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7 octobre 2003 — Le rapport présenté par l’Iraq Survey Group (ISG) de David Kay, à Washington, conduit à des situations rocambolesques marquant l’extrême fatigue de la politique occidentale en général, de la psychologie de ceux qui sont chargés de l’appliquer, de la rhétorique de ceux qui s’estiment justifiés d’en faire l’apologie. Ce phénomène évolue dans une situation où cette politique est entièrement appuyée sur le virtualisme. Il y a une obligation de mensonge (ou de manipulation de ce qui est présenté comme la réalité) née du fait que la politique (la politique irakienne d’attaque préventive dans ce cas) est fondée sur une architecture nécessairement faite de mensonges ; et il y a d’autre part une impuissance à manipuler ces mensonges d’une façon constructive. En quelque sorte, — comment bâtir une architecture lorsque l’architecte est fou et le maçon paralysé ?
Après ce rapport, on note une confusion totale dans le rapport des faits, les commentaires et les interprétations.
• Jeudi 2 octobre, en présentant son rapport au Congrès, l’équipe de David Kay affirmait clairement qu’il n’y avait pas d’armes de destruction massive (ADM, WMD en anglais). C’était la conclusion générale qui était tirée de cette présentation : « No shining weapon », signifiant l’“échec”, à ce jour, de la recherche d’ADM entreprise en Irak.
« “Multiple sources with varied access and reliability have told ISG that Iraq did not have a large, on-going, centrally controlled CW programme after 1991,” Mr Kay told a congressional intelligence committee.
» He said Saddam had also had nuclear ambitions, but he conceded: “To date we have not uncovered evidence that Iraq undertook significant post-1998 steps to actually build nuclear weapons or produce fissile material.” »
• Un premier point extraordinaire qui apparaissait ensuite était l’affirmation, plus ou moins coordonnée par les ministères des affaires étrangères US et UK, et reprise par GW Bush, que ce que le rapport nous présentait constituait néanmoins des preuves de l’existence de ADM/WMD, bref qu’on avait tout de même trouvé des ADM même si on n’en a pas trouvé. Ce commentaire du Guardian éclaire cette situation d’une phrase étonnante, à propos de la découverte de “botulinum” chez un scientifique : « The US State department even argued that the discovery of the test tube meant that Mr Kay's Iraq Survey Group (ISG), contrary to its own claim, had found a weapon of mass destruction. » Autrement dit : l’expert envoyé pour trouver des WMD et qui affirme n’avoir pas trouvé de WMD n’a rien compris, — il a cherché et trouvé des WMD, contrairement à ce qu’il affirme. Il n’est pas non plus sans signification que les deux organismes qui suivent et dramatisent cette affaire sont les deux qui se sont montrés traditionnellement les plus prudents dans l’affaire irakienne, notamment le State department aux USA. Quant au Foreign Office et à son ministre, ils ont enfourché cette trouvaille avec un enthousiasme qui peut paraître précipité :
« It was cited in justifications of the invasion by President George Bush and by Britain's foreign secretary, Jack Straw, who described botulinum toxin as “15,000 times more toxic than the nerve agent VX”.
» Mr Straw claimed after the report came out that it presented further “conclusive and incontrovertible” evidence that Saddam had been in breach of UN resolutions. He said the report confirmed how “dangerous and deceitful” the regime was and that the military action was “both justified and essential to remove the dangers”. »
• Auparavant, les deux ministères traditionnellement les plus durs, et qui ont mené la course à la guerre, s’étaient montrés, soit silencieux (le DoD à Washington, où Rumsfeld est d’une prudence de sioux), soit complètement négatifs sur le fait même des ADM/WMD (« Ministry of Defence sources said: “There are no shining weapons. We found everything, but those weapons.” They added: “It is impossible to predict what we will and won't find.” ») Les experts adoptaient la même attitude, non seulement de réserve mais nettement négative : « But several weapons experts contacted yesterday argued that while the ISG, like the UN inspectors before them, appear to have uncovered discrepancies, its overall findings appeared to confirm that Iraq did not have an arsenal of banned weapons at the time of the March invasion. »)
• Ce matin, on revient sur l’affaire, cette fois pour démentir l’interprétation faite en seconde analyse par les pseudo-“colombes” (les ministères des affaires étrangères) transformées en pseudo-“faucons” pour l’occasion. Les tubes de botilinum qui formeraient finalement le signe indiscutable qu’il y a du WMD dans cette affaire puisqu’ils en sont eux-mêmes paraît-il, sont vieux de 10 ans et étaient entreposés chez un scientifique irakien dont on ne sait s’il était directement lié aux entreprises saddamesques. On apprend même que le scientifique était surtout anxieux de se débarrasser du botilinum parce qu’il craignait pour la santé de ses enfants si ceux-ci le manipulaient. Ce détail est très convaincant : non seulement il doit être vrai mais, en plus, il nous confirme que l’affaire évolue entre Hollywood et “Alice au pays des merveilles”.
