pro-américanisme de Sarkozy, on penchera donc plutôt vers le camp des “atlantistes béats” (type Philippe Labro, Kouchner & compagnie), comme les qualifie Immarigeon. Il s’agit de ceux qui ne font, en regardant l’Amérique, que regarder l’image qu’ils se font de l’Amérique, sinon l’image qu’ils se font d’eux-mêmes en train de regarder l’image qu’ils se font de l’Amérique. Il s’agit par conséquent d’une image de l’Amérique qu’ils se fabriquent complètement, qu’ils dessinent dans les contours incertains et délicieux du rêve, comme l'on fait dans “la fabrique du rêve” (Hollywood). Il n’est pas question de les interrompre ni de les pinailler. «Ils nous somment, au risque de nous faire taxer d’antiaméricanisme primaire, de considérer l’objet de leur flamme non pas tel qu’il est mais tel qu’ils nous la racontent. Ils sont comme cette femme surprise par son amant en tierce compagnie : “Ah Monsieur! Je vois bien que vous ne m’aimez plus : vous croyez plus ce que vous voyez que ce que je vous dis”.»
Immarigeon semble se pincer tout au long de son bouquin : qu’est-ce que Sarko va faire de cette bouillie pour chat? Trahir? Transformer la France en bastion de l’atlantisme? Tout de même, cette sorte d’entreprise demande des épaules plus carrées, car n’est pas traître à de Gaulle qui veut. C’est une chose d’écrire des articles à la Glucksmann après avoir écrit, au printemps 1995 De Gaulle, où es-tu? (apologie de De Gaulle et sacré coup de main à Chirac, par André Glucksmann). C’en est une autre de trahir d’une façon effective et efficace le grand homme, – lequel doit bien rire, en sa demeure éternelle … Et Immarigeon de constater d’entrée de livre (dès sa préface):
«A l’origine, il n’est pas allé chercher ce qualificatif d’Américain qui se voulait péjoratif : il l’a repris et l’a retourné pour s’en faire un titre de noblesse auprès de l’opinion et de la presse américaine. Il le leur répète : il l’assume, à preuve le fait qu’il revendique cette amitié devant ses propres compatriotes. En fait, pas tant que cela. Il ne nous a que très rarement chanté la messe, à nous Français, sur les grands principes fondateurs d’une civilisation transatlantique ou le supposé partage de valeurs communes. C’est un discours qu’il réserve aux Américains, devant qui il se contente du reste de répéter sans cesse les partis pris qu’il adore entendre: l’Amérique où tout est possible, et puis les jeans, le rock, et toutes les séries qui monopolisent les écrans de télévision. C’est à peu près tout. C’est un peu léger pour refonder la politique étrangère de la France et rompre avec quarante ans de gaullisme.»
Au plus il est détaillé, au plus le pro-américanisme, ou atlantisme, de Sarko ne semble rien du point de vue politique, au point où Immarigeon remarque avec bonheur (à propos de la position de Sarko en cas d’attaque US de l’Iran), comme l’on décrit un nageur débutant en train de barboter: «Il est encore perdu quelque part au milieu de l’atlantisme.» Effectivement, le paradoxe de Sarkozy est qu’il affirme un engagement féroce, presque caricatural à force d’affirmation, et qu’il semble pourtant flotter comme un bouchon sur les flots déchaînés, – justement «quelque part au milieu de l’atlantisme». Les étonnements d’Immarigeon ne cessent de s’accumuler … Les nôtres vont de pair.
