Le virtualisme à l’épreuve du feu US: Saddam, le retour

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Le virtualisme à l’épreuve du feu US : Saddam, le retour

8 juillet 2003 — On croyait qu’on aurait tout vu, c’est-à-dire tout lu, lorsqu’on nous avertissait que Saddam-2003 équivalait à 3 à 5 fois Hitler-1939 (l’historien anglo-américain/néo-impérialiste Paul Johnson) ou lorsqu’on apprenait que «  the phenomenal and rapid success of Operation Iraqi Freedom » (l’historien américain et néo-conservateur Victor David Hanson) avait été acheté à coups de bakchich bien moyen-orientaux et bien distribués dans les poches des généraux irakiens de la Garde Républicaine. On croyait, on se trompait.

La dernière dans cette aventure surréalistiquement impériale qui est censée nous démontrer la puissance à couper le souffle de la plus grande puissance que l’histoire ait jamais connue, c’est la crainte désormais quasi-officielle (voyez le Washington Post, presse de référence) du nouveau blockbuster hollywoodien : Saddam, le retour.

Non seulement Saddam est vivant malgré les tirs de précision de l’U.S. Air Force, le renseignement US en est désormais persuadé, mais en plus la rumeur se répand en Irak et chez les Irakiens, écrit le Post, que le dictateur honni pourrait préparer sa (re)prise de pouvoir. Le reportage du journal américain est sérieux, circonstancié, et semble refléter des préoccupations officielles. Cette situation est effectivement surréaliste car il s’agit bien de l’extraordinaire puissance américaine qui tient aujourd’hui l’Irak, et, en face, ce pays ravagé, avec son dictateur discrédité, trahi par ses officiers, avec son armée ravagée, après une deuxième défaite (celle d’avril 2003) qui est encore pire que celle, pourtant terrible, subie il a plus d’une décennie (février 1991), les deux étant liées par un embargo impitoyable et des attaques épisodiques.

« After weeks of jubilation over Hussein's ouster — during which people here blithely lampooned him, toppled his statues and seized offices of his once-ruling Baath Party — many Iraqis have become increasingly spooked that the former dictator and his loyalists are plotting a return to power. That concern has escalated in recent days with the release of a recorded message purportedly from Hussein as well as a surge in violent attacks against both U.S. troops and Iraqis who have cooperated with U.S. forces.

» The recording and the attacks have unnerved not just U.S. soldiers but also ordinary Iraqis. The incidents, particularly the killing on Saturday of seven Iraqi police cadets who had participated in a U.S. training program, have led some here to start changing their behavior — and their assumptions about the future.

» “When the American soldiers first came to Baghdad, we thought we would never hear from Saddam again. We thought he would be killed or he would flee the country,” said Abdelrahim Warid, the owner of a small shop selling canned drinks and packaged foods. “Now we know he is in our midst — and that is very dangerous for us.” »

Ce qui est remarquable dans cette affaire irakienne, c’est la façon dont les thèmes et les centres dynamiques de développement se rapetissent et, au lieu de faire évoluer la crise, semblent perpétuellement la ramener à ses données de départ dont nul ne sait si elles n’ont pas été, au départ, inventées de toutes pièces. Ce qui devait être une entreprise impériale ouvrant sur de vastes conquêtes se replie sur des tracasseries, des complications sans nom, où les Américains sont de plus en plus des acteurs passifs et maladroits alors qu’ils intervinrent à l’origine comme les instigateurs impératifs.

A lire le reportage surréaliste sur le retour de Saddam, on croirait voir les troupes américaines, impavides et impuissantes, observant l’étrange contagion de la nouvelle du possible retour de Saddam au pouvoir sans montrer quelque intérêt que ce soit, comme si la chose ne les concernait pas. L’impression est accentuée par des détails, comme celui qui est décrit ici (l’absence de gilets pare-balles pour les troupes “supplétives”), qui rappellent sans cesse l’exceptionnelle maladresse psychologique des forces d’occupation, qui contribue à séparer encore les Irakiens, même les plus accommodants, des Américains.

« “We're now in a very dangerous position,” said an Iraqi police officer standing guard outside a police station in central Baghdad today. The officer, who asked that his name not be used, was posted in front of a row of razor wire, dirt-filled barricades and large metal objects intended to prevent cars from crashing through the front gate — all of which were installed to protect U.S. military police officers inside.

» “If somebody comes by and shoots at the station, like they have done elsewhere, the Americans will be protected, but we are exposed,” the officer said. “We don't even have [bulletproof] vests.” »

Cette évolution est accentuée par une propension certaine des Américains à rechercher des causes extérieures, dont ils ne soient pas responsables, à leur propre déboire. Ainsi, accréditer systématiquement la version de l’action de partisans de Saddam très bien organisés pour mettre en évidence qu’il y a des forces organisées contre eux et que l’hostilité anti-US n’est pas due à leur propre comportement ; laisser se développer le mythe d’un Saddam dirigeant la résistance, bientôt d’un Saddam prêt à reprendre le pouvoir, pour également accréditer cette idée d’une résistance très forte et très puissante, expliquant leurs difficultés, — tout cela renforce effectivement un mouvement de résistance, plutôt conséquence que cause dans ce cas. L’action US continue à être guidée par des considérations publicistes, la crédibilité, l’image de la puissance US, l’hubris des promoteurs d’une Amérique soi-disant impériale, etc. Tout cela se fait au détriment de l’efficacité.

D’autre part, il y a tout de même une logique dans une politique qui n’est, depuis 1991, qu’un vaste montage : avoir fait de Saddam la menace qu’il ne fut jamais, avoir fait de la conquête de l’Irak le noeud et le détonateur d’une véritable conquête impériale du reste du monde, avoir inventé des armes de destruction massive que personne n’arrive à retrouver parce qu’elles n’existent pas, avoir acheté les généraux ennemis de façon qu’on ait tout de même l’impression d’une grande bataille... Et, aujourd’hui, “le retour de Saddam”, sorte de Robin des sables maléfique. Rien d’illogique dans tout cela, après tout, une fois qu’on a admis la règle qu’on est dans un monde complètement virtualiste. Rien d’illogique, certes, mais également de moins en moins facile, car le virtualisme américain est, chaque jour, en Irak, en danger d’être confronté avec la réalité.