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27 août 2002 — Le Sommet de la Terre de Johannesbourg s'est ouvert dans une ambiance de désordre et d'affrontement. La principale cause de cette situation, du côté des délégations, c'est l'attitude US et les désaccords qui en résultent, la délégation nationale américaine ayant comme mission de faire systématiquement barrage à toute proposition constructive, conformément à la politique de l'administration.
La nouvelle principale en marge du Sommet, c'est celle de l'accélération de la dégradation de l'environnement, signalée dans un document de l'OCDE qui est parvenu au Guardian.
« It includes new estimates that the world lost almost 10% of its forests in the past 10 years; that carbon dioxide emissions leading to global warming are expected to rise by 33% in rich countries and 100% in the rest of the world in the next 18 years; and that more than 30% more fresh water will be needed by 2020. »
Cette prévision d'une dégradation accélérée de l'environnement devrait considérablement obscurcir les prévisions des principaux centres de sécurité, notamment européens et américains, sur la situation des relations internationales dans les décennies à venir. En un sens, nous sommes en train de passer à grande vitesse, même dans les pays riches qui vont placer la sécurité comme première de leurs préoccupations, d'une société d'abondance à une société de survivance. Plus qu'une “crise de civilisation”, il s'agit d'une mise en cause fondamentale du concept de civilisation. (Même si ces prévisions ne se réalisent pas, l'évolution sociale et psychologique aura lieu : nous parlons de perception et d'état d'esprit, et nous allons acquérir ceux de la survivance.)
Il apparaît clairement que les menaces et les scénarios d'affrontement vont se multiplier, basés sur la question de la survivance. Le seul problème de l'eau, par exemple, apparaît d'ores et déjà comme une crise proche d'être présente, et l'on sait que cette crise est considérée comme une cause fondamentale d'affrontements et de conflits.
De ce point de vue, on pourrait penser que l'attaque du 11 septembre et la mobilisation pour la Grande Guerre (terrorisme ou pas, peu importe) constituent le coup d'envoi d'un état de tension et de guerre perpétuelles qui vont avoir de plus en plus de rapport avec la dégradation de l'environnement et la question de la survivance. Il est triste d'observer qu'il n'existe actuellement aucun, strictement aucun signe que le bon sens et la mesure puissent faire réaliser aux principaux responsables politiques de la planète, soit la gravité, sinon l'existence même des problèmes posés (pour certains), soit l'urgence d'accords généraux pour tenter d'y faire face (pour d'autres, plus nombreux tout de même). Le comble du drame à cet égard est que les USA aient aujourd'hui à leur tête l'administration la plus rétrograde et la plus médiocre de son histoire récente, sans doute la plus médiocre et la plus rétrograde depuis l'administration Harding de 1920-1923 (célèbre pour le Tea Pot Scandal), qui a marqué l'histoire à cet égard.
Les surprises ne devraient pas manquer. Cette instabilité, cette tension, cet état de guerre larvée/perpétuelle vont proliférer dans une situation où les règles de la guerre et les formes modernes de la guerre seront de moins en moins utilisées. Le surarmement américain axé sur l'hyper-technologie implique une impuissance grandissante devant cette sorte de situations (voir l'impuissance dans la prévision de l'attaque du 11 septembre). C'est-à-dire que la puissance US elle-même, surtout elle en fait, doit s'attendre à des surprises. Il ne fait aucun doute, dans la logique de la démonisation de l'Amérique que nous avons déjà évoquée, que l'accumulation de la dégradation de l'environnement va être de plus en plus perçu comme étant le fait de la responsabilité de l'Amérique, — injustement ou pas, qu'importe, nous parlons de faits de perception. L'agressivité anti-américaine ne va faire que s'accroître.
• Les “surprises” que nous évoquons ne vont pas nécessairement dans le même sens, ni vers le même hémisphère qu'il est est coutume de penser. Ainsi du problème de l'eau. Un des plus forts antagonismes à cet égard existe entre les USA et le Canada, les Américains étant intéressés par les réserves d'eau du Canada. C'est la raison qui a amené les Américains à modifier leur diplomatie secrète. Sans le proclamer, le département d'État est, depuis quelques années, plutôt sympathique à l'égard du mouvement autonomiste du Québec, dans la mesure où il diminue l'autorité de l'État central canadien.
• Un point particulier en liaison avec cette question de l'environnement et des développements qu'on identifie, et certainement le point géopolitique et culturel le plus important, est que les pays européens, dont certains sont très attentifs à l'environnement, seront les premiers à mettre l'Amérique en accusation. Ils sont par tradition, par situation, d'une extrême sensibilité à cette question de l'environnement et leurs conceptions divergent plus radicalement qu'aucun autre groupe de pays au monde de celle des dirigeants américains. On voit même des pays d'habitude neutres ou indifférents à l'hégémonie US, et qui ont ainsi permis à celle-ci de prospérer en Europe, modifier complètement leur attitude dans cette sorte de circonstance. (On l'a vu lors des inondations de la mi-août, où les USA ont été mis en accusation, par des Allemands, des Suisses, des Autrichiens.) Au contraire de voir se perpétuer et se renforcer un bloc occidental face à une pression décrite comme “barbare” des Tiers et Quart-Mondes, l'évolution catastrophique de l'environnement risque de conduite à des affrontements à l'intérieur du monde développé. C'est alors que nous aurons un “choc des civilisations”, un vrai, plutôt que la version cosmétique et plutôt surannée de l'affrontement avec l'Islam, qui se réfère aux conceptions type-“Péril jaune” du début du XXe siècle.