« The test tube of botulinum presented by Washington and London as evidence that Saddam Hussein had been developing and concealing weapons of mass destruction, was found in an Iraqi scientist's home refrigerator, where it had been sitting for 10 years, it emerged yesterday. David Kay, the expert appointed by the CIA to lead the hunt for weapons, told a congressional committee last week that the vial of botulinum had been “hidden” at the scientist's home, and could be used to “covertly surge production of deadly weapons”.
(...)
» While presenting his progress report to Congress, Mr Kay did not say when and where the botulinum had been hidden but he told a television interviewer on Sunday that the scientist involved said he was asked to hide the botulinum in his refrigerator at home in 1993. Iraq admitted pursuing a biological weapons programme to UN inspectors two years later. It is unclear whether the Iraqi scientist had received any orders from the regime after that date. »
Cette étrange péripétie, qui ne prouve rien et tout à la fois, selon les manipulations qu’on lui fait subir, semble montrer plusieurs faits :
• D’une part, une incroyable prudence de ceux qui sont placés devant les faits, alors qu’ils ont été mis là pour dramatiser ces faits de façon à ce qu’ils justifient postérieurement l’invasion. C’est le cas de David Kay, qui a péremptoirement affirmé qu’il n’y avait pas de « shining weapons ». (Nouvelle catégorie scientifique : le « shining weapons », qui entre dans une sorte de catégorisation virtualiste : il y a désormais une réalité qui brille [évidente ?] et une réalité qui ne brille pas [qu’il s’agit de mettre en évidence et de proclamer réalité après manipulations d’usage].)
• D’autre part, les interprétations diverses, ceux qui affirment qu’il s’agit bien de WMD, ceux qui renchérissent qu’au contraire cela ne peut en être, etc. Ceux-là ne sont plus confrontés à la réalité, ils réagissent selon les thèses qu’ils défendent, en manipulant les déclarations de David Kay. Situation rocambolesque, suite : il faut se rappeler que Kay a été placé là où il est parce qu’il était reconnu comme un maître-manipulateur, un homme au passé fourni dans l’art des manipulations.
D’une certaine façon, la polémique des WMD est close. Seuls les diplomates y croient encore, sans doute par souci de formalisme (“prouver” tout de même qu’il y avait une raison d’attaquer). A côté de ce constat formel, on doit observer que nous nous trouvons dans une situation de fatigue psychologique intense. Non seulement la polémique porte sur le fait de savoir, aujourd’hui, s’il y a réellement des WMD justifiant une attaque réalisée hier après que leur existence ait été affirmée impérativement avant-hier, — ce qui est déjà surréaliste,
Ce désordre et cette confusion sont évidemment directement la conséquence d’un climat où la réalité n’a plus vraiment existé, depuis les préparatifs de l’attaque contre l’Irak. Il s’agit d’interprétations selon les points de vue, les intérêts, les pressions, les prudences individuelles, etc, et aussi selon les caractères et les psychologies des uns et des autres. Il s’agit, non plus de la crise de la réalité mais de la crise du virtualisme, — alors que, bien entendu, la polémique des WMD n’a plus vraiment d’importance, parce que son temps est passé.