L’auteur s’interroge de cette façon: «Sarko l’Américain? Oui. Mais jusqu’où?» Pas de réponse, on s’en doute. L’objet même de la passion-Sarko est trop grossièrement déformé pour que cet engagement puisse paraître autrement que futile et sans substance alors qu’il est affirmé avec tant de pompe et d’ardeur: «Son Amérique à lui est celle qu’on évoque dans la presse économique ou dans les écoles de commerce, un fantasme de réussite matérielle, le “rêve des familles françaises […] que les jeunes aillent étudier dans des universités américaines” puis décrochent la fameuse ‘Green Card’…» Comment l’identifier et définir son pro-américanisme autrement que comme «un rêve de parvenu, celui de la génération Sarko arrivée à la conscience politique au début de cette révolution américaine que l’on citait en exemple dans les colonnes du Figaro-Magazine, les ouvrages de Guy Sorman ou les interventions d’Alain Madelin sur Radio-Solidarité»? On sait qu’en cette matière de l’admiration emportée et enfiévrée pour l’Amérique, la gauche et la droite en France c’est la même chose. Considéré à cette lumière, le pro-américanisme de Sarko c’est Mai 68 revu façon-Reagan; c’était une chose moderne en 1985, dont fit grand usage la France de Mitterrand qui découvrait la couleur de l’argent comme on va aux filles. Par conséquent et nous tenant à la stricte chronologie, c’est une chose confondante jusqu’à être touchante d’archaïsme, elle qui se définit par une affirmation de modernité. Paradoxe, toujours.
Le constat nous laisse toujours plus incertain, de pair avec Immarigeon, – avec cette interrogation révélatrice: «Pourquoi cet attributif d’Américain est-il vu par la majorité de ses concitoyens comme une marque d’infamie alors que lui-même ne fait que mettre en musique l’hypnotique fascination de sa génération?» C’est effectivement mettre le doigt sur une contradiction française remarquable. De ce seul point de vue, on dira que le pro-américanisme de Sarko est d’une certaine complexité en rendant compte de la complexité de la considération française de l’Amérique. C’est le seul moment où l’on a l’impression de rencontrer quelque chose de complexe à cet égard. Au moins, Sarko est-il bien représentatif de cela, qui s’exprime par son antienne bien connu, que n’apprécieront pas trop longtemps les amis américains: «Je veux leur dire que la France sera toujours à leurs côtés quand ils auront besoin d’elle. Mais je veux leur dire aussi que l’amitié c’est accepter que ses amis puissent penser différemment.» (Sarko le soir de son élection.)
Sur quoi tout cela débouche-t-il? La capitulation, c’est très difficile avec les Américains, tellement elle est sans conditions. Il reste le pari hégélien (que nos identifierions pour notre compte comme “le pari maistrien”): «[C]eux qui rallient [les Américains] n’ont qu’une seule voie: ‘unconditionnal surrender’, la capitulation sans conditions. Sauf à s’y résoudre et à ouvrir une crise politique majeure en France, Sarko l’Américain sera un jour contraint d’ouvrir une crise non moins majeure avec les Etats-Unis, et de précipiter sans le vouloir une résolution maintes fois remise.»
Finalement, qu’est-ce qu’il manque à l’atlantisme de Sarko? De même qu’«[i]l ne suffit pas de vouloir pour pouvoir» (définition de Sarko par Yasmina Reza selon Immarigeon), il ne suffit pas de croire pour être habité. Si la croyance est celle du toc, la conviction est en papier mâché. Sarko n’arrivera jamais à la cheville de Tony Blair à cet égard. L’atlantisme de Sarkozy est trop diaphane, trop “tendance” et trop rêvé à la fois, et rien d’autre, pour pouvoir se transformer en une politique. Il ajoutera au désordre de sa politique en accentuant l’écartèlement entre ses différentes pulsions, – jusqu’à ce que, pressé par les événements, il soit obligé à un choix. A ce moment, comme on le comprend bien avec l’énoncé de la phrase, les événements pèseront lourdement.
Le mystère de Sarko l’Américain n’est pas dans la substance de son engagement, puisque de substance il n’y a point et que l’engagement est à mesure; à cet égard, l’excès de bavardage ne crée pas la substance, il en révèle l’absence. Le mystère est dans ce que cet engagement sans substance puisse en soi être un problème, un objet de débat, une cause d’inquiétude, un argument d’accusation de trahison, – bref, une question de substance. On en conclut donc que le pro-américanisme de Sarko, confronté évidemment aux différences inéluctables et intangibles qui caractérisent les deux pays, est plus illustratif de la crise française qu’il ne dénoue la crise franco-américaine. Plus que l’image d’un engagement convaincu, il est le reflet un peu sommaire d’une contradiction bien française, et aujourd’hui exacerbée. Quelque chose de diablement français, en ce sens.
(*) Sarko l’Américain, Bourin Editeur, Paris.
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